Bye-bye RTL Belgium?
En 2006, l’émission “Bye Bye Belgium” imaginait l’éclatement de notre plat pays. Si le scénario ne s’est pas (encore) concrétisé, le titre choc est toutefois resté et se voit aujourd’hui décliné. Certes, la filiale belge du groupe RTL ne va pas disparaître du jour au lendemain, mais l’avenir de “la RTL Belgique de papa” est bel et bien menacé. Explications.
Il y a trois ans et demi, nous consacrions déjà un dossier à la filiale belge du groupe RTL avec ce titre un brin provocateur: Et si RTL Belgique était à vendre? A l’époque, son CEO Philippe Delusinne venait en effet d’annoncer son plan #evolve et le licenciement programmé d’une centaine de collaborateurs. L’objectif affiché était de “pérenniser durablement les activités du groupe” (sic) mais, en coulisse, des observateurs aguerris y voyaient déjà le désir d’habiller la mariée pour en obtenir le meilleur prix sur le marché. Dans cet article, nous avions alors lancé les pistes de cinq scénarios plausibles pour le futur de RTL Belgique, par région et par pays: un scénario francophone, un flamand, un belge, un français et un américain. Aujourd’hui, avec la nouvelle stratégie du conglomérat allemand Bertelsmann – principal propriétaire de RTL Group – force est de constater que la majorité de ces scénarios sont toujours d’actualité.
RTL Belgique aurait été valorisée 300 millions d’euros fin 2019, mais il n’est pas certain que la filiale vaille toujours autant actuellement.
Les mains libres
Fondées, les spéculations sur la vente de RTL Belgique sont ancrées dans les nouvelles ambitions du géant Bertelsmann et de sa division RTL Group. Le mois dernier, le premier groupe audiovisuel européen avait en effet confirmé son souhait de vendre l’une de ses pépites. “Nous examinons actuellement les options possibles pour notre participation majoritaire dans le groupe français M6 en vue de créer de la valeur pour nos actionnaires”, avait alors déclaré Thomas Rabe, CEO de RTL Group. “Cela fait partie de notre stratégie d’être proactif en matière de consolidation“, avait-il ajouté, précisant que ce raisonnement appliqué au marché français avec M6 prévalait également pour les autres pays européens. Traduction: RTL Nederland et RTL Belgique pourront donc être aussi mis à l’étalage.
Pour la filiale belge, le scénario d’une vente est d’autant plus prévisible que RTL Group est devenu, en décembre dernier, l’unique actionnaire de RTL Belgique. Avant cela, il ne possédait “que” 66% des parts, le solde étant détenu par Audiopresse, une société belge fondée en 1985 pour donner des compensations financières aux éditeurs de la presse francophone lorsque RTL-TVI fut lancée en Belgique. En rachetant il y a quatre mois à peine les parts de ces actionnaires belges réunis dans Audiopresse (Rossel, IPM, Mediahuis et Holding Echos), RTL Group est donc devenu propriétaire à 100% de RTL Belgique, de quoi avoir enfin les mains libres pour décider seul de l’avenir de sa filiale belge.
Dans ce contexte d’une cession de certaines de ses activités à l’étranger, le scénario d’une vente couplée M6-RTL Belgique a d’abord fait son chemin dans les hautes sphères de RTL Group, avant que le scénario d’une vente séparée ne soit finalement validé. Selon nos collègues du journal De Tijd et de son homologue francophone L’Echo, la banque d’affaires JP Morgan aurait en effet été mandatée par le groupe audiovisuel pour une cession de ses activités en Belgique, à savoir ses trois chaînes de télévision (RTL-TVi, Club RTL et Plug RTL), ses stations de radio (Bel RTL, Radio Contact et la numérique Mint) et sa régie publicitaire IP.
