Entretien avec Charles-Henri de Maleissye, CEO de Vanden Borre: “Le Belge est un client intelligent”

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Camille Delannois Journaliste Trends-Tendances  

Le CEO de Vanden Borre et de Fnac Belgique fait de l’e-commerce un levier de croissance, tout en estimant que la durabilité doit être au centre des activités commerciales. Avec la sortie du nouveau “Contrat de confiance”, Vanden Borre souhaite expliciter son engagement et sa volonté de montrer l’exemple. Une formule gagnante en Belgique? “Ja zeker”, assure Charles-Henri de Maleissye, qui a appris la deuxième langue du pays.

Charles-Henri de Maleissye est un “pure produit” du groupe Darty, où il a exercé plusieurs postes pendant 13 ans. Il est aujourd’hui à la tête des enseignes de la Fnac et de Vanden Borre en Belgique ainsi que responsable du pilotage des activités au Luxembourg. Le Français, implanté à Bruxelles depuis maintenant 14 ans, dit prendre plaisir à travailler en Belgique. “Un super pays, parfois un peu complexe à comprendre.”

A l’occasion de son nouveau “Contrat de Confiance”, Vanden Borre veut affirmer son expérience en durabilité et inscrire cet élément comme nouveau pilier aux côtés du prix, du conseil et du service. L’objectif? Démontrer que la durabilité peut devenir un business model notamment dans le secteur de l’électroménager et du matériel informatique et audiovisuel.

Avec environ 640 millions d’euros de chiffre d’affaires, notre pays est le deuxième marché du groupe Fnac Darty et compte 73 enseignes Vanden Borre et 14 de la Fnac (dont une au Luxembourg).

Profil

  • Naissance à Paris en 1970
  • MBA à la Sorbonne
  • 2006: Master en Economics à l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris (IAE)
  • 2008: Directeur commercial en charge de l’approche commerciale multicanale et de l’approvisionnement chez Vanden Borre
  • 2015: Directeur général de Vanden Borre
  • 2016: Il prend la direction de Fnac Belgique afin d’intégrer les deux enseignes en une seule entité commerciale

TRENDS-TENDANCES. Comment se portent vos enseignes en Belgique?

CHARLES-HENRI DE MALEISSYE. Globalement bien. La Fnac accuse des pertes mais grâce à notre business plan, on a pu diviser celles-ci par deux l’année dernière et on espère continuer à s’améliorer. Depuis la crise sanitaire, on a plus que doublé notre chiffre d’affaires sur internet. Notre stratégie en ligne a permis de compenser la perte de trafic dans les shopping centers même si le public commence à revenir. On a aussi beaucoup travaillé sur nos magasins avec une rénovation et une optimisation de l’espace pour justement inciter le client à revenir. Quant à Vanden Borre, l’enseigne est beaucoup plus profitable historiquement. L’entreprise a de beaux résultats grâce à son positionnement sur les prix et le service qui est reconnu par les Belges. Cette promesse des meilleurs prix permet d’attirer les clients, qui restent fidèles.

Vous employez 1.800 personnes en Belgique. Est-ce que vous avez des difficultés pour recruter de nouveaux collaborateurs?

Oui. Aujourd’hui, trouver du personnel est particulièrement difficile. Plus de 100 offres sont à pourvoir chez nous, tous secteurs confondus. Que ce soit dans la logistique, le service après-vente, le marketing, le digital ou encore le commerce et la vente.

Comment pallier ce manque d’effectifs?

Pour attirer de nouveaux collaborateurs, on travaille sur notre image, ce qu’on appelle l’employerbranding. Il est important de communiquer sur ce que l’on peut apporter à un travailleur. Il faut aussi s’adapter aux attentes des employés et répondre aux demandes de flexibilité. Je suis conscient qu’un employeur ne peut plus proposer les mêmes choses qu’avant, il y a désormais beaucoup d’attente en termes de durabilité. Les gens veulent un travail qui a du sens et une entreprise qui respecte la planète. Les gens sont également très sensibles à la possibilité de télétravailler. C’est une nouvelle donnée à prendre en compte.

Je suis convaincu que l’omnicanalité est la bonne formule. On le voit avec l’évolution des ‘ pure players’, qui ouvrent aussi des points de vente physiques.

Comment expliquer cette pénurie à laquelle les entreprises doivent faire face?

Il y a d’abord un aspect démographique. Toute une génération part à la retraite. Il y a également des nouveaux métiers qui se créent et pour lesquels les filières de formation ne sont pas encore assez développées. Sans compter ces professions qui ont été extrêmement délaissées, tels les métiers manuels. Dans notre société, ceux-ci ne cessent d’être dévalorisés alors que nous continuons à en avoir besoin. Il y a aussi des métiers plus contraignants en termes d’horaire et qui ont été moins accompagnés pendant la crise sanitaire. L’horeca, par exemple.

