2012, année de la délation

Donneurs d’alertes et autres chasseurs de fraudes sont invités à parler. Car ça paye.

Hollywood a toujours été fasciné par les récits du type David contre Goliath, où un homme seul lutte contre de grandes entreprises pour mettre au jour leurs pratiques illicites. Dans la réalité, cette bravade est très angoissante, les employeurs pouvant faire passer “ceux qui osent” pour des délateurs ou des marginaux.

Mais en 2012, la tâche de ces justiciers va devenir plus aisée. Et plus payante. Les pays du monde entier vont renforcer les moyens de les protéger et d’augmenter leur prime. Les pouvoirs publics, au budget grevé après le sauvetage de leurs banques, vont redoubler d’efforts pour éliminer les fraudes qui ponctionnent les caisses de l’Etat. Et les autorités de tutelle des marchés financiers vont confier la surveillance à des détectives extérieurs à l’entreprise ou à des indics travaillant au sein de celle-ci. Les “tuyaux” sont d’ailleurs la principale source de détection des fraudes (voir graphique ci-dessus).

Cette évolution est particulièrement marquée aux Etats-Unis où la loi Dodd-Frank (adoptée en juillet 2010) propose aux dénonciateurs une solide protection contre d’éventuelles représailles et des primes atteignant jusqu’à 30 % de ce qui sera récupéré de la fraude. Ils seront aussi aidés par un secteur d’activité informel regroupant juristes spécialisés, groupes militants et éditeurs spécialisés. “Ces mesures pourraient changer la donne, transformer tout employé en dénonciateur potentiel”, souligne Gary Aguirre qui a dévoilé l’indulgence de la SEC ( Securities and Exchange Commission, autorité américaine des marchés financiers) vis-à-vis de pontes de Wall Street, lors d’un délit d’initié. Ces incitations pourraient réduire le nombre de “taiseux” craignant d’éventuelles représailles de leur employeur (30 à 40 %, selon une étude). Les donneurs d’alerte célèbres vont eux aussi jouer un important rôle de soutien. Harry Markopolos, dénonciateur de Madoff, a ainsi encouragé des initiés mécontents à dénoncer les abus des banques sur les marchés des changes.

Dénonciations à l’échelle mondiale

2012 sera donc un tremplin pour les détectives des fraudes. Le versement de primes n’est pas nouveau – 3 milliards de dollars ont été distribués aux donneurs d’alerte depuis 1987 – mais pourrait désormais atteindre des dizaines, voire des centaines de millions. Les services financiers seront un terrain propice aux pratiques douteuses, car les sociétés en difficulté seront tentées de manipuler les comptes.

Certains dirigeants de société se plaignent. Ces nouvelles règles peuvent générer des déclarations douteuses de la part de “chasseurs de primes”. Cela dit, le coût d’une révision des procédures internes pour être en conformité avec la réglementation va brutalement augmenter en 2012, quand les sociétés seront de plus en plus nombreuses à s’apercevoir que leurs systèmes sont défaillants. Celles-ci proposeront alors des “mini-Dodd-Frank” : primes pour les salariés qui commencent par signaler leurs inquiétudes en interne, avant de s’adresser à des autorités de tutelle.

Mais la principale crainte des dirigeants d’entreprise est la portée mondiale des nouvelles dispositions mises en place aux Etats-Unis. La loi Dodd-Frank rend obligatoire l’attribution d’une prime aux dénonciateurs qui signalent des manquements sur les pratiques de corruption, y compris à l’étranger. Cela vaut pour n’importe quelle entreprise, où qu’elle soit installée dans le monde, même si l’acte de corruption a eu lieu à l’étranger et que le dénonciateur est un ressortissant étranger. La seule condition est que les titres de l’entreprise concernée soient négociés aux Etats-Unis.

Selon Stephen Kohn, du NWC, “ceci marque un tournant majeur dans le signalement transnational. Pour la première fois, les donneurs d’alerte résidant dans les pays où les institutions démocratiques sont fragiles peuvent venir aux Etats-Unis pour qu’une procédure ait lieu en bonne et due forme.” Ces cas devraient proliférer en 2012 et ainsi dissuader les multinationales d’exercer leurs activités dans des pays où le pot-de-vin est la règle. Mais ceux qui dénoncent de tels actes dans des pays qui continuent à les considérer comme des gêneurs n’ont pas fini d’être harcelés.

Matthew Valencia, journaliste spécialiste de la finance américaine à The Economist

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