Marc Raisière, CEO de Belfius: “Mon rêve, c’est de réaliser un bénéfice d’un milliard”

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Malgré deux années de pandémie, tous les voyants de Belfius sont au vert. En 2021, le groupe de banque et d’assurance a franchi la barre des 900 millions d’euros de bénéfice. Un record. Au point, pour son CEO, de se donner notamment comme objectif de dépasser le milliard net d’ici 2025.

Un record. Dix ans quasiment jour pour jour après la naissance de la marque, et deux ans après le début de la pandémie, Belfius vient de publier le meilleur bénéfice annuel de son histoire. Toujours contrôlé aujourd’hui à 100% par l’Etat, le groupe de banque et d’assurance a dégagé en 2021 un résultat net de 935 millions d’euros, en hausse de 76% sur un an, après un exercice 2020 marqué par les confinements à répétition. De quoi nourrir de nouvelles ambitions, nous expliquait son CEO Marc Raisière juste avant la présentation officielle des résultats.

Profil

  • Né à Namur, 59 ans
  • Licencié en sciences mathématiques et actuarielles (UCL)
  • Fait carrière dans l’assurance (Fortis AG, Axa, Belfius Insurance), en Belgique comme à l’étranger
  • CEO de Belfius depuis 2014
  • Manager de l’Année 2016

TRENDS-TENDANCES. Vous publiez un bénéfice annuel de 935 millions d’euros, contre 532 millions voici un an. Qu’est-ce qui explique cette performance historique?

MARC RAISIÈRE. Ce sont des résultats qui sont excellents, en effet. Mais il y a l’impact des provisions constituées anticipativement pour faire face au covid. Sur les 935 millions d’euros de bénéfice en 2021, il y a une récupération nette de 86 millions liée à la baisse du coût du risque. Donc, si on veut être totalement transparent, il faut retirer ces 86 millions d’euros du résultat final, ce qui donne un bénéfice net de 849 millions d’euros pour 2021. Un chiffre qui doit idéalement être comparé aux 667 millions dégagés en 2019, avant le covid, et pas aux 532 millions de bénéfice réalisé en 2021.

Il n’y a aucune raison de ne pas arriver à 20% de parts de marché sur toutes nos activités bancaires.

Cela reste malgré tout exceptionnel. En 10 ans, le bénéfice a plus que doublé…

Toutes les banques ont de bons résultats. Mais nous pensons en effet avoir été l’une des plus performantes en 2021. Une performance qui s’exprime aussi au travers de notre cost-income ratio qui passe pour la première fois en dessous de 55%, et qui est le fruit d’une diversification réussie de nos revenus entamée il y a maintenant 10 ans. Belfius n’est plus aujourd’hui une banque tournée uniquement vers le retail et le secteur public. C’est un bancassureur digital qui soutient pleinement les entrepreneurs – regardez notre campagne actuelle “Love” -, qui croît fortement dans l’ asset management et qui a été repris dans le top 10 des banques ayant le mieux résisté aux stress tests de la BCE. Ce succès est aussi celui de tous les collaborateurs de Belfius dont la satisfaction et la fierté dépassent toujours les 90%, malgré deux années de pandémie qui n’ont absolument pas été faciles.

Pandémie qui est donc déjà bien loin?

Tous les métiers ont très bien performé. L’an dernier, nous avons accordé plus de 22,3 milliards d’euros de nouveaux prêts à long terme. C’est du jamais vu. En 2012, notre encours s’élevait à 80 milliards. Dix ans plus tard, il se monte à 102 milliards, dont 35 milliards rien que pour le business et corporate banking. Notre part de marché sur ce segment corporate est aujourd’hui de 18,5%, contre 8% en 2012. Mais cette croissance soutenue des crédits ne se fait aucunement au détriment d’une bonne maîtrise des risques. Tout cela est le fruit d’une stratégie constante qui, depuis que je suis CEO, a évolué mais n’a jamais changé.

D’aucuns diront que ces chiffres en croissance s’expliquent par le fait que Belfius est une banque d’Etat qui peut se permettre de brader les prix au détriment de sa rentabilité?

D’année en année, nos résultats sont en croissance. Belfius est gérée comme une banque commerciale et la Banque centrale européenne contrôle notre solvabilité. Sur base d’un ratio de fonds propres de 16,4%, notre return on equity arrive à 9,2%. J’ai fait les calculs. Si je mets notre capital au même niveau que les objectifs de solvabilité d’ING et BNP Paribas Fortis (c’est-à-dire un ratio de fonds propres de 12,5%), Belfius aurait un return on equity de 12,8%. Cela signifie que, si on normalise les capitaux propres, Belfius a un return sur equity supérieur tant à BNP Paribas Fortis qu’à ING.

Comment se portent vos activités de “private banking” et de “wealth management”, créneau sur lequel vous avez également décidé d’accélérer il y a quelques années?

