Assurances dentaires: un luxe parfois nécessaire, encore faut-il savoir mettre le prix

Soins dentaires Les honoraires conventionnels sont très en retard sur les progrès scientifiques et technologiques. © GEtty Images
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

La pénurie de dentistes et l’hyper-spécialisation coûtent cher. Après l’assurance hospitalisation, l’assurance dentaire est devenue la couverture soins de santé la plus vendue sur le marché belge.

On le sait, l’assurance maladie obligatoire, organisée par l’Inami, rembourse en tout ou en partie certaines des consultations et des traitements dentaires. Elle doit être souscrite à partir de 25 ans, soit à titre onéreux auprès d’une mutuelle, soit gratuitement à la Caisse auxiliaire d’assurance maladie invalidité. Les enfants sont automatiquement affiliés à l’assurance maladie du chef de famille.

Mais l’Inami ne rembourse pas les suppléments, c’est-à-dire les montants que le dentiste facture en dehors de la nomenclature, si le praticien n’est pas conventionné, par exemple. C’est là qu’une assurance dentaire complémentaire peut être intéressante. “Septante pour cent du total des dépenses dentaires remboursées par notre assurance facultative Dentalia Plus faisaient, en 2019, l’objet de l’une ou l’autre intervention de la part de l’assurance obligatoire ; aujourd’hui, ce n’est plus que 50%, calcule Sarah Masschelein, porte-parole de la mutualité indépendante Helan (ex-Partena). Mais ces frais non remboursés par l’Inami ne sont pas encadrés, ce qui signifie que le dentiste facture absolument ce qu’il veut.”

Généralistes versus spécialistes

Le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke, se dit déçu de constater que malgré les divers relèvements effectués cette année, 39,59% des praticiens refusent toujours d’être conventionnés. “Le budget consacré aux soins dentaires a été augmenté de 45 millions d’euros. Ce qui, sur une enveloppe totale supplémentaire de 1,1 milliard, est dérisoire”, nuance Stefaan Hanson, du Verbond der Vlaamse Tandartsen, l’Union des dentistes flamands. “Dans les régions où les dentistes conventionnés étaient déjà peu nombreux, le pourcentage a reculé encore en 2022“, regrette Paul Callewaert, secrétaire général de la mutualité socialiste Solidaris.

Ceci étant, le fait qu’un peu plus de 60% des dentistes soient conventionnés suffit à valider le système. “Mais seulement 5% des orthodontistes flamands le sont, note Stefaan Hanson (chiffres inconnus en Wallonie et à Bruxelles, Ndlr). Les honoraires accordés aux orthodontistes sont en effet tellement bas qu’il n’est pour eux pratiquement pas envisageable d’adhérer à la convention. Les parodontistes et les endodontistes ne pensent pas autrement.”

Le traitement endodontique consiste à retirer, avec une précision chirurgicale, les tissus malades de la pulpe dentaire, pour éviter infection et abcès. Les équipements nécessaires pour ce faire, de même que le temps consacré à l’opération, ne sont pas suffisamment rémunérés par l’Inami. Les parodontistes, ces chirurgiens-dentistes spécialisés dans la prévention et le traitement des maladies de l’os et de la gencive, sont confrontés au même problème. Mais d’après Helan, ils n’ont pas l’exclusivité des suppléments d’honoraires. “Certains dentistes réclament quatre à cinq fois les honoraires conventionnels pour soigner une carie. Heureusement, ces cas sont exceptionnels”, témoigne Sarah Masschelein.

Les traitements courants non remboursés sont-ils nombreux? Pour Paul Callewaert, “tout devient surtout plus spécialisé. Certains dentistes ont tendance à envoyer leurs patients chez des spécialistes. Ce n’est toutefois pas le cas de tous. Le mien, par exemple, assure tous les soins. D’autres se consacrent exclusivement à l’orthodontie, à l’endodontologie ou à la parodontologie, plus rentables. Il faut du reste admettre que tout le monde n’est pas bon en tout.” Lorsqu’une pose d’implant n’a pas été bien faite et que le patient en conserve des séquelles, le dossier arrive au service juridique de la mutuelle. Ce n’est pas rare.

Assurances dentaires: un luxe parfois nécessaire, encore faut-il savoir mettre le prix

Sous-financement

Paul Callewaert voit trois grandes carences au système d’intervention. “En 1993, il a été décidé que les extractions ne seraient plus prises en charge. On considérait que les gens qui se brossaient convenablement les dents n’avaient pas besoin d’en arriver là. Ce raisonnement très binaire ne tenait pas compte du contexte socioéconomique des patients. Chaque fois qu’un peu de budget est disponible, nous tentons donc de rectifier le tir. L’extraction chez les enfants et les personnes âgées est à nouveau remboursée, et nous cherchons à étendre l’intervention à tous. Par ailleurs, de nouvelles techniques comme les implants et de nouveaux matériaux onéreux ne sont pas, ou pas entièrement, remboursés. La timide augmentation de l’enveloppe budgétaire nous a permis d’améliorer un peu chacun de ces postes. Mais je le dis et je le répète: il faudrait investir 500 millions pour pouvoir combler entièrement ces failles.”

3%

Part du budget de l’Inami consacrée aux soins dentaires. C’est très inférieur à la situation en France (6%), aux Pays-Bas (7%) et en Allemagne (9%).

“En Belgique, les soins dentaires souffrent d’un sous-financement structurel, confirme Stefaan Hanson. Les honoraires conventionnels sont très en retard sur les progrès scientifiques et technologiques. Il y a quelques années, nous avions calculé l’évolution du prix du panier de produits fréquemment utilisés dans les cabinets dentaires: il avait augmenté trois fois plus vite que l’inflation, alors que les tarifs et les honoraires des dentistes suivent l’évolution de l’indice santé. Trois pour cent seulement du budget de l’Inami sont consacrés aux soins dentaires. C’est très inférieur à ce qui se passe en France (6%), aux Pays-Bas (7%) et en Allemagne (9%).”

