Cacao fairtrade, respect de la nature, management participatif: le Galler nouveau est arrimé

Salvatore Iannello: "Notre plus grand défi consiste aujourd'hui à transformer les consommateurs en consom'acteurs." © photos PG / Elodie Timmermans
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Lauréat du prix de la Responsabilité sociétale des entreprises, Salvatore Iannello a repris les commandes de la chocolaterie Galler il y a deux ans à peine. Gros plan sur un CEO qui a mis le commerce équitable et le développement durable au coeur de ses priorités.

Il suffit parfois d’un voilier pour changer le cap d’une entreprise. A la barre de la “nouvelle” chocolaterie Galler depuis deux ans, Salvatore Iannello a fait de son périple en mer le déclic de son questionnement et, par ricochet, de la mutation de la PME qu’il connaissait déjà avant son grand départ. Bien lui en a pris: le mois dernier, le CEO de Galler a décroché le prix du CSR Professional of the Year 2020 pour ses engagements équitables et durables qui composent ce qu’on appelle communément la responsabilité sociétale des entreprises (RSE, ou CSR en anglais).

Prestigieuse, cette récompense est le fruit d’un long travail de réflexion entamé sur les mers et les océans. Flash-back. Nous sommes en 2013. Salvatore Iannello travaille chez Galler depuis une douzaine d’années déjà – il en est même le CEO à cette époque – mais décide de quitter subitement l’entreprise pour réaliser un rêve d’enfant: parcourir le monde en voilier avec sa femme et ses deux fils. Pendant plus de trois ans, le capitaine au long cours vogue sur la Méditerranée, traverse l’Atlantique, explore les Caraïbes pour rejoindre enfin le fameux cap Horn, à l’extrême sud du continent américain.

L’entreprise a toujours une vraie culture belge et liégeoise. C’est ce message-là aussi que nous voulons faire passer.”

Salvatore Iannello

Un voyage salutaire

“Ce voyage a nourri ma réflexion et structuré ma pensée, confie Salvatore Iannello. A bord, j’ai même écrit un essai sur ma vision de la société. Je me suis rendu compte que cela fait trois siècles que l’économie fonctionne sur les rapports de force et la maximisation du profit. Bien sûr, l’économiste Adam Smith parle d’une ‘main invisible’ qui est censée contribuer à la richesse et au bien commun mais personnellement, je n’ai jamais vu cette main de l’équité. Selon moi, ces rapports de force doivent plutôt évoluer vers une convergence d’intérêts.”

L’expédition en mer métamorphose l’ancien CEO. De retour sur la terre ferme fin 2016, Salvatore Iannello ne rejoint pas encore la chocolaterie qu’il a jadis pilotée. A l’époque, le fondateur Jean Galler a repris les rênes de la société mais les actionnaires qataris – arrivés en 2006 dans l’entreprise liégeoise – ne cessent de grignoter des parts. En mai 2017, la famille du cheikh Ben Jassem Al Thani deviendra d’ailleurs l’actionnaire majoritaire, puis propriétaire à 100% de la chocolaterie lorsque Jean Galler, réduit à la fonction de “responsable de la création”, décidera de lui vendre ses dernières parts (25%) en novembre 2018.

Durant ces deux années mouvementées, Salvatore Iannello garde un oeil lointain sur la chocolaterie tout en exerçant une fonction de coach au VentureLab, l’incubateur pour start-up de l’ULiège et HEC Liège. “Lorsque Jean Galler a quitté définitivement la société il y a un peu plus de deux ans, les actionnaires qataris m’ont demandé de revenir pour relancer l’entreprise qui était alors en difficulté (près de 2 millions de pertes pour l’année 2018, Ndlr), explique Salvatore Iannello. J’ai posé mes conditions, qui étaient d’ouvrir à nouveau le capital à des investisseurs belges et surtout de repenser complètement son modèle que je voulais plus éthique, plus durable et plus participatif.”

Tous les chocolats de l'entreprise sont désormais produits avec du cacao certifié Fairtrade.
Tous les chocolats de l’entreprise sont désormais produits avec du cacao certifié Fairtrade.© photos PG / Elodie Timmermans

“Donner du sens au goût”

Le capitaine transfiguré reçoit le feu vert et reprend les commandes de la société. Quelques mois plus tard, la chocolaterie Galler redevient un peu belge grâce à une nouvelle levée de fonds visant à concrétiser les nouveaux projets. Sept millions d’euros sont ainsi réinjectés par des investisseurs institutionnels (Noshaq et Invest for Jobs) et des entrepreneurs liégeois (Luc Pire, Renaud Jamar et Didier Leclercq).

Conséquente, cette augmentation de capital redonne un ancrage belge à Galler (25%) et permet à Salvatore Iannello d’enclencher son plan de relance. Ses réformes sont profondes et tiennent en un seul slogan: “Donner du sens au goût”. Concrètement, le CEO s’est engagé à arrimer la chocolaterie dans un monde plus durable à travers une série d’actions concrètes. Dorénavant, tous les chocolats de l’entreprise seront ainsi produits avec du cacao certifié Fairtrade (ex-Max Havelaar), un label qui garantit le respect des principes du commerce équitable et en particulier les conditions de vie et de travail des producteurs locaux.

Conscient de son impact sur la planète, la chocolaterie Galler s’est aussi engagée à réduire son empreinte environnementale de 25% dans les cinq prochaines années. Pour atteindre cet objectif, l’entreprise s’est adjointe les services de la start-up franco-belge Yukan, spécialisée dans la mesure de l’empreinte écologique sur base de la norme PEF (Product Environmental Footprint) et a déjà commencé à replanter plus de 50.000 arbres utiles à la culture du cacao en Côte d’Ivoire.