En 10 ans, nos activités d’ asset management sont passées de 32 à 62 milliards d’euros. Au niveau private banking et wealth management uniquement, nous totalisons désormais 53 milliards d’avoirs contre 44 milliards fin 2020, soit une croissance de 20% sur un an. Avec un effet de marché qui, dans cette croissance, se limite pour l’année dernière à 2,8 milliards d’euros. Cela montre bien que dans cinq ans, je l’espère en tout cas, Belfius sera le deuxième private banker et wealth manager en Belgique.

Il revient à notre actionnaire de décider s’il souhaite mettre une partie du capital de Belfius en Bourse.

Etes-vous toujours à l’affût d’acquisitions à ce niveau-là? Ce qui vous intéressait dans le rapprochement avorté avec Degroof Petercam, c’était son pôle de gestion d’actifs.

On ne peut rien vous cacher ( sourire). C’est la raison pour laquelle Belfius et Candriam ont décidé de se rapprocher. Une vingtaine de chargés de relation de Candriam vont prochainement rejoindre les équipes de Belfius Investment Partners, notre asset manager. Mais cela ne nous empêche pas de rester ouverts à un rachat de banque privée, en Belgique ou à l’étranger, à condition qu’elle ait la taille suffisante.

Quel premier bilan tirez-vous du lancement de votre nouvelle plateforme de “trading” en ligne Rebel?

Fin de l’année, elle avait déjà accueilli 40.000 clients. Deux mois plus tard, nous sommes à près de 50.000 utilisateurs actifs. C’est énorme!

Et pour Beats? Certains disent que cela ne marche pas, que vos agents bancaires se plaignent de devoir aussi être des experts dans la vente d’abonnements télécoms…

Ce n’est pas vrai. Je ne peux malheureusement pas vous donner de chiffres, parce que nous avons signé une clause de confidentialité avec Proximus à ce sujet. Mais je peux vous assurer que Beats marche bien. Et on ne parle pas de 100 clients. Nous avons vécu la même chose au moment du lancement du concept de bancassurance en mai 2013. Au début, cela n’a pas été simple pour nos agents. Mais depuis, nous avons doublé nos chiffres en non-life. Pareil quand nous avons demandé en 2015 à nos agents d’engager des experts en corporate banking pour attaquer le segment des entreprises. La réaction a également été la même pour le private banking et le wealth management en 2017. Et maintenant, c’est à nouveau cela qui se passe avec les packs de Proximus. Il faut avoir la patience d’attendre plus ou moins 18 mois pour que cela s’inscrive dans les gènes de nos agents qui, in fine, sont heureux de ces initiatives. Nous allons devenir l’un des plus importants distributeurs de packs télécoms de Proximus.

Peut-être, mais n’y a-t-il pas eu un peu de cacophonie dans la communication autour de tous ces lancements?

Beats et Rebel sont de très bons noms. Mais je peux imaginer qu’avec tout ce que nous avons lancé ces derniers mois, la communication n’ait pas été suffisamment claire. Est-ce que c’est grave? Non, nous allons améliorer cela.

Autre sujet: la mise en Bourse. Le dossier pourrait-il revenir prochainement sur la table du gouvernement vu vos excellents chiffres?

Les chiffres sont effectivement excellents. Toutes les conditions sont réunies. Mais il revient évidemment à notre actionnaire de décider s’il souhaite mettre une partie du capital de Belfius en Bourse.

D’autant que les valeurs bancaires retrouvent des couleurs sur les marchés.

Plus les taux vont remonter, plus elles vont en effet en profiter. En plus, nous avons actuellement une belle dynamique commerciale combinée à une gestion stricte des coûts. Le trend est bon.

Bon pour une introduction Bourse à la Proximus, où l’Etat garderait le contrôle?

Je défendrai toujours l’ancrage belge. Toujours. La Belgique doit arrêter d’être naïve. Il y a quelque chose de plus à disposer d’un centre de décision en Belgique. C’est un tout autre type d’ affectio societatis.

Réaliser cette mise en Bourse, c’est votre rêve?

Non. Mon rêve, c’est d’être au-delà des 20% de parts de marché sur toutes nos activités bancaires et de franchir la barre du milliard d’euros de résultat d’ici 2025 (dans le cadre du plan stratégique de la banque baptisé “Meaningful and inspiring for the Belgian society, together”, Ndlr) . Il n’y a aucune raison de ne pas y arriver. Ce serait symboliquement intéressant pour Belfius, qui serait alors vraiment un intervenant incontournable.

Belfius ne se sentira-t-il pas à un moment à l’étroit sur le marché belge?

