Dirk Tirez (CEO de Bpost): “Le marché du colis restera en croissance”

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Comme d’autres, bpost subit le recul de l’e-commerce, qui fait suite à une croissance formidable au début du covid. Elle encaisse aussi le recul de ses activités avec Amazon. C’est temporaire, estime le capitaine de l’entreprise.

Bpost a traversé plusieurs mini-crises: il y a eu l’acquisition difficile de l’américain Radial, qui commence enfin à porter ses fruits ; puis, un CEO, Jean-Paul Van Avermaet, poussé à la démission ; aujourd’hui, ce sont les volumes générés par Amazon qui baissent… Le nouveau CEO, Dirk Tirez, annonce pourtant des eaux plus calmes.

Profil

  • 58 ans
  • 1987: licencié en droit, KU Leuven
  • 1989: Master of Law, University of Michigan
  • 1989: avocat associé chez Clearly Gottlieb Steen & Hamilton, New York et Bruxelles
  • 1993: conseiller au cabinet du ministre des Finances, Philippe Maystadt
  • 1996: “general counsel” chez Nasdaq Europe (ex-Easdaq)
  • 2003: manager en charge de “legal & corporate”, des fusions et acquisitions chez bpost
  • 2021: CEO de bpost

TRENDS-TENDANCES. La stratégie de bpost pour générer de la croissance est de compenser le recul du courrier par d’autres services, comme le traitement et la livraison de colis. ll semble que ces derniers mois, cette stratégie soit mise à mal, que le colis recule. Est-ce seulement dû à la réduction de l’activité pour Amazon?

DIRK TIREZ. Nous constatons une situation macro-économique post-covid, due aussi à la crise en Ukraine, qui a un effet sur la confiance des consommateurs, un impact inflationniste sur le coût du transport et de l’énergie. C’est un frein pour la croissance de l’e-commerce. Mais il y a deux éléments à souligner: si vous neutralisez l’effet Amazon, notre part de marché dans le colis continue d’augmenter grâce à la qualité de nos livraisons, de nos facteurs. Deuxièmement, il faut juger cette évolution sur trois à cinq ans. Je pense que le marché du colis restera en croissance.

Amazon, client primordial, aurait réduit de 46% ses livraisons avec bpost. Est-ce correct?

En effet. Il faut mettre cela dans le contexte, – 46,1%, c’est le volume d’Amazon au premier trimestre, pas l’ensemble de notre activité colis. Bpost a pu mitiger l’impact grâce à des actions commerciales, notamment en direction des PME. Le recul total du colis, tous clients confondus, était de quasi 14,8%. L’impact Amazon paraît important car il est intervenu sur une période très courte, dans les premiers mois de l’année. Amazon suit la même approche dans d’autres pays européens, en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Pays-Bas… Il applique une stratégie de fournisseurs multiples et continue à recourir à bpost et à des opérateurs alternatifs pour le dernier kilomètre.

Dans le marché de la livraison des paquets, quand il y a des contrôles, beaucoup d’abus sont constatés. D’où la nécessité d’un cadre clair pour tout le monde.

La dépression – peut-être temporaire – de l’e-commerce semble affecter vos concurrents. Il semble que vous vous en tirez mieux que PostNL…

Je dirais que les opérateurs postaux en Europe ont tous choisi des modèles différents, avec des effets différents. Les postes françaises et italiennes ont opté pour le modèle du service public et le modèle bancaire. La Banque de la Poste, en France, compte pour plus de la moitié des revenus du groupe et de ses bénéfices. PostNL a dit: je ne fais le paquet que dans le Benelux. Bpost a choisi depuis quelques années de développer trois moteurs de croissance et ne se limite pas au Benelux. Nous ne voulons pas nous limiter au dernier kilomètre, à la livraison, mais nous développer en amont, dans les activités logistiques, le fulfilment (préparation des commandes, Ndlr). Aux Pays-Bas, nous avons 40% du marché de la livraison de colis avec notre partenaire DHL. Nous avons, hors Benelux, deux moteurs de croissance: les Etats-Unis avec Radial, Landmark et Apple Express, et l’Europe avec Active Ants, Dyna et Radial Europe. Nous sommes davantage diversifiés.

N’y a-t-il pas des risques que d’autres géants de l’e-commerce qui travaillent avec bpost, tel Zalando, diversifient aussi leurs opérateurs de livraison?

Il n’y a pas de risques, juste des opportunités… Bpost se concentre sur les NPS (net promoter score), le score attribué par les clients sur la qualité de la livraison. C’est cela qui nous amène de nouveaux clients. C’est la meilleure carte que nous pouvons jouer.

Pouvez-vous préciser la notion de “client” que vous mentionnez? Est-ce la personne qui reçoit le colis ou l’entreprise qui vous demande de faire l’envoi?

C’est la même chose. Si le client donne du feedback à Amazon et indique que la livraison avec un sous-traitant n’a pas été bonne, c’est un feedback important. Avec bpost, la livraison est optimale.

Comment pouvez-vous assurer qu’elle est optimale?

La réputation et la qualité sont des éléments clés lorsque les clients choisissent un opérateur pour envoyer leurs colis. Bpost travaille en permanence, de manière globale et détaillée, à l’amélioration de la qualité de ses livraisons et de la satisfaction de ses clients (par le suivi et les mesures, l’analyse et l’amélioration des processus, le suivi des plaintes, l’amélioration du track & trace, la gestion des préférences des clients, concernant le lieu de livraison notamment). Le Service de médiation pour le secteur postal a noté une baisse significative du nombre de plaintes en 2021.

