Profiter de la décote des holdings

Le siège de Sofina, à Bruxelles. Depuis son pic de 2021, la valeur intrinsèque du holding a reculé de moins de 10%, alors que l’action a chuté de 45%. © BELGAIMAGE

À l’image de GBL, les holdings se cherchent un nouveau souffle. Ce dernier pourrait venir d’une reprise du marché du “private equity” après les excès des dernières années.

Lorsque Ian Gallienne prend les commandes de GBL en 2012, il hérite d’un holding encore trop dépendant de ses participations historiques dans Total (Energies) et GDF Suez (devenu Engie), des vestiges des grandes fusions de la fin du siècle dernier. Son défi est d’insuffler une nouvelle dynamique.

Sous son impulsion, le holding cède ainsi son portefeuille historique et prend des participations de contrôle dans des fleurons tels que Pernod Ricard, Lafarge, Umicore, Ontex ou SGS. En parallèle, GBL investit aussi dans le private equity avec l’ambition de devenir un acteur important dans la gestion d’actifs privés.

Coup de blues

Dans un premier temps, les marchés ont applaudi la stratégie de GBL, propulsant l’action à des sommets en 2021. Mais l’embellie fut de courte durée. La rechute du titre a sans doute précipité le départ de Ian Gallienne qui, en 2023, se voyait encore aux commandes pour cinq ans. Finalement, dès mai, il cédera sa place à Johannes Huth, un expert du private equity, connu pour avoir piloté l’expansion européenne du géant KKR.

Reste à voir si cela suffira à relancer le holding des familles Frère-Desmarais. Le recul de GBL s’inscrit dans une tendance plus large, marquée par le blues généralisé des sociétés de portefeuille. La correction des Bourses en 2022, la remontée des taux d’intérêt et le coup de mou du marché du private equity ont pesé lourdement sur le secteur.

Par ailleurs, les investisseurs, de plus en plus intéressés par la gestion indicielle, se détournent des holdings. Résultat : la décote moyenne des 26 holdings européens suivis par Degroof Petercam est passée de moins de 15% en 2021 à plus de 30% début 2024, bien au-delà de la moyenne historique.

Les investisseurs, de plus en plus intéressés par la gestion indicielle, se détournent des holdings.

Actifs privés

Jusqu’où ira la décote ? Difficile à dire, mais une chose est sûre : les valorisations deviennent attractives. Dans un contexte de marché incertain et marqué par le retour en force des Bourses européennes, le profil diversifié des holdings retrouve de l’intérêt.

Ayant traditionnellement un rôle d’actionnaire actif, ils investissent localement et privilégient des participations significatives dans des entreprises de taille plus modeste. Une approche qui a pesé sur leurs performances en 2023 et 2024, alors que le rallye boursier était porté par l’intelligence artificielle et les géants technologiques américains. Mais aujourd’hui, ce positionnement les protège du contrecoup subi par les Sept Fantastiques.

Reste que le véritable baromètre des holdings n’est pas tant l’indice paneuropéen Stoxx 600 que le niveau d’activité dans le private equity. Ce segment est en effet devenu prépondérant pour la plupart des sociétés de portefeuille, à l’exception des structures de contrôle (familiales) comme les monoholdings.

Reprise du “private equity”

À ce niveau, les signaux s’améliorent, à l’image de la timide reprise des transactions en 2024 dans le private equity. Certes, on est loin de l’euphorie de 2021, mais ce retour au calme n’est pas forcément pour déplaire aux gérants de holdings.

“Les touristes sont partis”, observe ainsi Harold Boël, CEO de Sofina, faisant allusion aux apprentis venture capitalists qui avaient fait flamber les valorisations des start-up technologiques après les confinements de 2020.

Après cinq années de forte volatilité, cette normalisation du marché est perçue comme une bonne nouvelle par les analystes de Degroof Petercam. Elle devrait permettre aux acteurs les plus aguerris de se démarquer à nouveau, grâce à une sélection plus rigoureuse des entreprises.

Le véritable baromètre des holdings n’est pas tant l’indice paneuropéen Stoxx 600 que le niveau d’activité dans le “private equity”.

Normalisation pour Sofina

Sofina a pleinement subi les soubresauts du marché, notamment à travers sa participation dans Byju’s. Devenue en 2021 la première ligne du portefeuille du holding, cette start-up indienne spécialisée dans les technologies d’apprentissage a vu sa valorisation s’effondrer après une série de scandales retentissants.

Pour rassurer ses actionnaires, le holding de la famille Boël a mis en avant sa participation indirecte dans ByteDance, la maison mère de TikTok. Mais là encore, l’euphorie a été tempérée : les accusations d’ingérence chinoise ont fragilisé les perspectives du groupe, notamment aux États-Unis, où l’administration Trump a suspendu in extremis une interdiction imminente en janvier.

Qu’importe. Sofina recèle d’autres pépites comme Cognita (écoles privées britanniques), Drylock Technologies (couches écologiques) ou encore Nuxe (cosmétiques).

