Famille Dejonghe: “L’esprit d’entreprise n’est pas inscrit dans les gènes”

Les frites surgelées :+ 51 %. © BELGAIMAGE

La Flandre-Occidentale est depuis des décennies l’épicentre du commerce des légumes surgelés en Europe. Ce succès international est dû à la famille Dejonghe dont les cousins Herwig, Jan et Koen sont les visages les plus connus. Si seul Herwig continue à s’occuper de légumes, Jan et Koen ne restent pas inactifs pour autant.

Les trois cousins Herwig, Jan et Koen Dejonghe ont littéralement grandi au milieu des choux-fleurs, des petits pois et des carottes. En créant Pinguin en 1965, leurs parents ont été de véritables pionniers des légumes surgelés. “Au départ, la société s’appelait Weduwe Dejonghe & Sons, en référence à ma grand-mère, se souvient Herwig. Mais ce nom était évidemment peu commercial.” Herwig est entré dans l’entreprise en 1982, Jan en 1985 et Koen en 1992. “Nous avons énormément travaillé pendant 20 ans. Du lundi matin au dimanche soir”, commente Herwig. “En saison, le secteur tourne sept jours sur sept, 24 heures sur 24, ajoute Jan. Les haricots et les petits pois n’arrêtent pas de pousser le week-end.”

Herwig, Jan et Koen Dejonghe
Herwig, Jan et Koen Dejonghe”Seuls les gestionnaires de fortune s’intéressent aux rentiers.”

Par la suite, les trois hommes ont vendu leur participation dans ce qui fait aujourd’hui partie du groupe coté Greenyard. Ils n’en restent pas moins des entrepreneurs dans l’âme. “L’esprit d’entreprise n’est pas inscrit dans les gènes, martèle Herwig. C’est grâce à l’environnement social – ici, dans une famille où l’on en parle positivement -qu’il s’acquiert. Mes enfants sont des entrepreneurs, ceux de mes deux frères aussi. J’ai de beaux-enfants qui ne sont pas issus de ce milieu: là, le discours est tout autre, ‘ne faites pas ceci, ne faites pas cela’. A force, ça marque.”

Famille Dejonghe:

Les trois cousins pourraient vivre de leurs rentes mais ce n’est pour eux pas une option. “Vivre de ses rentes, avec les taux d’intérêt actuels? rit Jan Dejonghe. Seuls les gestionnaires de fortunes s’intéressent aux rentiers. Qui eux-mêmes n’ont plus pour se distraire que des tournois de golf ou des sorties en voilier. Non, ce qu’il faut, c’est continuer à s’occuper. Cela permet de demeurer actif et d’entretenir son réseau. J’ai certes pris un peu de distance car je ne veux plus courir comme un dératé, au gré d’un agenda fixé par d’autres, mais on me propose régulièrement des postes de CEO, que je refuse parce que j’aurai 60 ans l’an prochain. Le matin, je parcours souvent à cheval le mont Noir ou le mont des Cats ; je peux me le permettre désormais. L’après-midi, je m’occupe de mes sociétés. Par passion, sans plus de contraintes.”

Tissu social

Agé de 63 ans, Herwig est l’aîné des cousins. “J’aime mon travail. Il est super agréable. Nombreux sont les entrepreneurs qui regrettent d’avoir vendu leur société familiale ; pas à cause de l’argent, mais parce qu’ils se sont privés de leur quotidien. Leur tissu social s’est délité. Je vais régulièrement luncher avec des gens du secteur, ce qui ne m’est permis que parce que j’en fais partie moi aussi.” Le trio ne s’accroche pas désespérément pour autant à ses entreprises. Herwig voit en son fils Francis, ingénieur civil, un très sérieux successeur. Ses trois filles sont actives dans le marketing et dans la société audiovisuelle BV Clementine, qui réalise principalement des films. “Francis travaille dans mon usine de légumes surgelés en France depuis 2016. Très intéressé par la technologie, il aime bricoler sur les machines. Dans l’usine, il est le spécialiste du tri optique.”

Herwig, la passion des légumes surgelés

Des trois cousins, Herwig est le seul à être demeuré actif dans le secteur des légumes surgelés. Il a travaillé dans l’entreprise familiale de 1982 à 2014. Fin 2014, il s’est offert une usine Greenyard à Ychoux, au sud de Bordeaux. “Je voue un véritable culte aux légumes surgelés, sourit-il. Hein Deprez, le CEO de Greenyard, m’avait proposé de racheter cette usine que le groupe voulait fermer.” Herwig parcourt chaque semaine en TGV les 1.000 kilomètres qui le séparent de son appartement de Bordeaux. “L’année dernière, nous avons traité 39.000 tonnes de légumes, calcule-t-il. Notre produit principal est le maïs doux, suivi des carottes.”

Herwig Dejonghe possède près des trois quarts des actions de l’usine, par le biais de son holding patrimonial SA Vijverbos (total du bilan: 8,5 millions d’euros). Deux coopératives agricoles françaises détiennent les parts restantes. “Je fournis presque exclusivement à l’industrie alimentaire. Les acheteurs de maïs doux sont les usines de traitement flamandes de produits surgelés, dont Greenyard.”

