Et si mieux dormir vous rendait plus performant?

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Métro-boulot-pas dodo (ou mauvais dodo). Le véritable mal du siècle serait le manque de sommeil. Les conséquences des mauvaises nuits sur l’économie et la productivité sont immenses et destructrices pour les travailleurs. La start-up Sleepability éveille les consciences: et si la capacité à bien dormir figurait parmi les “soft skills” menant au succès?

Avant que l’invention de l’ampoule électrique et la révolution industrielle ne fassent de lui un animal travailleur, l’homo sapiens vivait au rythme de la nature. La nuit tombant, il entamait un retour au calme, un ralentissement de son activité. Ainsi, l’air de rien, il préparait son corps et son esprit au sommeil. Puis l’industrialisation est passée par là ; travailler de longues journées et, mieux encore, le soir chez soi, est devenu un must. Pour notre société, être productif, c’est travailler sans arrêt. Le sommeil s’est vu relégué au rang d’activité secondaire, voire coupable. Allez répondre à votre patron qui vous demande de produire une présentation pour le lendemain que celle-ci peut attendre car vous avez besoin de vos huit heures de sommeil…

De même, une large majorité de leaders sont très fiers de dormir très peu. Survivre et performer en dormant moins est devenu un but en soi. C’est l’absurde mais très répandu ” Si on inventait un médicament pour ne pas devoir dormir, je le prendrais volontiers “, entend-t-on souvent dire.

Comment notre civilisation s’est débarrassée du sommeil

” Enormément de choses dans notre société vont à l’encontre d’un bon sommeil “, entame Vanessa Durieux, qui a rejoint cette année Dot Zacharias aux commandes de Sleepability. Toutes deux évangélisent particuliers et entreprises sur l’importance de redonner au sommeil sa juste valeur, alors qu’il a été mis de côté par les normes sociales valorisant la productivité. Mais qui a dit que sommeil et productivité n’étaient pas conciliables ? ” Un autre mal moderne, c’est l’hyperconnectivité : 85% des personnes que l’on interroge lors de nos rencontres regardent encore un écran cinq minutes avant de dormir, fait remarquer Dot Zacharias. Elles savent que c’est mauvais, que la lumière bleue qui émane de leur écran de smartphone les empêche de bien dormir, mais elles y sont tellement accros… Certes, la mode du wellbeing commence à gagner les entreprises et nombre d’entre elles engagent des actions de sensibilisation. Mais celles-ci sont souvent focalisées sur la nutrition et le sport, alors que de plus en plus de scientifiques avancent que le sommeil est le fondement du bien-être. ” La jeune entrepreneuse, anglaise d’origine, a démarré sa carrière à Londres, chez Deloitte puis au sein d’une fondation, avant de se réorienter vers le coaching et plus particulièrement le sleep coaching lors de son installation en Belgique il y a trois ans. ” Le sleep coaching est une discipline encore très peu connue en Belgique. Elle est plus répandue au Royaume-Uni. Je l’associe au yoga nidra – une technique de relaxation et d’introspection profonde particulièrement efficace pour améliorer le sommeil. J’ai d’ailleurs commencé à exercer en animant des sessions de yoga nidra en entreprise. ”

L’idée est de modifier durablement les mauvaises habitudes et les croyances des participants.

Dot Zacharias a par ailleurs rencontré le professeur Neil Stanley qui collabore aujourd’hui avec Sleepability pour tous les aspects scientifiques. ” Le Dr Stanley a étudié le sommeil pendant près de 40 ans et nous partageons la même vision, indique-t-elle. C’est un concept devenu beaucoup trop complexe, qui fait peur à beaucoup de monde. Les gens ont du mal à dormir après avoir lu un livre sur le sommeil car ils sont angoissés. Il faut démystifier, rassurer, simplifier. ”

Mieux dormir pour vivre son plein potentiel

Faire prendre conscience aux employeurs et à leurs employés de l’importance d’un bon sommeil, telle est la mission de Sleepability. ” Nous aimons commencer nos conférences en reprenant ces mots du scientifique Allan Rechtschaffen, commente Vanessa Durieux : ‘Si le sommeil ne sert pas une fonction absolument vitale de l’organisme, il est la plus grande erreur que l’évolution ait jamais faite’. On dort un tiers de notre vie ; on ne peut rien faire d’autre à ce moment-là et, en plus, on est vulnérable face à tous nos prédateurs. Et pourtant, tous les hommes et tous les animaux dorment, personne ne peut se passer de sommeil. Si tous les types d’êtres vivants ont évolué en gardant la fonction du sommeil, c’est que c’est quelque chose de crucial. Cela remet les choses en perspective bien qu’il reste encore de nombreuses zones d’ombre dans la compréhension du sommeil. ”

