L’indexation va-t-elle tuer l’emploi? Les réactions de Carmeuse, IPM, N-Side et un franchisé Carrefour

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Dans le cadre du dossier “L”indexation va-t-elle tuer l’emploi”, Trends-Tendances a recueilli les témoignages de quatre entreprises préoccupée par la situation.

Carmeuse: “Tous nos coûts sont impactés”

Juan Andrés Murillo, responsable de l’Europe de l’Ouest pour Carmeuse et membre du board de l’Union wallonne des entreprises, ne cache pas son inquiétude à l’heure de la préparation du budget pour l’année prochaine. Pour cette société qui est un des leaders mondiaux de la chaux, l’explosion du coût de l’énergie a déjà été une pilule difficile à avaler.

“Les prix ont commencé à augmenter au début de l’été 2021 et nous avons senti les premiers effets à l’automne de cette année-là, explique le responsable. Soudain, nous nous sommes rendu compte que nous ne faisions plus de marges. Très rapidement, nous nous sommes trouvés dans l’obligation de revoir les conditions de vente avec nos clients.” Cela a permis d’amortir le choc.

Mais les prix n’ont pas arrêté de croître. “Dans notre structure de coûts, le poids de l’énergie est très important, essentiellement le gaz et l’électricité. Le coeur de nos usines, c’est la cuisson de la pierre. C’est extrêmement énergivore. Chaque partie de la chaîne peut diminuer ses coûts, absorber une partie de la marge, mais pas complètement. Nous devons donc répercuter partiellement cette hausse sur nos prix. Mais jusqu’où pourrons-nous le faire?”

La crainte, c’est aussi que les clients, qui sont des industriels pour la plupart, s’arrêtent en raison de cette charge énorme. “Je constate que depuis trois semaines, les cas se multiplient.” Avec le risque d’un effet en cascade.

L‘indexation automatique des salaires accentue l’inquiétude. Pour Carmeuse, qui emploie 450 personnes, celle-ci ne fait que s’ajouter à des perspectives compliquées. “C’est une charge supplémentaire considérable, souligne Juan Andrés Murillo. Alors que nous n’avions pas eu recours au chômage économique durant la crise du covid, il est possible que nous y soyons contraints cette fois-ci. Pour nous, l’indexation ne représente pas un déficit de compétitivité majeur parce que nous n’avons pas énormément d’exportations. Mais dans d’autres secteurs, par contre, c’est colossal.”

L’horizon s’obscurcit, donc. “Les trois postes les plus importants de toutes les entreprises sont impactés: l’énergie, les transports et le personnel, conclut-il. De façon surprenante, l’économie arrive à absorber cela depuis un an. Mais on se demande jusqu’où cela va tenir.”

IPM: “Il n’y a pas de marge de 10%!”

François le Hodey, administrateur délégué du groupe de presse IPM (La Libre, La DH, L’Avenir, LN24, Paris Match…), a proposé dès le mois de juin, via une carte blanche, des idées de plafond et de défiscalisation automatique des salaires pour tenter de trouver une solution, tant il était inquiet face au mur de l’index qui s’annonce. A ne pas en dormir la nuit. “A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle, priorité au pouvoir d’achat des bas salaires et à la défense de l’emploi“, soulignait-il en préambule de ce texte.

Pour l’instant, seuls le patronat et le MR embraient. “C’est pourtant, fondamentalement, une proposition de gauche, souligne-t-il. Parce que cela permet de soutenir les bas salaires. L’indexation automatique profite à tout le monde: même les patrons, les ministres ou les gouverneurs de province voient leurs salaires augmenter dans la même proportion que les ouvriers.”

Une telle formule permettrait de soutenir les citoyens dans leur situation personnelle, tout en évitant que les entreprises ne boivent la tasse. Elle ne touche pas à ce qui constitue un acquis social ou un tabou à gauche. “On modélise l’indexation, on ne la remet pas en cause”, souligne l’administrateur délégué.

François le Hodey est inquiet, si rien ne bouge. “Forcément! J’ai eu l’occasion de le dire à des responsables politiques: dites-moi comment trouver facilement une marge de 10% pour compenser cette indexation? Soyons clair: contrairement à ce que certains disent, il n’y en a pas!” Les entreprises qui le peuvent vont répercuter ces hausses dans leurs prix. “Mais les entreprises qui n’ont pas de pricing power n’auront d’autre choix que de réduire leurs coûts en renégociant avec leurs fournisseurs et/ou en réduisant l’emploi”, souligne le patron de presse, qui craint aussi que “des conseils d’entreprise extraordinaires ne soient convoqués en novembre et en décembre”. Avec, à la clé, des plans sociaux ou des investissements reportés. Des entreprises comme la sienne, qui misent avant tout sur le capital humain, sont évidemment menacées plus que d’autres.

Si les politiques ne bougent pas, c’est, dit-il, par manque de courage. “Ils ont une peur panique des gens dans la rue. Thierry Bodson et la FGTB leur ont mis dans la tête que nous étions au bord de la révolution.” Pourtant, des mesures fortes devraient être prises, accompagnées d’un discours clair, pour traverser cette période difficile. “Le gouvernement doit avoir le courage de dire que nous devons tous faire des efforts. C’est la guerre et nous ne semblons pas en assumer les conséquences.”

