Comment le fret aérien a répondu aux défis de la pandémie et répond aux problèmes de pénurie

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Les pénuries frappent le monde entier avec pour conséquences de nombreux retards dans les chaînes d’approvisionnement. Si l’on a beaucoup parlé des embouteillages dans le transport maritime, la situation est la même dans le secteur du fret aérien. Un secteur qui a aussi joué un rôle clé pendant la pandémie de coronavirus et qui continue à le faire aujourd’hui. Nous avons interrogé, l’IATA, l’Association du transport aérien international, qui est revenue sur son rôle, ses défis et de ses prévisions pour l’avenir.

La pandémie de coronavirus qui a frappé le monde en 2020 a modifié nos habitudes mais a aussi mis l’accent sur l’importance des secteurs logistiques, mis sous pression dans une période de restrictions alors que le monde espérait pouvoir continuer à plein régime et pouvoir continuer à assurer la livraison de fournitures médicales. Les effets de la crise sanitaire se font encore ressentir actuellement, notamment dans la chaîne d’approvisionnement avec de nombreuses pénuries de matériaux à travers le monde et de nombreux embouteillages dans les ports et aéroports.

Ces deux dernières années, le fret aérien a été particulièrement sollicité en raison de sa rapidité de transport qui est importante, notamment pour la livraison de produits stratégiques. Le secteur, comme beaucoup d’autres, n’était sans doute pas prêt à affronter une telle crise mais il a su rapidement trouver les bonnes réponses pour répondre aux nouveaux défis qui se sont dressés devant lui. L’IATA, l’Association du transport aérien international, a joué un rôle clé en jouant les intermédiaires entre les gouvernements, les manufacturiers mais aussi les compagnies aériennes.

Fondée à Cuba en 1945 mais disposant désormais de son siège à Montréal, l’IATA a aussi pour mission d’unifier et de coordonner les normes et les règlements internationaux en intervenant dans les domaines de la sécurité des passagers et du fret aérien. Elle veille aussi à améliorer et moderniser ses services tout en essayant d’optimiser les coûts.

Nous sommes revenus sur sur cette période particulière pour le fret aérien avec André Majeres, Manager du service aéropostal et des opérations d’e-commerce au sein de l’IATA. On est revenu sur les défis du passé tout en abordant ceux de l’avenir.

Qu’est-ce qu’une crise aussi importante que celle du covid a changé dans le quotidien du transport aérien de marchandises ? Quel impact cela a-t-il eu sur les volumes et le type de marchandises transportées, les périodes de haute saison par exemple ?

André Majeres: “Le covid-19 a changé le monde. Les gouvernements ont été obligés de fermer les frontières et à prendre des mesures drastiques pour protéger leurs populations tout en continuant à assurer des services essentiels. Les différentes restrictions et fermetures ont aussi changé les modes de consommation. Les gens ont aussi effectué plus d’achats en ligne, vu qu’ils “vivaient” essentiellement en ligne pendant cette période. On peut dire que pendant la crise, le fret aérien a démontré sa valeur pour l’aviation et le monde en général. Il a été une bouée de sauvetage pour la société en pouvant continuer à livrer des fournitures médicales et des vaccins essentiels à travers le monde. Mais il a aussi permis de maintenir ouvert les chaînes d’approvisionnement internationales.

Enfin, pour de nombreuses compagnies aériennes, le fret est devenu une source vitale de revenus lorsque les vols de passagers se sont arrêtés. En 2020, le fret a généré 129 milliards de dollars de revenus, ce qui représente environ un tiers des recettes globales des compagnies aériennes, mais aussi une augmentation de sa part dans le revenu de 10 à 15 % par rapport au début de la crise. Pour répondre aux défis de la pandémie, notre secteur a aussi dû se montrer innovant en reconfigurant les avions de transports de passagers pour transporter du fret dans des cabines (ce qu’on appelle les “preighters”). Ce processus a permis d’étendre autant que possible les opérations de fret.