Vous proposez des formations?

Oui, on travaille sur une formation conjointe avec des organismes comme Actiris ou le VDAB. Nous collaborons également avec des écoles afin de créer des filières de formations. L’économie circulaire a aussi une place importante au sein de nos enseignes. C’est pourquoi nous soutenons des organismes comme Les Petits Riens. Au sein de nos ateliers, des stagiaires sont formés au métier de technicien. Sur les deux dernières années, 40% des techniciens que nous avons recrutés étaient issus de cette filière de l’économie sociale et solidaire. C’est une de mes plus grandes fiertés.

En France, l’indexation automatique des salaires n’existe pas. Est-elle un problème pour les enseignes belges?

Oui, c’est un vrai problème. Supporter la hausse de ces coûts est très compliqué dans un schéma économique tel que le nôtre, où les marges n’augmentent pas. Pour y faire face, les entreprises ont tendance à ne plus employer de personnes supplémentaires. Ce n’est pas le cas chez nous puisque nous sommes en manque de personnel, mais il faut savoir que 60% des coûts de l’entreprise vont dans les salaires. Il faut également prendre en compte la hausse des prix des loyers – ce qui a des conséquences pour nos enseignes car nous louons tous nos magasins – mais aussi les prix de l’énergie.

Concernant les loyers, vous avez introduit une demande, conjointement à Comeos

Oui, nous avons proposé de lier l’indexation des loyers au degré d’isolation d’un bâtiment. Si celui-ci offre une bonne performance énergétique, le propriétaire pourrait appliquer le pourcentage d’indexation afin de financer les rénovations effectuées. Mais si le bâtiment n’est pas aux normes, l’indexation serait moins forte.

Aujourd’hui, comment vos enseignes font-elles alors face à l’inflation et à cette hausse des prix de l’énergie? Allez-vous les répercuter sur le client?

Vanden Borre garantit le prix le plus bas, nos enseignes n’appliqueraient donc pas de hausses de prix si les concurrents ne le faisaient pas. Cependant, les fournisseurs augmentent leur prix. Il est donc nécessaire d’accroître ces prix de vente, mais ça ne suffit pas toujours…

Avec des prix à la hausse, les Belges achètent moins d’électroménager?

Non, pas forcément. Ils s’offrent uniquement les produits dont ils ont besoin mais n’achètent pas pour autant moins haut de gamme. Les Belges se sont procuré énormément d’appareils pendant la crise sanitaire. Les restrictions ont poussé les ménages à acquérir des équipements électroménagers afin de rendre leur foyer plus confortable.

En moyenne, à combien est évaluée cette hausse de prix?

Cela dépend des domaines. Le secteur de la télévision et des télécoms n’augmente pas trop puisque la baisse des prix de la technologie compense. Mais certains produits électroménagers ont augmenté jusqu’à 10%, suivant l’inflation. Le problème, c’est que cette inflation est importée, la Belgique n’a donc pas la main dessus. Les pénuries, la guerre en Ukraine, la hausse de la demande pendant la crise sanitaire et le semi-confinement en Chine influencent aussi les prix.

Entretien avec Charles-Henri de Maleissye, CEO de Vanden Borre:
© PHOTO: CHRISTOPHE KETELS (BELGAIMAGE)

Il y a des produits en pénurie?

Il y en a eu ces dernières années, mais plus aujourd’hui.

Observez-vous des problèmes au niveau des délais de livraison?

Non, pas de problème non plus.

Vanden Borre était précurseur dans l’e-commerce grâce à une plateforme développée en 2002. Qu’est-ce que ce canal représente pour vos enseignes?

Aujourd’hui, l’e-commerce représente entre 25 et 30% de notre chiffre d’affaires. Mais on a toujours considéré qu’il ne fallait pas opposer l’e-commerce aux magasins physiques. Les deux approches sont complémentaires, c’est ce qu’on appelle l’omnicanalité. Le site a toujours été intégré aux enseignes. Il est possible d’acheter un produit sur internet et d’aller le récupérer en magasin 30 minutes après. Nos vendeurs offrent alors leur expertise aux clients et vérifient que le produit leur convient, ou leur donnent des explications. L’inverse est également possible: les clients réalisent une sélection en magasin et la valident sur le site après réflexion. Je suis convaincu que l’omnicanalité est la bonne formule, on le voit avec l’évolution des pure players, qui ouvrent aussi des points de vente physiques.

Le développement de l’e-commerce ne menace donc pas l’ouverture de nouveaux points de vente physiques?

Non, on continue d’ailleurs d’en ouvrir. Il faut repenser le rôle du magasin, on doit offrir un service personnalisé.

L’e-commerce fonctionne aussi bien pour la Fnac?

