A vendre: groupe M6. Avec option sur RTL Belgique?

LE GROUPE M6 intéresse aujourd'hui plusieurs géants du paysage médiatique, comme Vivendi, Altice, TF1, etc. © GETTY IMAGES
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Premier acteur audiovisuel sur le continent européen, RTL Group s’apprête à céder sa pépite M6. Une vente qui pourrait avoir de sérieuses conséquences sur le paysage télévisuel en Belgique.

Méconnu en Belgique, le groupe français M6 est une affaire qui marche. Il s’est construit autour de sa chaîne éponyme lancée en 1987 et a grandi au fil des ans en absorbant des télévisions concurrentes (MCM, Canal J, Gulli, Paris Première, etc.), de grandes stations de radio (RTL, RTL2, Fun) et de nombreuses sociétés actives dans l’audiovisuel.

Rentable, le groupe M6 a affiché un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros en 2020 avec un bénéfice net de 277 millions, malgré l’impact de la crise sanitaire sur les recettes publicitaires. Fort de ces bons résultats, son principal propriétaire RTL Group – premier groupe audiovisuel européen, lui-même détenu à 76% par le conglomérat allemand Bertelsmann – a décidé de vendre cette pépite française au plus offrant, afin de “créer de la valeur pour ses actionnaires”, a-t-il indiqué dans un communiqué.

Des géants aux aguets

Valorisé à 3 milliards d’euros sur le marché, le groupe M6 intéresse aujourd’hui plusieurs géants du paysage médiatique. Il y a d’abord le groupe français Vivendi, porté par l’homme d’affaires Vincent Bolloré, qui est actif dans différents secteurs: les médias avec le groupe Canal+ (les chaînes Canal+, C8, CNews, etc.), la publicité et la communication avec le groupe international Havas ou encore les loisirs avec le label de musique Universal, l’éditeur de jeux vidéos Gameloft, la plateforme numérique Dailymotion, mais aussi Editis, le deuxième groupe d’édition français.

A l’affût de M6, il y a également la multinationale Altice, dirigée par le boulimique Patrick Drahi, connue pour avoir racheté SFR en France et d’autres opérateurs télécoms à l’étranger, et qui est aussi présente dans les médias français à travers BFM TV, RMC et le groupe L’Express.

Il y a ensuite le groupe TF1 porté par la première chaîne de télévision française – propriété de l’empire Bouygues (35 milliards de chiffre d’affaires en 2020) – et enfin l’outsider Daniel Kretinsky, un milliardaire tchèque qui a fait fortune dans le secteur de l’énergie et qui a déjà investi dans quelques médias en France: l’homme d’affaires est actionnaire indirect du journal Le Monde et possède aujourd’hui plusieurs magazines (Marianne, Elle, Télé 7 Jours).

Actionnaire principal de RTL Group, Bertelsmann ne s’en cache pas: il se désintéresse de plus en plus de la télévision linéaire.

Si le futur propriétaire du groupe M6 ne sera pas connu avant plusieurs semaines, il n’en reste pas moins que cette cession pourrait avoir des conséquences sur le paysage audiovisuel en Belgique. Avec la mise en vente de son fleuron français, RTL Group ou plutôt son actionnaire de référence Bertelsmann révèle en effet sa nouvelle stratégie et démontre surtout que les mouvements de concentration sont plus que jamais nécessaires dans le paysage européen, à l’heure où les Gafan (Google, Amazon, Facebook, Apple et Netflix) ne cessent de voler de l’audience aux médias traditionnels.

Le conglomérat Bertelsmann ne s’en cache d’ailleurs pas: il se désintéresse de plus en plus de la télévision linéaire (sauf sur son marché local, l’Allemagne) et se concentre désormais sur ses activités réellement mondiales à travers son label de musique BMG ou encore son groupe d’édition Penguin Random House qu’il vient encore de renforcer en s’offrant l’éditeur américain Simon & Schuster pour près de 2 milliards d’euros.

3 milliards

En euros, l’estimation de la valeur actuelle du groupe M6, qui sera vendu au plus offrant.