” La première chose à savoir pour renouer avec un bon sommeil, c’est que c’est quelque chose de très personnel (quelque chose peut vous empêcher de dormir et laisser votre voisin indifférent) et de subjectif, complète Dot Zacharias. Si vous vous levez le matin en vous disant que vous avez mal dormi, vous allez passer une mauvaise journée comme si vous aviez effectivement mal dormi. Votre cerveau va envoyer des messages bien réels à votre corps et vous ressentirez vraiment l’effet de la fatigue… que vous compenserez souvent par un recours à la caféine plus ou moins élevé. ”

” Notre approche est simple et démystifiante, assure Dot Zacharias. On rend au sommeil naturel sa place centrale et on aide les gens à refaire confiance à leur corps qui sait parfaitement ce qu’il doit faire pour retrouver le chemin d’un bon sommeil naturel. ”

L’approche de Sleepability se compose de quatre volets : des conférences et des ateliers proposés au sein des entreprises, puis un ” challenge ” en ligne que les gens peuvent suivre de chez eux et un suivi personnalisé à travers des sessions de coaching du sommeil.

” Nous commençons souvent par une conférence dont le but est d’informer et inspirer, précise Vanessa Durieux. Nous y abordons les points essentiels du pourquoi et du comment nous dormons. Cette conscientisation est importante, les gens se rendent compte des choses fascinantes qui se passent dans leur cerveau et dans leur corps pendant leur sommeil. Le but est qu’en sortant de la conférence, les employés se lancent dans un trajet de réflexion sur leur propre sommeil. Ceux qui le souhaitent peuvent alors participer à un atelier interactif en plus petits groupes ou se lancer dans notre Sleepability Challenge. Ici on passe au plus concret ; on entre dans une démarche active de changement. ”

” Pour réapprendre à bien dormir, il faut changer ses habitudes mais aussi son état d’esprit, ses croyances liées au sommeil, explique Dot Zacharias. Nous avons tous des croyances liées au sommeil qui sont profondément ancrées, parfois depuis l’enfance. Nous avons, par exemple, rencontré une personne qui, enfant, se faisait réveiller chaque nuit par son père pour faire ses devoirs. Elle en était toujours marquée et un stress la gagnait chaque soir au moment de s’endormir. ”

Dot Zacharias et Vanessa Durieux
Dot Zacharias et Vanessa Durieux© PG

Trente jours pour changer

Unique sur le marché, le Sleepability Challenge est un programme en ligne d’un peu plus d’un mois qui met en avant ces deux aspects : le changement des habitudes et des croyances.

” Notre approche offre un cadre de réflexion construit de façon à ce que chacun puisse élaborer son plan d’action personnel en suivant les différentes étapes, poursuit Vanessa Durieux. L’idée est de reprendre conscience de l’importance de son propre sommeil puis d’identifier les petites choses que nous pouvons changer pour renouer avec nos rythmes biologiques, et de commencer à explorer d’éventuels blocages mentaux ou émotionnels. Après une semaine de préparation, le participant définit des objectifs relatifs à l’amélioration de son sommeil qu’il va tracker pendant 30 jours. C’est lui qui va choisir parmi les options qui lui sont offertes le ou les outils qui fonctionnent le mieux pour lui. ” Parmi elles, il y a notamment le yoga nidra et les positive sleep affirmations. Ces dernières sont directement inspirées des positive affirmations, bien connues en coaching ; ces fameuses phrases qui, répétées à de nombreuses reprises, finissent par avoir un effet sur la réalité, grâce à la neuroplasticité du cerveau. A vous de créer votre positive sleep affirmation : ” Je suis dans mon lit, j’ai fait tout ce que je pouvais faire/ Je suis dans mon lit, libérée du stress et des angoisses de la journée “. ” C’est tout à fait sérieux ; le fait de répéter ces phrases chaque soir va changer concrètement vos habitudes d’endormissement “, assure Dot Zacharias.

Un sleep journal reçu en début de challenge permet au participant d’avoir une vue précise de l’évolution de son sommeil tout au long du mois. Il reçoit par ailleurs accès à la plateforme d’e-learning, qui propose une foule de supports : vidéos, conseils pratiques, articles, méditations guidées, etc.

Pour l’instant, l’équipe compte trois coachs communiquant en français, en néerlandais et en anglais. Déjà chevronnés et certifiés en coaching classique, ils ont ajouté la méthodologie de Sleepability à leur expertise.

La start-up propose en outre des sessions de sleep coaching, en personne ou en vidéoconférence, qui sont très appréciées par les entreprises, en complément du challenge ou pour des trajets individuels, par exemple dans des accompagnements de burn-out.

