Olivier de Wasseige (UWE): “On n’imagine pas le tsunami social qui arrive”
L’administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises exprime sa crainte pour l’emploi. Il souligne combien l’indexation des salaires “ne va pas dans le bon sens” et réclame une réforme fiscale.
L’indexation automatique des salaires va-t-elle tuer l’emploi? C’est le thème du dossier de couverture de Trends Tendances, ce jeudi. C’est la question que nous avons notamment posée à Olivier de Wasseigne, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises (UWE), qui ne cache pas son inquiétude.
Les défis s’accumulent en cette rentrée avec l’explosion du prix l’énergie, à laquelle s’ajoutera, début 2023, une indexation automatique des salaires de 10% pour de nombreuses entreprises. Vous tirez la sonnette d’alarme depuis le début de l’année. Arrive-t-on à un moment critique ?
Oui, à 100%. Je confirme que le problème est réel. Il l’est même pour des entreprises qui ne sont pas touchées directement par le problème de l’énergie. Forcément, on savait que l’indexation automatique des salaires toucherait tout le monde de plein fouet, mais nous pensions que certains secteurs seraient moins affectés que d’autres. Je suis moins rassuré maintenant. Et forcément, ce cumul avec le problème de l’énergie est invivable.
En général, on nous rétorque que pour une partie des entreprises, cette indexation est une bonne nouvelle parce que l’on va pouvoir augmenter le pouvoir d’achat des gens. C’est vrai, mais une bonne partie de cette augmentation, les gens vont la consacrer à couvrir leurs dépenses énergétiques. Et en période de crise, les gens ont tendance à épargner plus parce qu’ils ne savent pas ce qui va arriver. L’indice de confiance des consommateurs est en train de diminuer.
En ce qui concerne les entreprises, il faut aussi savoir que certaines d’entre elles ne savent pas répercuter ces augmentations dans leurs prix. Ou pas assez : un boulanger a annoncé qu’il fermait parce que s’il avait dû répercuter la hausse dans ses prix, le pain aurait coûté dix euros. Personne ne va acheter un pain à dix euros…
Quand on dit que l’indexation automatique des salaires ne va toucher qu’une petite partie des entreprises soumise à compétition internationale, je pense que l’on se trompe. Je vois de plus en plus d’entreprises dont je pensais qu’elles pourraient passer le cap exprimer leurs craintes, parce qu’elles ont des clients qui sont eux-mêmes impactés. Politiquement, on risque de se retrouver dans la même situation qu’avec le Covid, avec la nécessité de remonter les chaînes de valeurs en amont. On a fermé l’Horeca, mais on a dû aussi aider tous ceux qui fournissent l’Horeca… Ici, on va avoir la même chose.
J’ai récemment entendu une entreprise en bonne santé annoncer qu’elle allait supprimer 15% de son personnel. Jamais je n’aurais imaginé ça.
L’emploi, c’est cela la “variable d’ajustement” ?
Je prends toujours cet exemple pédagogique pour exprimer la situation- et notamment pour ceux qui n’ont pas envie de la comprendre !
La taille moyenne des entreprises wallonnes, c’est 9,5 personnes. J’arrondis à 10. Pour une entreprise de dix personnes confrontée à une indexation de 10%, cela signifie qu’elle va payer onze personnes alors qu’elle n’en dispose que de dix. Cela signifie que sa compétitivité sera moindre. Si dans son plan d’embauche pour 2023, elle comptait augmenter son staff de 10%, elle va y renoncer. On va diminuer les recrutements, c’est certain. Mais si une entreprise ne sait pas payer le salaire de onze personnes, elle va en licencier une. Si c’est une entreprise de 40 personnes, elle va en licencier quatre.
Je pense qu’on ne se rend pas compte du tsunami social qui arrive.
Un tsunami, à ce point-là ?
Si aucune mesure n’est prise, bien sûr.
C’est vrai qu’il y avait un paradoxe ces derniers temps avec beaucoup d’embauches et 40 000 emplois vacants en Wallonie. Oui, certains secteurs continueront à embaucher, mais de façon moins importante. Et celui qui recrutera parce qu’il en a besoin, il investira moins, il n’achètera pas la machine dont il a besoin ou il n’investira pas dans une filiale à l’étranger. En terme de croissance et de PIB, cela se payera quelque part. Quant aux emplois vacants, je rappelle que ce sont des offres d’emploi qui correspondent à des métiers en pénurie et cela risque de ne pas changer. On cherchera toujours des maçons, des bouchers ou des informaticiens que l’on ne trouve pas.
Novembre et décembre, avec la préparation des plans budgétaires pour l’année prochaine, seront-ils les mois de tous les dangers ?
Exactement. Nous présenterons notre point conjoncturel d’ici deux semaines, mais on percevra une diminution des intentions d’investissements et donc de croissance, même pour ceux qui ne licencieront pas. Un jeune entrepreneur qui a créé une start-up avec des ouvriers et des employés me disait il y a quelques jours qu’il garderait les ouvriers pour la production, mais qu’il ne pourrait plus payer les employés en raison de l’inflation. Le résultat, c’est qu’il ne pourra plus faire grandir la boîte, faute de commerciaux et de R&D.