N-Side: “On va perdre en compétitivité”

“On avait tendance à payer nos employés un peu au-dessus du barème mais aujourd’hui, on va se contenter d’augmenter les salaires par l’indexation”, analyse Maud Larochette, CFO de N-Side, une scale-up spécialisée dans les solutions logicielles d’analyse et d’optimisation de données pour les secteurs pharmaceutique et de l’énergie. Lorsqu’elle a commencé il y a cinq ans, l’entreprise comptait 35 employés, aujourd’hui ils sont 200 dont 83 ont été engagés en 2021. “C’est une fameuse masse salariale supplémentaire mais on ne s’attendait pas à une telle indexation. C’était difficile de l’anticiper”, explique la directrice financière. Dans le secteur, payer davantage que le concurrent est nécessaire pour conserver des talents souvent prisés par le marché. “L’indexation va nous faire perdre en attractivité car on perd cet avantage compétitif du salaire, poursuit Maud Larochette. La rétention est aussi mise sous pression, on doit donc être créatif pour leur offrir d’autres choses que simplement un bon salaire.”

L’entreprise, qui concentre son business sur l’optimisation, a donc décidé d’optimiser également ses packages salariaux. Droits d’auteur, frais de représentation, chèque-repas, réduction du précompte professionnel et formations… N-Side compte bien maintenir d’autres avantages et mise sur la culture d’entreprise, des moyens qui permettent de limiter les coûts salariaux mais également de retenir les employés autrement. “Il faut aussi offrir du sens aux travailleurs”, poursuit la CFO qui se demande si l’optimisation de package salarial n’est pas la clé pour permettre aux entreprises de s’en sortir tout en soutenant les employés. “Heureusement que l’on proposait déjà ses services car même les employés qui disaient avoir un salaire confortable ressentent l’inflation.”

La hausse des prix de l’énergie a peu de conséquence pour la scale-up: même si elle compte des locaux, ordinateurs et serveurs, 80% des frais de l’entreprise sont liés aux salaires. Parmi les employés, 20 sont basés aux Etats-Unis et ne sont donc pas concernés par l’indexation, ce qui ne les empêche pas de ressentir l’inflation. “Le marché est très différent, explique Maud Larochette. Pour être compétitif, il faut s’adapter au salaire du marché et être capable de s’aligner face aux concurrents.”

L’entreprise avait initialement prévu de recruter 100 personnes au lieu de 83. “Il a fallu se limiter pour anticiper au mieux car l’indexation devient sans contrôle.”

Un franchisé Carrefour: “Trois grandes préoccupations”

L’indexation automatique est-elle une menace pour l’emploi? “Oui c’est certain, assure Maxence de Maeseneire, franchisé exploitant alimentaire. Surtout dans le secteur de la distribution alimentaire où les coûts fixes augmentent alors que les marges restent très faibles.”

A la tête d’un Carrefour Express à Spa depuis 2007 et d’un Carrefour Market à Embourg, dans la commune de Chaudfontaine, Maxence de Maeseneire a choisi de combiner les deux formules de franchise proposées par Carrefour. La première enseigne est un magasin de proximité, la deuxième un supermarché spécialisé en produits frais et axé sur les services, couvrant une surface de 1.800 m2. “La gestion est la même mais le format et la typologie diffèrent”, précise-t-il. Maxence de Maeseneire emploie cinq personnes dans son Express de Spa et 30 dans le supermarché d’Embourg. Tous sont concernés par l’indexation automatique des salaires qui dépassera les 10%. “Les commissions paritaires varient en fonction du magasin, explique le franchisé. Les petits points de vente appartiennent à la 201, les plus grands à la 202.”

Le coût salarial des deux points de vente n’est pas non plus comparable car la configuration y est différente: l’Express présente des employés polyvalents alors que le Market compte des spécialistes comme les bouchers. “Une main-d’oeuvre qualifiée qui offre un service qualitatif aux clients mais dont le coût est plus important.” Le coût du personnel pour l’année 2021 représentait 9,5% du chiffre d’affaires annuel hors TVA. Maxence de Maeseneire estime qu’il sera de 10% pour 2022 mais redoute d’arriver à 11% pour l’année prochaine. “Ce serait très compliqué“, dit-il.

Faudrait-il arrêter l’indexation? “Je ne suis pas contre son principe. Je suis même très content que mes collaborateurs puissent en bénéficier pour faire face à l’inflation”, poursuit le responsable. Le problème pour ce franchisé, c’est qu’il n’y a pas que l’indexation des salaires. “Il faut aussi prendre en compte la hausse des prix de l’énergie et l’indexation des loyers, ce sont les trois grandes préoccupations qui compliquent la situation.”

Afin de remédier à ces hausses de coûts, Maxence de Maeseneire a dû diminuer le nombre d’heures par semaine de ces employés. “On a également réduit le nombre d’étudiants et privilégié des stagiaires car la main-d’oeuvre est moins chère, même si elle demande du temps pour être formée.”

Si le coût de l’indexation ne devait pas être pris en compte, ce franchisé investirait dans des innovations énergétiques afin d’améliorer ses points de vente et ainsi contrer la hausse des prix de l’énergie.

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