Michel Detheux, CEO d’Iteos Therapeutics: “Notre expertise scientifique restera en Belgique”
La biotech d’immuno-oncologie a deux candidats médicaments en étude clinique et deux autres en préparation. Tous sont issus des laboratoires de Gosselies et, pour le CEO, cela ne changera pas, même si lui-même vit aujourd’hui à Boston et que les financements sont essentiellement américains.
L’histoire a commencé il y a tout juste 10 ans, le 9 juillet 2012. “Ce jour-là, je m’installais ici à Gosselies, dans l’incubateur biotech, avec une table, une chaise et une connexion wifi”, se souvient Michel Detheux, CEO et cofondateur d’iTeos. En plus du mobilier, il y avait surtout le fruit d’années de recherches de l’Institut Ludwig et de l’Institut de Duve (UCLouvain), avec des avancées en immuno-oncologie suffisamment convaincantes pour permettre à la spin-off de lever d’emblée trois millions d’euros, en plus des six millions d’aides régionales à la recherche. Aux standards belges, c’est une confortable entrée en matière.
Dix ans plus tard donc, iTeos est cotée sur le Nasdaq et emploie 120 personnes, dont une vingtaine à Boston (Massachusetts), où vit désormais son CEO. L’essentiel des effectifs reste cependant basé à Gosselies, où se réalise tout le travail scientifique de l’entreprise. “Ce choix n’est pas sentimental mais tout à fait rationnel, assure Michel Detheux. Nous avons d’excellents scientifiques en Belgique. Grâce aux aides à la recherche, ils coûtent moins cher que les scientifiques américains et ils sont beaucoup plus fidèles à l’entreprise. Nous avons à peine 2% de départs sur l’année.” Le régime fiscal des brevets complète la panoplie de l’attractivité de la recherche belge.
Je veux faire d’iTeos une ‘powerhouse’ de l’oncologie. Un acteur de niveau mondial qui développe des médicaments innovants.
Michel Detheux
Néanmoins, iTeos a pris des couleurs américaines, en visant Boston et le Nasdaq plutôt qu’Euronext pour son entrée en Bourse. “Aurions-nous pu développer l’entreprise sans les investisseurs américains? Peut-être mais tout aurait été beaucoup moins vite, estime Michel Detheux. Sur Euronext, nous aurions levé 30 à 50 millions. Là, nous avons rassemblé 325 millions en quatre mois. Nous combinons le meilleur des deux mondes: la puissance financière américaine et l’excellence scientifique belge.” Rappelons qu’iTeos a réalisé son IPO l’été 2020, quand la moitié de la planète vivait en confinement. Ces circonstances n’ont pas empêché l’entreprise d’enregistrer des demandes pour trois milliards de dollars, soit 20 fois le montant mentionné dans le formulaire de l’IPO (150 millions). Il y a donc pas mal de monde prêt à miser sur ces traitements du cancer en développement à Gosselies.
Aider le corps à lutter contre le cancer
Attardons-nous d’ailleurs sur ces traitements. Dans les laboratoires d’iTeos, on travaille sur des molécules qui vont aider notre système immunitaire à se défendre contre les cellules cancéreuses. Celles-ci présentent en effet la particularité de mettre en place des mécanismes qui neutralisent nos défenses, permettant ainsi à la maladie de proliférer. L’immuno-oncologie cible ces mécanismes, pour que le système immunitaire puisse jouer pleinement son rôle. “Le gros avantage de l’immuno- oncologie, c’est qu’elle aide le corps à être plus puissant contre la maladie, au contraire de la chimiothérapie qui peut être très agressive, ajoute le CEO d’iTeos. Il peut dès lors contrôler les récidives de manière plus efficace. Notre but est en quelque sorte de transformer le cancer en une maladie chronique, avec laquelle le patient conserve une qualité de vie suffisante.”
L’une des difficultés de cette approche, c’est que ces mécanismes qui peuvent ralentir ou bloquer notre système immunitaire, il en existe des centaines. “Nous devons donc d’abord bien comprendre ce qui se passe dans l’environnement tumoral pour identifier les cibles, qui auront les effets les plus bénéfiques pour le patient”, dit Michel Detheux. ITeos a actuellement deux produits en développement clinique. Ils ont franchi la phase I (non-dangerosité et dosage) et sont maintenant en phase II (évaluation du bénéfice par rapport aux traitements existants). Il reste encore la phase III (vérifier l’amélioration de la survie et de l’état de santé du patient par rapport aux traitements de référence) avant une mise sur le marché que l’entreprise voit pour dans quatre à cinq ans.
Deux produits en phase clinique…
Les deux produits en phase clinique sont, d’une part, EOS-850, une petite molécule qui cible le récepteur A2A et serait particulièrement efficace contre des cancers solides ; et d’autre part, EOS-448, un anticorps monoclonal (une molécule beaucoup plus grosse) qui cible, lui, le récepteur Tigit. La stratégie anti-Tigit est considérée comme l’une des plus prometteuses en immuno-oncologie. Cela a d’ailleurs incité GSK à débourser 625 millions de dollars pour conclure, l’an dernier, un partenariat avec iTeos pour le développement et la commercialisation de l’EOS-448. Ce montant peut encore être gonflé de paiements supplémentaires en fonction des ventes, susceptibles de porter alors le deal à deux milliards de dollars!