Des entreprises de services qui sont en compétition internationales et gagnent des appels d’offres en jouant sur un pourcent, m’ont également fait part de leur inquiétude. Tout le poids de ces appels d’offres repose sur des prestations intellectuelles, en compétition avec le monde entier, mais nous ne sommes qu’un des quatre pays d’Europe à avoir cette indexation avec le Luxembourg, Malte et Chypre. Cette charge supplémentaire coûtera des millions d’euros qui ne peuvent être compensés, ce qui réduira d’autant les capacités d’investissements. On ne se rend pas compte…
Certains évoquent les marges importantes faites par les entreprises lors de la reprise post-Covid et les dividendes octroyés.
Je rappelle quand même que l’Etat a intérêt à ce qu’il y ait des dividendes puisqu’il y a un précompte de 30%.
Je rappelle aussi que (le vice-Premier socialiste – Ndl) Dermagne se base sur une étude de la Banque nationale selon laquelle les entreprises ont fait des marges en 2021 : cette étude est très académique et on ne peut pas avoir un raisonnement comme le sien en se basant sur la médiane. Vous connaissez la médiane : on se base sur l’entreprise qui est au milieu de la cohorte. En réalité, la médiane a peut-être fait une marge de 1% et les 50% en-dessous ont peut-être perdu de l’argent. On ne peut pas dire que toutes les entreprises ont gagné de l’argent. Avec une telle analyse, on serait recalé à l’école. C’est incroyable de dire des choses comme ça. Et cela ne tient pas compte ni des disparités régionales – on sait bien que les marges sont supérieures en Flandre -, ni des disparités sectorielles – certains s’en sortent mieux que d’autres.
Ce sont, en outre, des estimations de 2021, et la situation s’est aggravée en 2022 !
En ce qui concerne l’indexation, le MR s’est emparé de l’idée de plafonner ou de défiscaliser. C’est là-dessus qu’il faut travailler ?
L’idée d’une défiscalisation est bonne et il y a certainement des choses à creuser là-dedans. Par contre, on pense que ce n’est pas idéal et pas facile à mettre en oeuvre. Pour quelle période cela vaudrait-il ? Et que se passe-t-il si le collaborateur change d’entreprise : part-il avec sa défiscalisation ?
Mais il faut trouver des pistes, oui. Ce que nous disons, comme nous le disions déjà avant la crise, c’est qu’il faut faire quelque chose pour les bas salaires. Nous avons un problème en Belgique, et particulièrement en Wallonie, de pièges à l’emploi : pour les moins qualifiés, le salaire net proche est beaucoup trop proche de l’allocation de chômage. Pour X euros en plus, les gens n’ont pas envie d’aller travailler, surtout si cette somme est absorbée par les frais de déplacement. En plus, on sait qu’au chômage, une partie en profite pour travailler un peu sur le côté.
Pour nous, il faut avoir un débat sur la dégressivité des allocations de chômage. On voit bien qu’après deux ans, l’employabilité diminue complètement. On n’aide pas la personne en ne poussant pas à chercher. Je sais bien que politiquement, ce n’est pas évident à faire passer, mais nous disons qu’il faut aider de façon ciblée et structurelle les bas salaires nets.
On parle d’une réforme fiscale, là ?
Oui. Et il faut le faire sans augmentation du coût patronale, sinon on retombe dans le problème du handicap de compétitivité. L’Etat doit prendre ses responsabilités. Et si ce n’est pas structurel, qu’on le fasse au moins pendant la crise. Nous préférons cette solution plutôt que d’avoir une indexation.
Et l’indexation automatique alors, que devient-elle ?
Le patronat a toujours dit que cela n’allait pas dans le bon sens…
Cela signifie des sauts d’index, alors, compensés socialement ?
Compensés socialement pour ceux qui en ont besoin.
C’est un mécanisme différent du plafonnement ?
Oui. Le problème de l’indexation, c’est qu’elle est très rarement réversible. On va indexer les salaires de 10%, mais quand l’inflation s’apaisera, on va dire aux gens que l’on revient sur ces 10% ? Non, ce serait une révolution. On donne une charge structurelle en plus aux entreprises.
Le saut d’index, le patronat n’utilise plus le mot alors qu’il le faisait auparavant : parce que c’est impossible politiquement ? C’est un tabou pour le PS.
Voilà. Nous ne demandons pas un saut d’index, nous demandons une solution focalisée sur ceux qui en ont le plus besoin et nous demandons même que cela devienne structurel parce que la question des pièges à l’emploi est un problème réel en Wallonie. Le chômage diminue un peu, mais ce n’est pas suffisant.
Faudrait-il une réforme structurelle de cette indexation ? Ce n’est pas prévu dans l’accord de gouvernement fédéral…
Tout à fait. La question que l’on peut se poser, c’est de savoir pourquoi cela fonctionne dans les pays voisins sans indexation automatique. Le gouvernement français a pris des mesures d’aides très fortes, l’Allemagne a mis en place de 65 milliards… Cela permet des aides plus justes et plus ciblées. L’indexation est un système généralisé qui concerne aussi les chefs d’entreprises, les ministres… Un mécanisme plus ciblé permettrait de dire que ce n’est pas nécessaire pour les hauts salaires, et que cela aide les bas revenus.
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