Pendant les trois ou quatre prochaines années, absolument pas. En assurance, nous avons pour le moment une part de marché de 8% dans le retail. Nous devons être capables d’atteindre 15%, c’est un minimum. Dans le domaine du crédit hypothécaire, nous sommes à 16,5% de part de marché. Il n’y a aucune raison de ne pas viser les 20%. Même chose pour le business et corporate banking, nous devons être aux alentours de 22%. A côté de cela, en termes de développement, nous devons parvenir mieux encore qu’aujourd’hui à faire vivre nos partenariats stratégiques avec Immovlan et Skipr, pour lesquels vous pouvez vous attendre à des nouveautés d’ici la fin de l’année.

Faut-il en déduire que vous croyez moins à la possibilité de dégager d’autres sources de revenus au départ des écosystèmes “beyond banking” proposés dans l’application?

Certaines fonctionnalités comme les chèques services et le paiement de votre place de parking ont un succès colossal. Tout ce qui facilite la vie, en fait. Mais le seul beyond banking qui est rentable aujourd’hui, c’est Beats. Les autres offres d’écosystèmes ne le sont pas. Ce n’est pas grave. On teste. On apprend. C’est du service au client.

Pour terminer, un mot sur le poste de CEO. Pourrait-on voir en 2025 une femme vous succéder et diriger Belfius?

Vous voulez déjà me mettre dehors (rire)? Jos (Clijsters, l’ancien président du conseil, Ndlr) voulait partir à 67 ans et il a quitté la banque à 71 ans. Mon mandat se termine en 2025. La question se posera en 2024. Il faut avoir l’envie, la passion, il ne faut pas faire les années de trop.

Ce qui est sûr, par contre, c’est que le succès de Belfius est un succès collectif. Ce n’est pas un one man show. La transformation a été telle en 10 ans qu’une seule personne n’aurait pas pu la réaliser. Ma plus grande qualité est peut-être d’être parvenu à m’entourer de nombreux talents qui ont adhéré à la même vision. Cela signifie qu’il y a au sein de Belfius énormément de personnes compétentes qui peuvent à terme jouer un premier rôle. Homme comme femme, d’ailleurs.

Alexander De Croo “Ce qui compte, c’est l’ancrage belge”

Mise en Bourse ou pas: comment le gouvernement voit-il l’avenir de Belfius? Nous avons posé la question au Premier ministre.

TRENDS-TENDANCES. Appartenant à l’Etat depuis 2012 et le rachat pour 4 milliards d’euros de la partie belge du groupe Dexia, Belfius s’avère être une bonne affaire pour les caisses publiques. Cette année encore, elles vont recevoir un joli dividende de 368,5 millions…

ALEXANDER DE CROO. Moi-même, je n’étais pas convaincu à l’époque. Il y avait beaucoup de doutes autour du nom. Une banque avec un passé difficile et avec l’Etat comme unique actionnaire avait tout pour être un oiseau pour le chat. Finalement, Belfius a pleinement joué son rôle pour la société. Elle s’est révélée une entreprise innovante, pionnière dans le monde digital, au service du financement des pouvoirs locaux et de notre économie. C’est une histoire dont le succès est plus large que simplement celui qu’il représente 10 ans plus tard pour l’Etat.

Marc Raisière, CEO de Belfius:
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Toutes les banques disent jouer leur rôle sociétal. En quoi Belfius est-elle différente?

J’ai pu le constater de très près, notamment au début de la pandémie et de la mise sur pied du “bazooka”. Toutes les banques ont joué leur rôle, refusant de fermer le robinet du crédit. Mais toutes les interactions que j’ai pu avoir avec la direction de Belfius dans ce cadre-là ont été parmi les plus actives. Belfius est également au top en termes de satisfaction client. Elle tient aussi les premiers rôles en matière de produits ESG, de diversité, etc.

Quid d’une introduction en Bourse?

Comme vous le savez, l’idée n’est pas neuve. Mais elle ne dépend pas totalement de nous. Nous avons toujours eu un rôle très passif comme actionnaire, ce qui ne peut s’envisager sans un lien de confiance, lequel est le meilleur garant de ce rôle très passif. On peut avoir des débats idéologiques à n’en plus finir sur le fait de savoir si l’Etat a vocation à être banquier ou pas. Ce qui compte, c’est le rôle que remplit Belfius et son ancrage belge. Aujourd’hui, c’est une pièce angulaire du système financier belge. Si Belfius n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Faut-il voir dans la centralisation des participations de l’Etat, dont celle de Belfius, au sein de la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), le fait que la question de l’ancrage belge est devenue une priorité politique?

Nous voulons éviter que se produisent des acquisitions qui pourraient mettre en danger la capacité de financement de notre pays. L’étape qui a été franchie avec Ageas en janvier dernier ( entrée de la SFPI dans le capital, Ndlr) s’inscrit dans cette perspective. Pas parce que nous cherchons à jouer un rôle actif en tant qu’ actionnaires mais parce que nous devons être moins naïfs. L’Etat doit être capable de montrer qu’il est prêt à intervenir pour défendre les intérêts stratégiques du pays.

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