Obligée de se réinventer
Contactés par nos soins, ni Tanguy Piret, directeur général de JP Morgan BeLux, ni Philippe Delusinne, CEO de RTL Belgique, n’ont souhaité répondre à notre demande d’interview pour valider cette information. Bref, le flou demeure, d’autant plus que le patron de RTL Belgique s’est fendu d’un message à son personnel suite aux révélations du journal De Tijd: “Ce dossier, qui fait la synthèse des différentes informations circulant à propos du groupe RTL et de ses intentions, n’est à ce stade que spéculations”, a ainsi écrit Philippe Delusinne à ses troupes la semaine dernière, les exhortant à ne pas les alimenter et à rester concentrées sur leurs missions. On notera toute l’importance de l’expression “à ce stade” dans cette missive qui n’adopte pas vraiment le ton d’un réel démenti.
Comme nous l’écrivions il y a un mois déjà dans l’article A vendre: groupe M6 (avec option sur RTL Belgique?), la fin du scénario d’une vente couplée M6-RTL Belgique serait problématique pour le groupe belge. La chaîne française, qui oeuvrerait alors sous la coupe d’un nouveau propriétaire, pourrait en effet cesser d’alimenter RTL-TVI, Club RTL et Plug RTL avec ses émissions emblématiques (Top Chef, Pékin Express, Mariés au premier regard, etc.) pour les diffuser elle-même en exclusivité sur sa chaîne qu’elle inaugurerait enfin sur le territoire belge. Cette concurrence frontale, sur un marché publicitaire déjà fort morcelé, serait désastreuse pour RTL Belgique dont plusieurs soirées sont aujourd’hui portées par ces productions M6.
Pour éviter ce scénario catastrophe, RTL Belgique est obligée de se réinventer, d’autant plus que la filiale de RTL Group souffre de deux handicaps: mis à part ses rendez-vous d’information (JT et débats politiques), l’entreprise privée souffre en effet d’un manque de productions propres, mais aussi d’une absence de réelle vision numérique (sa plateforme RTLplay est calquée sur l’offre développée par M6). Pour quitter ce statut de “RTL Belgique de papa”, le groupe doit donc espérer un nouveau propriétaire inspiré, au risque de se désintégrer lentement si aucun candidat sérieux ne se manifeste.
Mais qui pourrait être intéressé par le rachat de RTL Belgique? Visiblement, les grands noms qui ont déjà remis une offre pour M6 – Vivendi (Canal+), Altice (SFR, BFM TV, etc.), Bouygues (TF1), Xavier Niel (Free), Daniel Kretinsky ( Le Monde) et le groupe italien Mediaset – n’ont pas marqué d’intérêt pour la filiale belge de RTL Group qui ne peut potentiellement toucher que 4,5 millions de francophones.
Rossel aux aguets
Il reste donc l’option d’acteurs plus locaux. Côté francophone, le scénario le plus probable – évoqué il y a trois ans et demi déjà – est celui d’un rachat de RTL Belgique par le groupe Rossel (505 millions de chiffre d’affaires). L’éditeur des journaux Le Soir et Sudpresse, mais aussi de plusieurs titres en France, était l’un des actionnaires historiques de la société Audiopresse (34% du capital de RTL Belgique jusqu’il y a peu) et il a toujours nourri de sérieuses ambitions audiovisuelles. Juste avant le rachat de ses parts dans cet acteur minoritaire par RTL Group, le CEO de Rossel confiait d’ailleurs ceci à l’un des journalistes de son quotidien Le Soir en décembre dernier: “Il y a eu de notre part des propositions de rachat de l’ensemble des opérations, mais RTL n’a pas voulu envisager une vente”.
Aujourd’hui, Bernard Marchant pourrait donc bien revenir à la charge dans ce paysage quelque peu bouleversé en précisant davantage ses ambitions, mais il a, lui aussi, décliné notre demande d’interview. Dossier sensible, visiblement…
La piste DPG Media
A l’automne 2017, nous évoquions également un scénario flamand parmi les options régionales. Anciennement connu sous le nom De Persgroep, DPG Media est une vraie machine de guerre (1,8 milliard de chiffre d’affaires) depuis qu’il a racheté Medialaan (VTM, QMusic, etc.) et multiplié les acquisitions à l’étranger. Le groupe cornaqué par Christian Van Thillo possède en effet des journaux et des magazines en Flandre (le n°1 Het Laatste Nieuws, De Morgen, Humo, Story, etc.) et plusieurs quotidiens nationaux au Danemark et aux Pays-Bas.