Mais attention, dans les biotechnologies, tout peut parfois être brutalement remis en question. Le laboratoire suisse Roche vient ainsi de publier des résultats décevants concernant un anticorps ciblant le même Tigit dans une étude clinique de phase III. Cela remet-il en cause tous les espoirs placés dans les molécules anti-Tigit? “Non car notre approche est différente et notre molécule a montré, en préclinique et en phase I, des effets bénéfiques supérieurs, répond Michel Detheux. Les données de l’étude de Roche constitueront une source appréciable pour continuer la différentiation de notre candidat médicament. Quand le compétiteur le plus important rencontre une difficulté, cela peut s’avérer une opportunité pour une entreprise comme la nôtre.”
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… et d’autres déjà dans le pipeline!
Dans les laboratoires de Gosselies, on planche bien entendu sur d’autres produits. Un troisième traitement d’immuno-oncologie devrait être en phase clinique l’an prochain et le quatrième dans deux ans. “Ce sont toutes des inventions belges, insiste le CEO d’iTeos. Nous sous-traitons dans le monde entier, nous allons chercher les meilleurs acteurs là où ils sont mais la science est faite ici à Gosselies. Nous avons construit une infrastructure de 120 personnes et développé une expertise de classe mondiale. Il est important maintenant de valoriser cette expertise dans d’autres programmes, d’élargir notre portefeuille de produits et de diversifier notre profil de risque. C’est cela qui va nous permettre de construire la force commerciale, dont nous aurons besoin dans quatre ou cinq ans.”
S’il veut élargir le portefeuille de l’entreprise, le fondateur d’iTeos – titulaire d’un diplôme de bio- ingénieur (UCLouvain) et d’un certificat en business (Solvay) – tient cependant à rester dans le domaine de l’oncologie. “Je veux faire d’iTeos une powerhouse de l’oncologie, conclut-il. Un acteur de niveau mondial qui développe des médicaments innovants qui impacteront favorablement la qualité de vie des patients souffrant d’un cancer.”
“En Belgique, nous n’osons pas rêver assez grand”
Des dirigeants belges actifs à l’étranger, comme Michel Detheux, la rédaction de Trends-Tendances en a rencontrés plusieurs pour les Trends Summer Talks qui seront diffusés sur Canal Z les week-ends de juillet et août ainsi que sur notre site. Ces entretiens aborderont le parcours international de nos invités mais ce sera aussi l’occasion de porter un regard, peut-être un peu différent avec l’éloignement, sur l’évolution de la Belgique et de son économie. “Nous avons en Belgique une qualité de vie extraordinaire, confie Michel Detheux. Notre couverture sociale, par exemple, est exceptionnelle. Mais il faut veiller à ne pas trop tirer sur la corde et toujours vouloir plus. Quand je lis que 500.000 personnes sont en arrêt de longue durée pour maladie, ça m’interpelle. Sur ce point, mon regard a peut-être changé depuis que je vis à Boston.”
Le fondateur d’iTeos est par ailleurs frappé par la différence d’ambitions entre “ses” deux pays. “Cette humilité belge, que j’adore et qui a aussi de très bons côtés, nous empêche parfois de rêver suffisamment grand. Si vous avez un bon projet avec de bonnes indications scientifiques, soyez ambitieux. Ne visez pas un financement qui va vous placer au milieu du gué dans une situation inconfortable.” C’est pour cette raison qu’iTeos a opté pour Boston et le Nasdaq. Michel Detheux est convaincu que la modestie des structures de financement est la principale faiblesse dans l’écosystème des biotechs belges (avec les difficultés de recrutement dans une série de profils scientifiques). “Nous avons besoin d’investisseurs qui pèsent plus de 500 millions et peuvent prendre le lead dans des tours ambitieux, jouer un rôle clé et pas être un suiveur, dit-il. Dans les biotechs, à part peut-être la GIMV qui est un animal très particulier, il n’y a aucun fonds belge au-dessus de 250 millions. C’est dommage car quand une société belge en croissance chercher un lead investor européen, ce sont des fonds français, néerlandais, suisses ou anglais qui vont ramasser la mise. Pour que les pépites qui vont se développer – car nous avons un très bel écosystème – restent fortement ancrées en Belgique, il faut des acteurs financiers de grand calibre.”
Ne vous méprenez pas sur l’analyse de Michel Detheux: il est très reconnaissant pour le soutien public reçu de la part des structures wallonnes dans les premières années d’iTeos. “La Région wallonne a été un catalyseur extraordinaire, déclare-t-il. Sans elle, l’entreprise n’aurait pas pu connaître un tel développement. Mais ce que je veux, c’est qu’il y ait demain 10 iTeos, 10 Ogeda, 10 Univercells, 10 Mithra. Il n’y a aucune raison pour laquelle la Wallonie devrait être à la traîne. Nous devons être ambitieux et concentrer nos efforts.” Dans cette optique, il observe avec intérêt le processus de fusion des outils financiers wallons et espère que la SRIW (actionnaire d’iTeos) soit en mesure, demain, de prendre le lead dans des tours de table plus importants, à l’image de ce que fait la BPI en France.
Dans les Trends Summer Talks, nous demandons à nos invités de présenter un lieu fétiche quand ils rentrent au pays. “J’adore la côte belge, répond Michel Detheux, originaire de Liège et qui s’était installé en Hainaut à Mignault (Le Roeulx). Marcher sur la plage à 6 h du matin quand il n’y a personne, c’est un plaisir magnifique. Et manger des crevettes grises toutes fraîches, qu’on épluche en marchant. On ne trouve pas cela à Boston. Globalement d’ailleurs, la qualité de la nourriture en Belgique, c’est une chose qui me manque quand je suis là-bas.”
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