En dépit des turbulences, la valeur intrinsèque de Sofina a ainsi reculé de moins de 10% depuis son pic de 2021, alors que l’action a chuté de 45%. Une dégringolade qui est davantage liée à la perception des marchés, autrefois trop optimistes, plutôt qu’à une véritable dégradation des fondamentaux.

Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que les quatre analystes suivant le titre recommandent aujourd’hui l’achat. Sofina dispose d’un véritable savoir-faire en gestion d’actifs privés et affiche une décote attractive de 24% par rapport à sa valeur intrinsèque de 307 euros par action (fin 2024).

Recalibrage lucratif

Joren Van Aken et Kris Kippers, les deux analystes suivant les holdings pour Degroof Petercam, recommandent outre Sofina également Brederode et D’Ieteren. Ce dernier, entièrement tourné vers le private equity, a des allures de miniconglomérat, détenant des participations majoritaires ou exclusives dans la plupart des entreprises investies.

D’Ieteren reste cependant très dépendant de Belron, leader mondial de la réparation et du remplacement de vitrage automobile via des enseignes comme Carglass. Selon Kris Kippers, le groupe d’origine sud-africaine représente 70% de la valeur intrinsèque du holding. Un poids considérable, mais qui s’est avéré être un atout ces dernières années.

Entre 2019 et 2024, le profit opérationnel de Belron a plus que triplé, porté par la montée en puissance des systèmes d’aide à la conduite (ADAS). La part des interventions nécessitant un recalibrage des capteurs, caméras et/ou radars a plus que doublé en trois ans à 42% en 2024. Ce qui offre à Belron un avantage concurrentiel, le recalibrage nécessitant des compétences et un matériel spécifiques, et un complément de revenus boostant sa rentabilité.

L’action D’Ieteren a toutefois fortement chuté depuis septembre, principalement en raison de l’annonce et du versement d’un dividende exceptionnel de 74 euros par action, une opération lourde fiscalement pour les investisseurs particuliers. La décote a ainsi grimpé à 33%, rendant le titre particulièrement attractif. Pas étonnant que sept analystes sur huit recommandent aujourd’hui l’achat.

Fonds de “private equity”

Présidé par Bruno Colmant, Brederode se distingue par un portefeuille bien plus diversifié que D’Ieteren. Ses participations cotées, qui représentent 31% de son actif, incluent des poids lourds comme Alphabet, Mastercard, le groupe d’édition britannique Relx ainsi que ses propres actions.

Mais le véritable atout de Brederode réside dans son vaste portefeuille de fonds de private equity, géré par des acteurs de renom tels que Carlyle, EQT, Bain Capital et Ardian. Un choix stratégique qui a largement porté ses fruits. Sur les 10 dernières années, ces investissements ont affiché un taux de rentabilité interne de 19% par an.

Au vu de sa valeur comptable de 134,82 euros par action fin juin, le titre se négocie probablement aujourd’hui avec un rabais dépassant les 20%, renforçant ainsi son attrait pour les investisseurs.

La galaxie Stellantis

À l’international, les analystes de Degroof Petercam misent sur deux holdings cousins : Exor et Peugeot Invest. Depuis la fusion entre Peugeot-Citroën et Fiat-Chrysler, ils sont tous deux actionnaires de référence de Stellantis.

Ils s’attèlent à diversifier leur portefeuille. Peugeot Invest, le holding de la famille fondatrice de la marque homonyme, détient 7,4% de Stellantis, une participation qui représente aujourd’hui un peu moins de la moitié de son portefeuille. Les perspectives incertaines du constructeur sont largement compensées par une décote vertigineuse de 60%. En d’autres termes, c’est comme si le marché valorise Stellantis à zéro, tout en appliquant un rabais de plus de 20% sur le reste du portefeuille. Pourtant, ses autres actifs ne manquent pas d’intérêt, avec des participations dans Lisi, Rothschild & Co et plusieurs fonds de private equity.

Exor, le holding de la famille Agnelli, est moins dépendant de Stellantis, sa participation de 14,2% ne représentant qu’un huitième de son portefeuille. Ce qui s’explique surtout par le succès fulgurant de Ferrari, dont la valeur a été multipliée par neuf depuis sa scission de Fiat et son entrée en Bourse en 2015. Le constructeur de bolides rouges pèse ainsi 35% du portefeuille d’Exor même après la cession d’un sixième de sa participation pour 3 milliards d’euros en février.

Le reste du portefeuille se compose principalement de participations dans CNH Industrial (machines agricoles et engins de chantier, issu de Fiat), Philips, ainsi que, dans une moindre mesure, la Juventus Turin et Iveco (poids lourds et autobus, scindé de Fiat). Au total, 80% des actifs d’Exor sont investis en sociétés cotées.

Malgré quelques participations privées intéressantes, comme The Economist, Institut Mérieux ou Louboutin, ainsi que des investissements dans diverses start-up, Exor se distingue avant tout par une décote impressionnante de près de 50% sur sa valeur intrinsèque estimée à 176 euros par action. Une situation qui pourrait évoluer, le holding ayant annoncé un programme de rachat d’actions d’un milliard d’euros, susceptible de réduire cet écart.

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