Comme Rossel, DPG Media n’a jamais caché ses ambitions d’expansion dans le paysage médiatique et une conquête du territoire francophone pourrait être tout à fait légitime dans sa stratégie commerciale. Avec VTM et les trois chaînes de RTL Belgique dans son portefeuille, le groupe flamand pourrait en effet proposer une couverture nationale aux annonceurs belges et développer aussi des synergies de production.
“Ce scénario était pertinent il y a quelques années encore, mais avec le poids du numérique, la télévision linéaire est devenue quelque peu désuète dans les plans médias des annonceurs qui n’ont de toute façon plus besoin de la télé pour concrétiser leurs plans nationaux, tranche un spécialiste des médias. De plus, les deux marchés sont devenus culturellement très différents. Pour un acteur comme DPG Media, il n’est plus indispensable de s’aventurer au sud de Bruxelles et il est d’ailleurs plus pertinent de s’intéresser à RTL Nederland qu’à RTL Belgique, étant donné que le groupe est déjà fortement présent aux Pays-Bas.” Selon nos confrères du Tijd, DPG Media serait bien candidat au rachat de RTL Nederland face au tandem Ziggo-Vodafone, lui aussi intéressé par la filiale néerlandaise de RTL Group.
L’option “américaine”
Autre scénario déjà évoqué et toujours d’actualité: le rachat de RTL Belgique par l’opérateur flamand Telenet (2,5 milliards de chiffre d’affaires), grand concurrent de Proximus et de Voo sur le marché des télécommunications en Belgique. Son CEO John Porter n’a jamais caché ses ambitions d’étendre son réseau en Wallonie et, en tant que filiale du géant américain du câble Liberty Global, Telenet dispose d’une solide assise financière qui lui a d’ailleurs permis de racheter Base – le troisième opérateur de téléphonie mobile en Belgique – pour 1,3 milliard d’euros en 2015. Le câblo-distributeur flamand s’est aussi déjà invité dans le monde de la télé puisqu’il a pris le contrôle de la société De Vijver Media qui possède SBS Belgium et donc les chaînes flamandes VIER et VIJF, ainsi que la maison de production Woestijnvis.
Si John Porter rêve toujours de mettre la main sur Voo pour disposer enfin d’une offre triple play (télévision, téléphonie fixe, Internet) de dimension véritablement nationale, Telenet pourrait, dans un premier temps, s’inviter davantage dans le paysage wallon en absorbant RTL Belgique pour une somme relativement raisonnable aux yeux de sa maison mère américaine. Là aussi, le deal aurait du sens dans la mesure où Telenet pourrait proposer une offre nationale aux annonceurs belges à travers un réseau de chaînes inédit constitué de RTL-TVi, Club RTL, Plug RTL, VIER et VIJF… avant de s’attaquer à Voo, fort de ce nouvel ancrage wallon.
Il reste à définir maintenant la question du prix. Si, selon De Tijd et L’Echo, RTL Belgique aurait été valorisée 300 millions d’euros fin 2019, il n’est pas certain que la filiale vaille toujours autant au printemps 2021. La crise sanitaire est passée par là et l’Ebitda (résultat brut) de la société a chuté à 16 millions en 2020 (contre 36 millions un an plus tôt). “On dit généralement que l’on peut multiplier l’Ebitda par 8 ou 10 pour en connaître la valeur, mais dans un marché qui est amorphe pour la télévision, ce multiplicateur peut baisser à 7 voire même à 6, analyse cet autre expert des médias. Les activités télé ont perdu de leur lustre et RTL Belgique vaut désormais peut-être moins de la moitié de ce qu’elle valait en 2019.” Soit entre 100 et 150 millions d’euros…
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Le juste prix
“Mais la vraie question qu’il faut plutôt se poser aujourd’hui est la suivante, renchérit cet autre observateur des médias: quelle est la valeur de RTL Belgique sans M6?” L’entité belge est en effet très dépendante de sa “future ex-grande soeur française” dans ses programmes et sa plateforme numérique. Et c’est un élément qui fera sans doute l’objet de longues discussions quand il faudra fixer le juste prix de RTL Belgique dans les négociations.
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