Oui. L’enseigne avait autrefois du retard mais aujourd’hui, elle est au même niveau de Vanden Borre. Le livre représente une grosse catégorie du clic & collect.

Les Belges achètent beaucoup sur les plateformes étrangères. Comment analysez-vous cela?

La Belgique a toujours été un pays très ouvert et il n’existait pas de gros pure players belges. L’e-commerce s’est donc développé moins rapidement ici que dans les pays voisins mais je crois que nos enseignes ont démontré qu’elles pouvaient rivaliser.

Dans votre nouveau “contrat de confiance”, Vanden Borre met l’accent sur la durabilité. Que proposent vos enseignes?

Chez Vanden Borre, l’empreinte carbone des électroménagers est analysée depuis la fabrication jusqu’à sa destruction. Contrairement à ce que l’on peut penser, le transport ne pèse que 2% de l’empreinte carbone. La fabrication et la durée de vie sont les deux éléments qui ont la plus grosse influence, et sur lesquels Vanden Borre peut agir.

Comment?

Concernant la fabrication, on a créé le baromètre des marques de durabilité, qui sera réédité cette année. Ce baromètre indique la fiabilité et la réparabilité des marques que l’on vend. En ce qui concerne la durée de vie des appareils, on a lancé le service Vanden Borre life, un abonnement qui vise à réparer les marques jusqu’à 15 ans. On souhaite encourager la réparation plutôt que le remplacement d’appareil. Vanden Borre s’engage par ailleurs à recycler les appareils non réparables. Les appareils réparables et utilisables, eux, sont envoyés à des entreprises durables et circulaires, pour leur insuffler une seconde vie.

Je préfère réparer un électroménager une fois plutôt que de vendre celui-ci tous les deux ans.

Est-ce que c’est une formule intéressante pour un distributeur?

Les retailers ne doivent pas forcément vendre un maximum de produits pour gagner de l’argent, c’est aussi intéressant de les réparer. Je préfère réparer un électroménager une fois plutôt que de vendre celui-ci tous les deux ans. C’est plus intéressant pour le client, pour la planète, et ça a du sens économiquement.

Cela permet de sensibiliser les fabricants?

Je pense que l’on a une vraie responsabilité. La formule encourage les fabricants et les fournisseurs à rendre leurs appareils plus facilement réparables. Toutes les marques ne sont pas au même niveau d’implication mais en Europe, elles sont de plus en plus sensibilisées.

Vous avez un exemple?

Concernant les pièces détachées, les marques se sont nettement améliorées. Aujourd’hui, certaines proposent la disponibilité de leurs pièces détachées pendant 15 ans, contre sept précédemment.

Combien de clients ont-ils souscrit à l’abonnement Vanden Borre Life? Les Belges sont-ils sensibles à cette approche?

On approche les 30.000 abonnements, que l’on devrait avoir dépassés cet été. Les Belges ont toujours été sensibles à la durée de vie des produits. Ils achètent davantage des marques de qualité qui durent longtemps. J’ai toujours considéré que le Belge était un client intelligent parce qu’il raisonne en prix de revient et non en prix d’achat. Les marques premium font autant de chiffre d’affaires en Belgique que dans des grands pays.

Est-ce qu’il est normal de devoir payer pour qu’un produit dure dans le temps?

Il y a une garantie légale de deux ans mais tout a un prix, c’est là où le consommateur doit être avisé. Si vous voulez garantir un produit plus longtemps que ça ne l’est aujourd’hui, ça coûtera plus cher. Un forfait abonnement est plus audible pour un consommateur que si l’on devait augmenter le prix de l’appareil dès le départ. D’autant que l’abonnement couvre tout votre électroménager à la maison. Or en moyenne, celui-ci à équivaut à une somme de 4.200 euros, selon l’institut Gfk.

Comment Vanden Borre se différencie-t-il de la concurrence?

Grâce à notre service après-vente. Nous sommes les seuls à le proposer. Nous travaillons avec nos propres techniciens grâce aux 150 collaborateurs du service. Cela nous donne un avantage concurrentiel qui permet de fidéliser le client.

Vous remarquez une évolution dans les habitudes de consommation?

Il y a plusieurs changements oui. D’abord, la mobilité est devenue plus compliquée dans les centres-villes. Beaucoup de clients préfèrent donc les éviter. Au Woluwe Shopping Center, par exemple, on a retrouvé des anciens adhérents Fnac qui ne voulaient plus se rendre dans les enseignes du centre-ville. Le télétravail a également modifié certaines habitudes. Ce sont les magasins de périphérie qui en ont profité. Et les clients font aussi des courses pendant la semaine alors qu’avant, c’était principalement pendant le week-end. Ces changements d’habitude forcent les shopping centers à repenser leurs modèles pour rester attractifs.

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