Dans le cas de Koen Dejonghe, la question de la succession ne se pose pas encore. “Je n’ai que 53 ans. J’ai encore quelques années devant moi. Je veux transmettre une entreprise qui soit parfaitement en ordre. J’apprécie beaucoup l’intérêt que mes deux enfants portent à la société mais ils doivent commencer par acquérir cinq ans d’expérience ailleurs.” Son fils Frederik, ingénieur commercial, est business development manager chez Biolectric. Cette filiale d’Ackermans & van Haaren située à Tamise produit de l’électricité à partir du lisier, via un système de fermentation. Assistante en ressources humaines chez Engi Talents, Stéphanie s’occupe du placement des ingénieurs.

Koen, l’homme aux machines

Koen Dejonghe a été pendant des années directeur technique chez Pinguin, puis chez Greenyard. Véritable amoureux des machines, il a racheté la SA Werkhuizen Deswarte à Izegem en 2016. “Nous avons 19 ingénieurs, 35 employés à l’atelier et une équipe de maintenance de 20 personnes sur la route. L’atelier est équipé de 20 machines différentes. Tout est conçu sur mesure. Un client a un problème? Nous concevons une solution technique complète, nous construisons l’installation, et nous la montons.” Unilin et Umicore sont d’importants clients. Werkhuizen Deswarte a construit l’an dernier 10 silos de 6.400 m3 chacun, lignes de transport comprises, pour Vandamme, qui produit des huiles végétales destinées à l’industrie des frites. “L’alimentation n’est pas notre principal marché, mais c’est celui qui connaît la plus forte croissance, commente Koen Dejonghe ; elle assure un quart du chiffre d’affaires. La nourriture et la technologie sont donc restées mes domaines d’activité, même après Greenyard.” Werkhuizen Deswarte est à la fois petite et extrêmement saine. Elle est détenue par Kofa, acronyme formé par les prénoms de Koen Dejonghe et de son épouse, Fabienne Bertrand. Total du bilan: 3,4 millions d’euros.

Jan Dejonghe a une vision très tranchée des choses. “Mes deux filles sont dans le paramédical: Justine est pharmacienne, Louise, kinésithérapeute. Impossible pour elles d’intégrer l’entreprise. Mon fils Jan-Baptist n’est pas encore un meneur mais je n’exclus pas qu’il puisse jouer un rôle lors de reprises futures. C’est un excellent vendeur mais pas un leader. J’ai dû lui annoncer que je lui préférais mon gendre, Olivier Tombeur. Bien sûr, cela ne me fait pas plaisir, mais je n’y peux rien. Ça a été dur pour Jan-Baptist de s’entendre dire que je ne le jugeais pas apte pour le poste de direction. Mais confier à tout prix la succession à ses propres enfants est le meilleur moyen de condamner une entreprise. Pour éviter les frustrations, on peut par exemple inviter l’ensemble des enfants à élire eux-mêmes le CEO en leur sein: la décision ne vient alors pas du père. J’ai bien dû travailler avec mes cousins pendant des années chez Pinguin: vous imaginez la punition! (rires du trio). J’approche donc de mes 60 ans. A ce stade, il faut surtout former et inspirer les jeunes, transmettre ses connaissances et ses acquis. La génération suivante doit pouvoir entreprendre. Partager son expérience, qu’elle soit bonne ou mauvaise, est très gratifiant. Même si on a fait beaucoup d’erreurs. L’expérience n’est du reste rien d’autre que la somme de ses erreurs ; c’est en se trompant qu’on apprend.”

Jan, le financier

Ex-CFO de Pinguin, Jan Dejonghe est, du trio, celui qui manie avec le plus d’aisance le jargon financier. Son parcours est digne d’être salué. “Par hasard, j’ai rejoint Abriso. Cette PME, qui appartenait à la famille Deceuninck, était plongée dans les difficultés. Je l’ai reprise en 2013.” Abriso-Jiffy, sa successeure, a été vendue l’été dernier. Il n’a fallu que six ans à cette société située à Anseghem pour devenir le plus grand producteur européen de papier bulle. Abriso-Jiffy, qui possède 17 usines dans 12 pays d’Europe, fabrique également des panneaux d’isolation pour le secteur de la construction. Elle réalise un chiffre d’affaires de 290 millions d’euros et emploie 1.700 personnes. “Il est aujourd’hui plusieurs régions d’Europe dans lesquelles Abriso-Jiffy n’a plus aucun concurrent. C’est grâce à cette position dominante que nous pouvons répercuter entièrement l’envolée des coûts ; l’Ebitda est même supérieur à ce qu’il était avant que l’inflation ne s’emballe.”

Jan Dejonghe a très bien vendu sa société. Le holding SA Abriso Invest détenait 41% des parts du producteur de papier bulle et la famille Dejonghe, la majorité des actions d’Abriso Invest. Le holding, liquidé depuis, a acté au dernier exercice pour 60 millions d’euros de produits exceptionnels. Même après Abriso-Jiffy, Jan Dejonghe a continué à investir. Il a racheté au printemps Coelembier, qui fabrique et installe du mobilier commercial et résidentiel sur mesure. “Pour les logements privés, nous visons vraiment le plus haut de gamme, les clients les plus fortunés. Les marges sont importantes, mais ces personnes sont très exigeantes. Nous meublons des maisons entières. Pour les banques, nous aménageons les bâtiments qui abritent les terminaux de retrait d’argent.” Il y a un an, Coelembier, basée à Kuurne, a racheté son concurrent De Tender, sis en Flandre-Orientale.

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