Assurances facultatives

“Les mutuelles se livrent dès lors une concurrence acharnée, constate Stefaan Hanson. Et ce sur les plans tant des interventions supplémentaires comprises dans la cotisation que des assurances privées.”

Ces dernières, facultatives, se sont multipliées ces 10 dernières années. DKV s’y était mis, en 1996. Mais toutes les mutuelles ou presque en proposent désormais, avec des primes en fonction de l’âge de l’adhérent. Dans son produit d’assurance dentaire, Solidaris intervient ainsi à en théorie à concurrence de 75% du montant à charge du patient pour les prothèses fixes et implants, avec un plafond de 1.000 euros par an. Avec Dento+, la Mutualité chrétienne fait de même. Tout comme la mutualité Neutra qui, avec Dentalis, rembourse aussi 75% du ticket modérateur légal, en sachant que l’ensemble des prestations d’orthodontie, de parodontologie, prothèses et implants, est de maximum 1.250 euros par an.

“Ces assurances soulagent les membres de la classe moyenne, mais attention: la comparaison est difficile, parce qu’elles ne couvrent pas toutes dans la même mesure les mêmes traitements, et parce qu’elles plafonnent différemment leurs interventions, avertit Stefaan Hanson. L’information n’est pas toujours parfaitement transparente et elle peut même parfois prêter à confusion. DKV, pour ne citer qu’elle, exclut toute affection préexistante”. Plus chère que les assurances offertes par les mutuelles, DKV propose toutefois des garanties et plafonds plus élevés.

Avec quel succès? L’assureur d’origine allemande évoque pour 2022 une croissance “à deux chiffres” du nombre de ses assurés. Les mutuelles font moins de mystère. Le nombre d’assurés au produit Dentalia Plus proposé par Helan augmente de 7% à 9% chaque année. Chez Solidaris, près de 150.000 personnes disposent de l’assurance DentaPlan, soit deux fois plus qu’il y a cinq ans. L’existence d’un marché pour les assurances dentaires complémentaires en dit du reste long sur les suppléments portés en compte. Chacun fera donc bien d’éplucher les conditions et les plafonds de remboursement des traitements utiles à sa situation spécifique, et de tenir compte de la durée des stages d’attente en vigueur un peu partout.

Dès qu’il y a assurance ou remboursement, il y a augmentation de la facture.”Paul Callewaert (Solidaris)

Effets pervers

Ni les remboursements supplémentaires inclus dans la cotisation obligatoire, ni les assurances facultatives, n’offrent cependant de solution miracle. Stefaan Hanson déplore l’existence de “soins à deux vitesses: il y a les patients qui peuvent s’offrir une assurance privée et ceux qui ne le peuvent pas. Ce qui est diamétralement opposé à la volonté du gouvernement de rendre les soins médicaux plus accessibles à tous”.

“Si Solidaris a mis sur le marché une assurance complémentaire en 2015, c’est après avoir beaucoup hésité, pour ne pas être à la traîne et pour répondre à la demande croissante de ses membres, admet Paul Callewaert. Cela permet d’alléger un peu la facture du patient, mais aucune assurance facultative n’offre de protection complète.”

Augmenter le montant des cotisations pour faire supporter solidairement les risques par tous les membres n’est pas non plus la panacée. “Aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’entente avec les dentistes, cette mesure constituera un emplâtre sur une jambe de bois”, désapprouve Paul Callewaert, pour qui toutes les mutualités devraient agir conjointement et éviter de multiplier sans concertation les interventions supplémentaires, ce qui accroît la concurrence. “Dès qu’il y a assurance ou remboursement, il y a augmentation de la facture. Les assurances complémentaires, de même que les interventions supplémentaires comprises dans les cotisations, engendrent une inflation et un faux sentiment de sécurité.”

Paul Callewaert plaide pour que les mutuelles s’entendent avec les dentistes au sujet des prix des traitements non conventionnés: “Nous avions fait cela par le passé pour ce qui concerne le matériel endoscopique dans les hôpitaux. Par la suite, ces dépenses ont été intégrées dans la nomenclature. Les mutuelles peuvent avoir une véritable fonction de laboratoire pour l’assurance obligatoire. Pourtant, les cinq unions nationales échouent actuellement à peser sur les tarifs des soins dentaires spécialisés. Ce qui provoque un effet Matthieu” – en d’autres termes, certains traitements ne sont plus à la portée que des classes sociales les plus aisées, qui peuvent se permettre de payer chaque année la prime de l’assurance privée de toute la famille.

En recul partout

Et ce d’autant que les risques de pénurie de dentistes peuvent aussi avoir une influence sur les prix. En Wallonie hier mais aussi désormais en Flandre, des voix s’élèvent en effet pour s’inquiéter du manque de praticiens disponibles, conventionnés ou non. “Les baby-boomers sont en fin de carrière, ces gens commencent à partir à la retraite“, rappelle Stefaan Hanson. Cette réalité, couplée au principe de quotas, a instillé une vraie tension. “L’idée derrière le système des quotas, c’était que plus il y avait de dentistes, plus il y avait de traitements, y compris de traitements inutiles, résume Paul Callewaert. Cette vision est totalement dépassée car aujourd’hui, c’est la rareté de l’offre qui entraîne la cherté des traitements.” Le secrétaire général de Solidaris invite donc le secteur et les pouvoirs publics à se débarrasser de leurs oeillères et à réfléchir ensemble à des solutions.

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