Rendre à l’oreiller ses lettres de noblesse

” Notre méthode est en fait assez simple et basée sur les principes du coaching, explique Vanessa Durieux. L’idée est de modifier durablement les mauvaises habitudes et les croyances des participants. C’est en y étant confrontés qu’ils pourront commencer à changer ; vous ne pouvez pas dire que vous dormez mal et continuer à garder votre mauvaise routine de sommeil ! L’accompagnement est important dans ce changement qui est tout sauf facile. Nous voulons aider les gens à retrouver les trois conditions pour bien s’endormir : un esprit serein, un corps détendu et une chambre propice au sommeil. Trois conditions qui sont souvent devenues très difficiles à réunir aujourd’hui… ”

Après un peu plus d’un an d’existence, Sleepability a déjà séduit une belle brochette d’entreprises. ” Mon tout premier client était Accenture, se souvient Dot Zacharias. Puis Securex a suivi et nous sommes désormais partenaires ; nos propositions sont dans l’offre de Securex en tant que service externe de prévention et les entreprises qui passent par eux peuvent ainsi utiliser leurs unités de prévention pour bénéficier de nos services, s’enthousiasment Dot Zacharias et Vanessa Durieux, qui continuent de prêcher la bonne parole auprès de grandes entreprises – comme Mars, Belfius, Brussels Airlines et la Commission européenne – afin de redonner au sommeil ses lettres d’or.

Pourquoi un sommeil de qualité doit faire partie de vos objectifs professionnels

– Veiller à garder une routine de sommeil saine agit en prévention du burn-out.

– La zone cérébrale du cortex préfrontal, siège de la prise de décisions, de la pensée logique et rationnelle, de la force de leadership, est très impactée par le sommeil.

– Votre cerveau opère pendant que vous dormez un véritable process des informations reçues pendant la journée : il les trie, décide ce qu’il veut conserver et efface ce qui prend trop de place sur votre disque dur. C’est ce qui vous permet de recommencer une journée de boulot le lendemain avec un esprit clair sans vous laisser dépasser par les événements des jours précédents.

– Un manque de sommeil réduit votre productivité (vous travaillez moins) et votre performance (vous faites des erreurs). Vous êtes aussi moins créatif.

– Vous dépensez plus (et mal) votre argent quand vous êtes fatigué.

– Vos émotions, votre vision du monde et vos relations humaines sont influencées par votre sommeil. Si vous êtes fatigué, vous êtes moins empathique et vous interprétez mal les émotions des autres. Par exemple, si un collègue vient vous donner un feed-back, a priori pour vous aider et être constructif, vous avez beaucoup plus de chance d’interpréter son expression comme une agression si vous avez mal dormi.

Quelques chiffres épinglés

– Un Belge sur deux prétend ne pas assez dormir. (1)

– La privation de sommeil coûte 2% du PIB des pays développés en perte de productivité et en soins de santé. (2)

– Une personne sur deux dort moins de six heures par nuit, comparé à 8% en 1942. (3)

– Un employé qui dort moins de six heures par nuit perd six jours de travail par an en absentéisme ou en présentéisme (être au travail sans être productif). (2)

– La privation de sommeil coûte près de 2.000 euros par an et par employé en perte de productivité. (2)

Sources : (1) Etude de Newpharma, 2017, (2) Etude de Rand Europe, ” Why sleep matters “, 2017, (3) Matthew Walker, The Guardian, 2017.

Avez-vous de bonnes habitudes de sommeil ?

– Pour savoir si vous dormez bien, commencez par analyser votre état d’énergie (sans caféine ! ) pendant la journée : comment vous sentez-vous ?

– Sachez que le temps idéal pour s’endormir se situe entre cinq et 15 minutes. Si vous vous écroulez en une minute, c’est que vous manquez de sommeil.

– Les gens ont, en moyenne, besoin de huit heures de sommeil. Si vous prétendez que vous avez besoin de cinq heures, vous êtes sans doute une exception.

– Si faire une sieste est dans votre culture (surtout dans les pays du Sud), maintenez cette habitude. Le besoin de sieste est génétique.

– Idéalement, vous devriez également vous coucher tous les jours à la même heure mais, à choisir, mettez un point d’honneur à faire sonner votre réveil au même moment, en semaine comme le week-end. Votre corps optimise en effet la qualité de votre sommeil par rapport à l’heure supposée de votre réveil.

– Essayez d’éteindre tous vos écrans deux heures avant de vous coucher. Vous n’en reviendrez pas du temps considérable que vous allez gagner et votre sommeil vous remerciera.

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