Directeurs de communication en ces temps d’incertitude: garder le cap, en toutes circonstances

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Quand les missions et valeurs de l’entreprise sont clairement établies, cela aide les dirigeants à adapter leurs stratégies de communication.

Entre les événements qui se bousculent à la une de l’actualité et la caisse de résonance sans filtre des réseaux sociaux, la communication d’entreprise ressemble de plus en plus à un exercice d’équilibriste. Décodage en trois points.

1. L’immédiateté et le long terme

“J’ai connu les plans à cinq ans, puis à trois ans, puis à un an. Maintenant, quand on peut avoir un plan pour le prochain quadrimestre, on est déjà très content.” Pour Florence Coppenolle, la directrice de la communication de Pairi Daiza, l’obligation d’adapter sans cesse les stratégies de communication est l’évolution essentielle du métier ces dernières années. “Nous sommes de plus en plus dans la réactivité, cette succession de crises nous pousse à une ultra- disponibilité permanente”, renchérit Caroline Crevecoeur, directrice de la communication du groupe John Cockerill.

N’allez pas croire pour autant que les grandes entreprises vivent désormais sous la règle de l’improvisation la plus totale et de la course débridée. Il faut, au contraire, avoir une vision à long terme clairement définie pour trouver sa voie dans ce monde très incertain. “Avoir des valeurs, une raison d’être nous guide à travers ces crises, cela nous sert d’étoile polaire, explique Nathalie van Ypersele, directrice de la communication de Solvay. Nous ne partons pas chaque fois d’une page blanche, nous parvenons à maintenir une certaine cohérence dans nos actions.” Elle précise que cela n’empêche pas de prendre des décisions difficiles comme des réductions d’effectifs, voire des fermetures de sites, mais qu’elles doivent être placées dans un contexte général qui, en l’occurrence, vise à allier profitabilité, durabilité et impact sociétal.

Le discours sur les missions d’une entreprise apparaît souvent lénifiant, un catalogue d’idées reçues. Il trouverait donc tout son sens dans ces périodes de hautes turbulences. “On réalise que ce sont les fondements d’une organisation et pas des propos un peu bateau, dit Emmanuel Goedseels, partner de l’agence de relations publiques Whyte Corporate Affairs. Il n’est pas question de naviguer à vue mais de s’assurer que les actions prises sont bien en accord avec la raison d’être de l’entreprise.” “En ce sens, pour nous, cela a été une vraie chance d’avoir redéfini nos missions et repris le nom de John Cockerill juste avant la crise”, résume Caroline Crevecoeur.

2. Le silence et la communication tous azimuts

“Le timing est devenu un véritable enjeu, décrypte Emmanuel Goedseels. Depuis le Covid-19, les entreprises s’interrogent beaucoup sur l’opportunité de communiquer leurs plans et actions selon le calendrier prévu. Comment cela sera-t-il perçu? Ne vaut-il pas mieux postposer? Et si on postpose, la situation sera-t-elle meilleure dans deux ou trois mois?” Son conseil est alors de coller le plus possible au business as usual car devant tant d’incertitudes, les interrogations conduisent vite à l’immobilisme. Et le danger, quand on hésite un peu trop, est alors de laisser passer le moment, de se retrouver en décalage avec la thématique du jour. “Beaucoup de médias deviennent presque mono-thématiques, poursuit Emmanuel Goedseels. Nous l’avons vécu avec le covid et regardez ces derniers jours la place qu’il reste en dehors de l’Ukraine. Quelle est la disponibilité des médias à parler d’autre chose que de la thématique du jour? Cette question, nous en parlons énormément avec nos clients.”