Cette année, la demande de fret devrait dépasser de 8 % les niveaux d’avant la crise (en 2019) et les recettes devraient atteindre un niveau record de 175 milliards de dollars, les rendements devant augmenter de 15 %. En 2022, la demande devrait dépasser de 13 % les niveaux de 2019 et les recettes devraient se stabiliser à 169 milliards de dollars, avec une baisse de 8 % des rendements. En 2021, le fret aérien devrait surperformer le commerce mondial, car les entreprises renouvellent leurs stocks et l’année prochaine, il sera dépendant de la croissance du commerce mondial de marchandises.

La pandémie a aussi permis d’accélérer la numérisation dans certains domaines. Des processus sans contact ont été introduits pour réduire le risque de transmission du virus. Nous devons maintenir cette dynamique non seulement pour améliorer l’efficacité opérationnelle, mais aussi pour répondre aux besoins des clients. Les domaines de croissance les plus importants sont l’e-commerce transfrontalier et les articles à manutention spéciale comme les marchandises thermosensibles. Les clients de ces produits veulent savoir à tout moment où se trouvent leurs articles et dans quel état.”

Êtes-vous davantage sollicités par les États depuis la crise pour le transport de produits stratégiques ?Comment se déroule la mise en place des procédures pour faciliter et accélérer leur transport ?

AM: “L’IATA a soutenu le fret aérien afin de lui permettre de pouvoir répondre aux défis de la pandémie, notamment en termes d’innovation. Nous avons accéléré l’élaboration de certaines normes afin d’assurer un transport efficace de produits stratégiques. De nouveaux modes d’exploitation sûrs ont été mis en oeuvre. Nous avons aussi accéléré la numérisation à l’extension des processus sans contact. Mais le secteur du fret aérien ne s’est pas contenté de cela. Il fallait développer de nouvelles normes pour faciliter le transport des vaccins contre la covid. Il fallait s’assurer que les opérations de fret aérien étaient exclues des restrictions de voyage liées au covid-19. Nous devions obtenir des droits de trafic temporaires pour certaines opérations qui sont soumises à des restrictions. Il fallait supprimer ou assouplir certaines restrictions de couvre-feux pour des tranches horaires d’exploitation nécessaires aux vols de fret afin de faciliter les opérations sur le réseau mondial.

Vous devez aussi penser à introduire des procédures accélérées pour des autorisations de survol et d’atterrissage, en particulier dans les principaux centres manufacturiers d’Asie comme la Chine, la Corée du Sud et le Japon. Et cela en réponse au nombre croissant de charters de cargo qui remplaçaient les vols habituellement utilisés pour du transport de passagers. Grâce à l’amélioration de la coopération tout au long de la chaîne d’approvisionnement logistique, avec les gouvernements et les autorités frontalières, nous avons pu transporter en toute sécurité des millions de tonnes de fournitures médicales vitales et livrer des milliards de doses de vaccins contre la Covid-19 partout à travers le monde.

C’était sans doute l’opération logistique mondiale la plus sophistiquée à réaliser et nous avons relevé le défi. Mais il y avait et il y a toujours des défis à relever. C’est pourquoi l’IATA continue à travailler étroitement avec les Etats pour que ce transport efficace de vaccins continue à se dérouler le plus efficacement possible.”

Cargolux est l'une des plus grosses compagnies spécialisée dans le fret aérien au monde.
Cargolux est l’une des plus grosses compagnies spécialisée dans le fret aérien au monde.© iStock

Quel impact les règles rarement harmonisées entre les pays ont-elles eu sur votre efficacité au travail et sur la gestion générale du secteur ?

AM: “Les restrictions de voyage sont la principale raison de la faiblesse de la reprise. L’approche non harmonisée de la lutte contre la pandémie et les diverses restrictions aux frontières n’ont pas seulement eu un impact négatif sur l’aviation dans son ensemble, mais aussi sur les employés des différentes organisations de la chaîne d’approvisionnement. Les compagnies aériennes, les manutentionnaires au sol, les fournisseurs et toutes les autres parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement du fret aérien ont été touchées par le manque d’avions de passagers, aussi bien en raison des restrictions que du manque de capacité.

