Un goût amer pour les investisseurs

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Pour le belgo-brésilien AB InBev, les notes “vendre” sont nettement plus nombreuses qu’il y a un an.

Le secteur brassicole s’est longtemps montré extrêmement rentable. Mais la tendance s’inverse depuis plusieurs années et 2018 fut particulièrement décevante. AB InBev et Heineken sont les numéros 1 et 2 du marché de la bière; ils prennent à leur compte 43% des volumes vendus dans le monde.

Des analystes pessimistes

Avec une part de marché mondiale d’environ 27%, AB InBev caracole, ceci dit, loin en tête. Au début de 2018, son titre faisait l’unanimité. Mais malgré les analyses et autres recommandations positives, il n’a cessé de perdre du terrain depuis. Après une chute de plus de 30% de son cours en 12 mois, dresser un état des lieux s’imposait.

Les notes “vendre” sont nettement plus nombreuses qu’il y a un an. Pour l’analyste Edward Mundy (société de Bourse Jefferies), la tendance qu’a le groupe belgo-brésilien à perdre des parts de marché n’est pas près de s’inverser. Il a dès lors réduit sa recommandation de “conserver” à “vendre” et son objectif de cours, de 72 à 54 euros. Il a, à l’inverse, relevé la note de Heineken à “acheter”, avec un objectif de cours de 90 euros – en limitant sa perte annuelle à 15%, le néerlandais s’est montré nettement plus performant que son principal concurrent.

Bank of America Merrill Lynch est pessimiste à propos de l’ensemble du secteur, qui doit faire face à la concurrence croissante des boissons à base de cannabis, des boissons saines et des boissons non alcoolisées. ING voit le titre AB InBev continuer à baisser, à un objectif de cours de 54,9 euros; la banque propose pour Heineken un nouvel objectif fixé à 75,5 euros, tout en continuant à conseiller de conserver le titre.

AB InBev: un endettement lourdement sanctionné

Analystes et investisseurs voient l’endettement, surtout, d’AB InBev, d’un mauvais oeil. Cette dette résulte de l’acquisition de SABMiller, une méga-transaction que ces mêmes spécialistes avaient pourtant saluée à l’époque. AB InBev affiche ceci dit une appréciable croissance organique (hors acquisitions et désinvestissements). C’est lui par exemple qui, ces cinq dernières années, a acté la croissance organique du chiffre d’affaires la plus élevée de tous les grands groupes FMCG (Fast Moving Consumer Goods, comme Unilever ou Nestlé). Mais ces envolées exigent de procéder à des acquisitions, comme celle de SABMiller. En vendant quelque 70% de sa bière sur les marchés émergents et en devant à ses dix principaux marchés 80% de ses cash-flows opérationnels (Ebitda), AB InBev est du reste beaucoup plus diversifié qu’avant l’acquisition du groupe sud-africain.

Son CEO Carlos Brito sait à quel point il est impératif d’alléger l’endettement si l’on veut réduire les charges de financement. C’est pourquoi tout un arsenal d’obligations, pour un total de 15,5 milliards de dollars, viennent d’être émises. Les fonds seront affectés au refinancement, à des conditions plus avantageuses, des dettes liées à l’acquisition de SABMiller. L’opération a suscité un vif intérêt: les marchés financiers restent donc très confiants. C’est ce que démontre notamment le succès de l’émission dont l’échéance est fixée à… 40 ans. Avec 2,75 points de pourcentage de plus que les bons d’Etat américains, les conditions sont certes très favorables mais compte tenu de leur échéance, ces titres ne sont pas adaptés à tous les profils. L’émission a quoi qu’il en soit permis à AB InBev de porter l’échéance moyenne de sa dette de 4,6 à 20 ans, ce qui représente une appréciable bouffée d’oxygène.

Un dividende réduit de moitié

AB InBev a de surcroît réduit son généreux dividende de moitié l’an dernier. Le dividende est généralement, et de préférence, versé à partir du bénéfice. En décidant de réduire la part du bénéfice ristournée aux actionnaires, la direction a fait preuve de courage. Au besoin, le dividende sera, cette année encore, inférieur aux 3,5% antérieurement pronostiqués.

Le projet d’introduction en Bourse de la branche asiatique suscite lui aussi une vive controverse. Le louvaniste évaluerait ces activités à 70 milliards de dollars, soit 22 fois le bénéfice opérationnel brut (Ebitda). La vente d’une participation minoritaire rapporterait 5 milliards de dollars environ. Pour certains analystes, 5 milliards de dollars, c’est peu; face à une dette de 105 milliards, c’est vrai, mais ce projet s’inscrit dans un éventail de mesures plus large.

AB InBev avance dans d’autres domaines encore. Ainsi a-t-il numérisé le contact avec le client direct (supermarchés, cafés, distributeurs), qui peut désormais passer commande en ligne ou via le service de télévente, sans intervention physique de vendeurs. Les relations avec les clients et les fournisseurs, la chaîne logistique, les données et les outils d’analyse sont passés au crible pour porter de 40% aujourd’hui à 70% en 2021 la part des contacts numériques, de manière à réduire significativement le coût des ventes par hectolitre. Les brasseries se numérisent, elles aussi. Le modèle “Connected POC”, grâce auquel une masse d’informations sont enregistrées en temps réel, va permettre d’exploiter des opportunités inutilisées ou sous-utilisées. Mesurer pour savoir: c’est ce qui a incité AB InBev à racheter l’an dernier l’analyste de données israélien WeissBeerger.

Heineken: la pression des marchés émergents

Selon maints analystes, le néerlandais devrait se montrer moins concurrentiel au Brésil que l’an passé. Après avoir résilié le contrat de distribution de l’embouteilleur local Coke, il va devoir investir temps et énergie dans la mise sur pied de son propre réseau de vente. Goldman Sachs, Morgan Stanley et Citi Research cèdent leur participation: les bénéfices, dans les marchés émergents, seraient sous pression et les attentes, trop ambitieuses. La hausse des prix des matières premières pénalise également le brasseur, qui enregistre toutefois toujours une croissance soutenue dans des pays comme le Brésil et l’Afrique du Sud. Au Mexique, le contrat d’exclusivité avec Oxxo arrivera à échéance en juin 2020; s’il n’est pas reconduit, les bénéfices du groupe néerlandais pourraient chuter de 2 à 6%.

Carlsberg: sabrer dans les coûts

Sous la direction de Cees ‘t Hart, Carlsberg a réduit ses coûts de 350 millions de dollars l’an dernier. Il y a gagné en rentabilité et a davantage de répondant face à AB InBev. L’année n’a pas été facile pour lui non plus. Comme ses deux grands concurrents, le danois investit beaucoup dans la bière sans alcool. Il est du reste, avec Heineken, à la tête du marché, prometteur, des boissons à base de cidre.

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