“Tout cela contribue à une mise en lumière de notre métier, de notre fonction, estime Caroline Crevecoeur. Dans un groupe comme John Cockerill, qui fait du B to B, la communication n’a pas la même place que dans le retail, par exemple. Avec ces crises qui exigent beaucoup d’agilité et de réactivité dans les prises de parole, la communication devient vraiment considérée comme un partenaire stratégique.” Avec toujours en toile de fond ce dilemme: d’un côté, on n’attend pas vraiment qu’une entreprise se pro-nonce sur la guerre en Ukraine, de l’autre, on risque de la taxer d’indifférente, voire d’égoïste, si elle se mure dans le silence… “Le dirigeant doit prendre sa décision en âme et conscience, en sachant qu’il ne pourra pas plaire à tout le monde, à toutes les parties prenantes, conseille Emmanuel Goedseels. Quelle que soit la décision, il faut avancer avec elle et ne surtout pas la regretter. Faire de la post-stratégie – nous tombons tous parfois dans ce piège – n’aide pas à aller de l’avant.”

Les valeurs de l’entreprise servent d’étoile polaire, nous ne partons pas chaque fois d’une page blanche.”

Nathalie van Ypersele (Solvay)

“Un parc comme Pairi Daiza a épisodiquement de bonnes nouvelles à annoncer, des naissances par exemple, ajoute Florence Coppenolle. Nous devons cependant tenir compte des événements internationaux et macro avant de procéder à de telles annonces. Elles ne peuvent pas entrer en collision avec des informations internationales dramatiques.” Il faut donc apprendre à se taire même si l’agenda médiatique a beaucoup évolué. “Nous pouvions nous contenter de trois ou quatre moments de campagne sur une année, poursuit la responsable de la communication de Pairi Daiza. Aujourd’hui, il y a au moins 10 moments importants qui rythment notre visibilité. Sur tous les canaux, des médias classiques au digital en passant par une série d’événements. Nous devons être hyper-réactifs sur les agendas et être en permanence des créateurs de contenu.”

3. Le regard extérieur et la communication interne

“Ces crises ont montré l’importance de pouvoir toucher tout le monde en peu de temps, analyse Caroline Crevecoeur. C’est un challenge pour un groupe comme John Cockerill, présent sur plusieurs continents, avec plusieurs métiers. Cela nous a obligés à revoir les dispositifs de communication interne. Cela a pour effet d’aplatir la pyramide managériale pour communiquer directement aux collaborateurs.” Les technologies facilitent les choses et les personnalités ouvertes de capitaines d’entreprise jouent aussi un rôle. La CEO de Solvay, Ilham Kadri, a ainsi personnellement appelé les agents du groupe en Ukraine et en Russie.

“La communication est là pour mettre du liant entre les enjeux des différents départements de l’entreprise, avance Florence Coppenolle. Elle contribue à ce que la vision à long terme soit bien partagée en interne. C’est cela qui donne le sens, que beaucoup de collaborateurs recherchent et qui, je pense, reste parfaitement possible malgré ces crises successives.” C’est d’autant plus nécessaire après cette longue période de télétravail qui a remis à l’avant-plan un besoin de ‘collectif’.”

Nos interlocutrices ont pointé les attentes du personnel à l’égard des fondations d’entreprise dans ces situations. “Notre fonds de solidarité est intervenu lors des inondations auprès de familles d’employés mais aussi en faveur d’écoles en Belgique, en Allemagne ou en Chine, rappelle Nathalie van Ypersele. Ici, de nombreux travailleurs ont spontanément appelé à faire de même pour l’Ukraine. Ils ont vraiment compris les valeurs qui animent le groupe. Et encore une fois, cela ne nous empêche pas de prendre aussi des décisions business qui peuvent sembler dures.” Le groupe chimique a annoncé le versement d’un don d’un million d’euros en faveur de l’aide humanitaire en Ukraine. Il s’engage en outre à doubler le montant des dons effectués par son personnel. “Ces crises ont révélé que les collaborateurs ont compris et intégré les missions de la fondation, conclut Caroline Crevecoeur. Cela rajoute du sens à leur travail de tous les jours.”

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