Tout ceci a entraîné des restructurations massives avec des licenciements et des résiliations de contrats. Ce fut une période compliquée pour les employés, mentalement affectés par la situation et qui devaient faire face à la complexité de la mise en conformité avec tout un ensemble de nouvelles mesures de santé et de sécurité, combinée à une réduction des activités. Nous avons été surpris de la résilience dont nous avons fait preuve pour relancer l’industrie et nous pouvons en voir aujourd’hui les résultats positifs.”

Abordons maintenant le problème des pénuries de matériaux qui provoquent de nombreux problèmes à travers le monde. Le prix de certaines marchandises s’envole et de nombreuses personnes estiment que cette explosion des prix du fret n’est pas normale. Que leur répondez-vous ?

André Majeres: “Les capacités de transport restent limitées. Par conséquent les coefficients de remplissage restent proches des records. Les rendements du fret ont donc tendance à augmenter pour ces raisons.

Le fret aérien a-t-il bénéficié de la congestion des ports ?

AM: “Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement et les retards de livraison qui en résultent ont entraîné de longs délais de livraison des fournisseurs. Cela signifie généralement que les fabricants utilisent le transport aérien, qui est plus rapide, pour récupérer le temps perdu pendant le processus de production. L’indice mondial PMI sur les délais de livraison des fournisseurs s’est établi à 36 au mois de septembre. Quand les valeurs sont inférieures à 50, cela veut dire que la situation est favorable au fret aérien. Il existe un avantage à la congestion de la chaîne d’approvisionnement car les fabricants se tournent alors vers nous. Mais voilà, le fret aérien ne peut absorber la demande supplémentaire en raison des contraintes de capacité. Si les gouvernements n’interviennent pas afin de soulager la pression sur les chaînes d’approvisionnement mondiales, les avantages économiques plus larges de ce qui devrait être une forte haute saison en fin d’année seraient alors menacés pour de nombreux secteurs économiques, y compris pour les biens de consommation et le fret aérien.”

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Existe-t-il des collaborations et des liens entre le transport maritime et le transport aérien ou ces secteurs travaillent-ils vraiment de manière indépendante ?

AM: “Le transport multimodal est bien sûr un élément important du volet logistique des chaînes d’approvisionnement. De plus en plus d’efforts sont entrepris pour s’aligner autant que possible afin d’optimiser les processus, d’être plus efficace et de permettre un transport sans faille, sûr et sécurisé au profit des consommateurs.”

Que retirez-vous comme conclusion de la période que nous rencontrons ? Comment envisagez-vous l’avenir du fret aérien ?

André Majeres: “Le fret aérien sortira renforcé de cette crise. Pendant la pandémie, alors que les passagers ne pouvaient pas prendre l’avion, les compagnies aériennes perdaient des millions de revenus d’euros chaque jour. Le fret aérien a donc été une bouée de sauvetage qui lui a permis de survivre. Je rappelle qu’en 2020, le fret représentait environ un tiers des recettes d’une compagnie aérienne. Aujourd’hui, il est évident que le fret a été mis en avant et que l’on comprend mieux les avantages qu’il peut apporter à une compagnie aérienne. Nous constatons que de plus en plus de compagnies aériennes et d’aéroports modifient leur modèle économique pour tirer parti du fret aérien. La connectivité que nous assurons sous-tend une activité économique de 3 500 milliards de dollars et 88 millions d’emplois. En un peu plus d’un siècle, l’aviation s’est imposée comme une force motrice de changements positifs dans notre monde. Cette pandémie nous a aussi rappelé à quoi ressemble un monde où l’aviation est limitée. Nous ressentons tous cette responsabilité. Mais si nous nous serrons les coudes, avec le soutien de nos partenaires au sein des gouvernements et de la chaîne de valeur, nous saurons capable de faire preuve de résilience une nouvelle fois. Nous volerons haut à nouveau ! “

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