Un management participatif

Au-delà de ces nouveaux engagements éthiques et durables, la société a également revu sa manière de fonctionner en interne avec “un modèle d’autogouvernance” inédit pour ses 170 collaborateurs. “Il s’agit de redistribuer le pouvoir au sein de l’entreprise et d’accentuer le sens des responsabilités de chacun, précise Salvatore Iannello. Ce système est basé sur l’holacratie où le processus décisionnel s’effectue à travers des cercles dont les membres sont autonomes. Dans ce modèle, je ne suis plus le grand chef qui donne les ordres mais bien le copilote qui accompagne tout le monde dans les prises de décision.”

Pour le CEO de Galler, cette responsabilisation de chaque collaborateur doit aussi rejaillir sur les consommateurs qui sont invités à participer eux-mêmes à un monde meilleur . “Notre plus grand défi consiste aujourd’hui à transformer les consommateurs en consom’acteurs, insiste Salvatore Iannello. Le consom’acteur est la clé du changement. Il s’inscrit dans une démarche de commerce équitable et, avec lui, nous créons un concept de cercle vertueux.”

Ne pas diaboliser le profit

Pour synthétiser le virage sociétal qu’a pris désormais la chocolaterie Galler, son CEO insiste sur les quatre “P” anglophones qui forgent le modèle de l’entreprise: People (pour l’humain), Planet (pour l’environnement), Purpose (pour la raison d’être) et Profit qui reste malgré tout le moteur de l’entreprise. “Notre vision est un vrai changement de paradigme, enchaîne Salvatore Iannello. Mais ce qui m’ennuie parfois dans le milieu des ONG, c’est la diabolisation du profit. Or, notre modèle n’est pas de diaboliser le profit car c’est lui qui permet justement aux trois autres ‘P’ de se développer. Une entreprise doit gagner de l’argent pour faire bouger les lignes. Si elle ne gagne pas d’argent, elle meurt! Elle doit faire du profit pour durer et faire rejaillir le bien autour d’elle.”

Cacao fairtrade, respect de la nature, management participatif: le Galler nouveau est arrimé

Dans cette logique, le patron de Galler préfère d’ailleurs parler aujourd’hui de l’importance du “markethique” pour exister, plutôt que du marketing. A ce propos, la marque a d’ailleurs procédé à un relookage total de ses emballages et de son identité visuelle il y a quelques mois à peine pour mieux indiquer le changement de cap. Si la dimension équitable et durable n’est pas perceptible dans cette révolution graphique menée par le bureau Minale Design Strategy, la rupture est toutefois bien marquée dans le nouveau logo et, surtout, la devise qui l’accompagne. Galler a en effet choisi comme slogan Le goût, la joie, la liberté en guise de clin d’oeil appuyé à la Brabançonne. Objectif sous-jacent: rappeler le nouvel ancrage belge de Galler dans son actionnariat et, au passage, son statut privilégié de fournisseur de la Cour depuis 1995.

Belge, malgré tout

Dans sa communication graphique, Galler tient aussi à s’affirmer comme “chocolaterie indépendante” (sic), même si les actionnaires qataris détiennent toujours 75% du capital de la société, ce qui lui vaut parfois des critiques sur les réseaux sociaux. “Si les Qataris n’avaient pas investi 20 millions d’euros entre 2014 et 2018, il n’y aurait tout simplement plus de chocolats Galler, rectifie Salvatore Iannello. Bien sûr, cet actionnaire reste majoritaire, mais l’entreprise a toujours une vraie culture belge et liégeoise. C’est ce message-là aussi que nous voulons faire passer car nous utilisons réellement cette culture comme effet de levier.”

Inaugurée en septembre dernier, la nouvelle identité visuelle des chocolats Galler se voulait colorée et joyeuse, mais un événement regrettable est venu ternir les festivités. Ambassadeur de la marque depuis 2019, le rappeur belge Roméo Elvis était en effet associé au premier produit lancé avec le nouveau logo et le label Fairtrade: le Croc’o Roméo, résolument en phase avec l’album Chocolat de l’artiste. Mais quelques jours à peine après le lancement, des accusations d’agression sexuelle à l’encontre du chanteur ont émergé et immédiatement stoppé toute la campagne prévue. Un bad buzz qui a inévitablement rejailli sur la chocolaterie…

Et vogue le Galler!

“Une entreprise doit pouvoir ramasser des beignes, commente sobrement Salvatore Iannello. Vu les événements, nous avons arrêté sans regret notre collaboration avec Roméo Elvis. La page est tournée et nous nous apprêtons d’ailleurs à nouer un nouveau partenariat avec une autre personnalité.”

Détenteur du record belge sur la Route du Rhum, le skipper liégeois Jonas Gerckens sera en effet le nouvel ambassadeur des chocolats Galler avec un profil davantage en phase avec les engagements de l’entreprise en matière de développement durable. “La voile utilise les éléments de la nature pour avancer, sourit le CEO. En tant que skipper, Jonas Gerckens est donc en harmonie totale avec notre philosophie. C’est un merveilleux message de cohérence par rapport à nos consom’acteurs.”

Un changement de cap qui n’est sans doute pas étranger à l’expérience vécue sur les flots par Salvatore Iannello en personne, il y a quelques années à peine…

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