Jeu de concentration

A plusieurs reprises, RTL Group a rappelé “l’intérêt qu’il y aurait à favoriser une consolidation du secteur audiovisuel européen”, à l’instar de ce qui s’est déjà fait dans d’autres secteurs comme l’automobile (avec le rapprochement du groupe PSA et de Fiat Chrysler pour former la nouvelle entité Stellantis) ou dans la gestion de l’eau et des déchets avec la tentative de mariage actuelle entre les géants Suez et Veolia.

Les grands groupes médias n’échappent pas à ce mouvement et essaient aujourd’hui de s’associer pour mieux résister à la menace des géants numériques. Dans cette logique, le groupe Bertelsmann s’apprête donc à délester RTL Group de sa filiale M6 pour engranger du cash et encourager cette consolidation dans l’audiovisuel européen. Et va probablement céder, à terme, d’autres structures moins essentielles à ses yeux: par exemple, RTL Nederland et RTL Belgique.

Pour la filiale belge, le scénario est d’autant plus prévisible que RTL Group est devenu, en décembre dernier, l’unique actionnaire de RTL Belgique. Avant cela, il ne possédait “que” 66% des parts, le solde étant détenu par Audiopresse, une société belge fondée en 1985 pour donner des compensations financières aux éditeurs de la presse francophone lorsque RTL-TVI fut lancée en Belgique et dont les actionnaires sont Rossel, IPM, Mediahuis et Holding Echos.

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Le scénario d’un “M6 à la belge”, qui circule en Fédération Wallonie-Bruxelles depuis quelques années, pourrait peut-être se concrétiser avec ce rachat.© BelgaImage

Un M6 “à la belge”?

En rachetant il y a trois mois à peine les parts des actionnaires belges réunis dans Audiopresse, RTL Group est donc devenu propriétaire à 100% de RTL Belgique, ce qui lui permet d’avoir enfin les mains libres pour décider seul de l’avenir de sa filiale belge. Dans ce contexte, le scénario d’une vente groupée M6-RTL Belgique fait dès lors son chemin, d’autant que le nouveau propriétaire de ce duo francophone pourrait faire, à l’avenir, des économies d’échelle en maintenant une seule marque forte M6, facilement déclinable en Belgique grâce à l’infrastructure existante de RTL-TVI.

Souvent évoqué, le scénario d’un M6 “à la belge” permettrait ainsi au nouvel acquéreur de diffuser la chaîne française sur notre territoire en maintenant cependant une touche locale pour garder intact l’intérêt du public de la Fédération Wallonie-Bruxelles – mais aussi un certain pluralisme des médias – grâce à des journaux télévisés belges, des émissions politiques et l’une ou l’autre production elles aussi “made in Belgium”.

Revers de la médaille: dans cette hypothèse réaliste d’un “M6 Belgique”, de nombreuses productions locales passeraient toutefois à la trappe pour mettre davantage de programmes français à l’antenne (dont certains sont déjà diffusés sur RTL-TVI, Club RTL et Plug RTL: Mariés au premier regard, Pékin Express, Chasseurs d’appart, etc.), ce qui signifierait le sacrifice de nombreux emplois dans la structure actuelle de RTL Belgique.

La menace solitaire

En revanche, si ce scénario “couplé” ne voit pas le jour et que le groupe M6 se retrouve seul dans l’escarcelle d’un nouveau propriétaire, rien n’empêcherait ce dernier de tenter malgré tout la diffusion de la chaîne française sur le territoire belge. Jusqu’ici, RTL Group n’avait pas intérêt à diffuser M6 “tel quel” en Fédération Wallonie-Bruxelles pour éviter toute concurrence avec les chaînes de sa filiale belge, mais si la chaîne française ne lui appartient plus, il ne pourra dès lors plus empêcher cette diffusion.

Dans ce nouveau cas de figure, le groupe M6, qui oeuvrerait alors sous la coupe d’un autre groupe, pourrait très bien cesser d’alimenter RTL-TVI, Club RTL et Plug RTL avec ses émissions emblématiques pour les diffuser elle-même en exclusivité sur sa chaîne désormais accessible en territoire belge. Cette concurrence frontale, sur un marché publicitaire déjà fort morcelé, serait davantage problématique pour RTL Belgique. Sauf si, bien sûr, le nouveau propriétaire du groupe M6, s’avère peu pressé de débarquer en Fédération Wallonie-Bruxelles…

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