Dirk Tirez (CEO de Bpost):
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Pour revenir à la stratégie du groupe, bpost bénéficie maintenant des bons résultats de Radial, basé aux Etats-Unis, qui propose des services de logistique de l’e-commerce. Son acquisition avait été critiquée, les premières années avaient été difficiles, mais la situation est désormais renversée…

Fin 2016 début 2017, nous avons décidé de racheter Radial. Le covid et l’évolution de la situation économique ont montré qu’au niveau stratégique, c’était une opération visionnaire. Quand j’en parle à mes concurrents, ils nous en félicitent. Tout le monde dit en Europe que c’est remarquable.

A l’époque, l’opération, lancée par l’un de vos prédécesseurs, Koen Van Gerven, avait été mal comprise. Pourquoi?

Une acquisition doit être évaluée sur trois ou cinq ans, pas sur un mois ou un an. Nous avons travaillé avec les équipes, là-bas, pour faire évoluer Radial. Il est à présent un leader sur le marché américain du fulfilment pour les marques. Ce marché est en pleine croissance et il est énorme. Il n’est pas fragmenté comme l’Europe. Bpost a l’ambition de croître avec ce marché. Nos clients américains souhaitent en effet que Radial grandisse car ils gagnent des parts de marché (et veulent donc pouvoir envoyer davantage de colis, Ndlr).

Par ailleurs, nous ne nous cantonnons pas à la livraison, comme d’autres opérateurs. Nous avons une vision stratégique et investissons pour la soutenir: 250 millions d’euros cette année dans la logistique de l’e-commerce, en Belgique, en Europe et aux Etats-Unis.

J’ai l’impression que nous rétablissons la confiance avec les analystes et les marchés.

Si l’on regarde du côté des coûts, est-ce que la hausse du prix de l’énergie pèse lourd dans vos activités?

L’impact le plus important, en termes d’augmentation des coûts, porte sur les salaires. Environ 75% de nos coûts sont salariaux. Si nous avons cinq augmentations d’index sur une année, cela fait 10% de hausse. La Belgique est le seul pays en Europe à appliquer une indexation automatique, avec Malte et le Luxembourg qui est en train de changer ce mécanisme. Le coût du transport et de l’énergie sont aussi significatifs, mais nous nous protégeons des hausses avec des systèmes de hedging (couverture des risques, Ndlr).

Certains concurrents recourent à des indépendants, des sous-traitants, alors que bpost mise toujours sur ses salariés. Pour améliorer le sort des livreurs, il est question d’imposer des conditions minimales en matière sociale pour les livraisons. Je suppose que vous y êtes très favorable?

C’est une question de respect des règles existantes, de lutte contre la fraude fiscale et sociale. Bpost demande de définir le modèle des paquets et des lettres en Belgique, chose qui doit être faite par le gouvernement. Dans le cadre actuel, nous constatons qu’il y a beaucoup d’abus, un manque de recettes pour l’Etat belge, et que tout le monde ne contribue pas de la même manière à la sécurité sociale. Tout le monde, sociétés belges et étrangères, doit payer les prélèvements et prendre ses responsabilités. Nous demandons un cadre clair au gouvernement. Nous nous y adapterons.

C’est une allusion aux enquêtes judiciaires qui ont visé PostNL, soupçonnée de trafic d’êtres humains et dont le centre de tri à Saint-Trond a été perquisitionné début juin?

Je lis la presse. Apparemment, dans le marché de la livraison des paquets, quand il y a des contrôles, beaucoup d’abus sont constatés. D’où la nécessité d’un cadre clair pour tout le monde.

En fait, les lois actuelles permettent déjà de sanctionner les infractions. Pourquoi faudrait-il un nouveau cadre?

Je veux dire que dans la distribution, tout le monde travaille avec des contractuels. Si dans l’e-commerce et le dernier kilomètre, on peut faire ce que l’on veut, recourir à des chaînes de sous-traitants, c’est autre chose. Je ne vise pas tant le principe du statut d’indépendant mais une pratique – les systèmes de chaînes de sous-traitants – qui cause un érosion des recettes sociales et fiscales. Nous voulons un cadre clair. Et aussi la même flexibilité que nos concurrents.

D’autres pays se débrouillent mieux que la Belgique?

Certains pays ont pris des dispositions pour interdire le recours à des cascades de sous-traitants. En Allemagne, l’opérateur des livraisons reste responsable pour le payement des cotisations et des taxes des sous-traitants. Le gouvernement a la garantie d’être payé et l’opérateur prend sa responsabilité. On appelle cela la responsabilité solidaire.

Il y a tout de même un souci: le cours de Bourse, qui est loin de refléter la vision stratégique de bpost, depuis déjà un certain temps, bien avant le conflit ukrainien. Comment expliquez-vous cela?

Mon prédécesseur avait arrêté de payer des dividendes. Cela a eu un impact sur le cours de Bourse. Nous avons travaillé très fort en 2021 et dégagé un résultat de 350 millions d’euros Ebit (résultat après intérêts et taxes, Ndlr). Le conseil d’administration a décidé, sur ma proposition, de verser un dividende sur la base d’un pay out de 40%. Nous sommes en train de dire aux marchés financiers que nous investissons et prenons des mesures: what you see is what you get. J’ai l’impression que nous rétablissons la confiance avec les analystes et les marchés.

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