Télécoms: nos cinq favoris en Europe
Pour les banques et les analystes, les télécommunications figuraient une nouvelle fois en tête des secteurs à éviter, en 2023. L’offre d’achat de Telenet par Liberty Global, avec une prime de plus de 50%, a cependant changé la donne. Le secteur est véritablement bon marché et mérite qu’on s’y attarde.
L’indice Dow Jones Stoxx Europe 600 Telecommunications a abandonné 15% l’an dernier. Entre 2017 et2022, son rendement total (dividendes réinvestis) a été de -2,3%. Avec le déploiement des réseaux 5G et de la fibre optique, le secteur européen des télécommunications doit investir énormément; en outre, les coûts de l’énergie et de la main-d’œuvre, en particulier, ont augmenté. Par conséquent, de nombreux acteurs ont été contraints de réduire les généreux dividendes qu’ils versaient jusqu’ici.
Si l’optimisme ne semble guère de mise dans l’immédiat, les coûts d’investissement commenceront à diminuer à partir de 2025 et les nouveaux réseaux, plus performants, pourraient rapporter plus – ce qui, associé à une baisse des coûts, devrait permettre d’accroître la rentabilité à plus long terme.
Liberty Global a profité de la déprime des cours dans le secteur pour retirer de la cote sa filiale belge Telenet, à 22 euros par action (930 millions d’euros). Cette offre opportuniste n’en est pas moins prometteuse. Le groupe avait également pris une participation de 4,9% dans Vodafone, le plus grand opérateur de télécommunications britannique; le CEO de Liberty, Mike Fries, estimait que le cours de l’action Vodafone ne reflétait pas la valeur sous-jacente à long terme de l’entreprise. En d’autres termes, dans le secteur, les valorisations ont atteint un étiage. Voici les acteurs les plus intéressants à nos yeux.
1. Vodafone: un robuste cash-flow disponible
Vodafone a connu une année mouvementée, avec la montée au créneau d’investisseurs activistes et la démission de son CEO, Nick Read. L’opérateur télécom britannique est pour l’instant emmené par la directrice financière Margherita Della Valle, qui a annoncé un milliard d’euros de réductions de coûts en novembre, dont 50% ont déjà été mises en œuvre. Présent dans une vingtaine de pays, Vodafone prévoit de réduire certaines de ses participations. La vente de ses actifs hongrois lui a rapporté 1,8 milliard de dollars. Le groupe se penche désormais sur le sort de ses actifs africains et notamment de Vodacom (55 millions de clients dans 32 pays africains), dont il détient 65%. Le principal actionnaire, Emirates Telecommunications Group, a relevé sa participation à 13%. Si la croissance est au rendez-vous au Royaume-Uni, le chiffre d’affaires (CA) de l’opérateur a reculé en Espagne et en Allemagne, son principal marché. Le bénéfice sous-jacent pour 2022 est estimé à 15-15,2 milliards d’euros et le cash-flow disponible, à 5,1 milliards d’euros. Notons qu’il est positif chaque année depuis 2016. Vodafone est valorisé en Bourse à moins de 2 fois le CA et 5 fois le bénéfice d’exploitation attendus. Le rendement du cash-flow est de 10%. Au cours actuel, nous recommandons toujours l’achat du titre.
2. Deutsche Telekom: de jolies marges bénéficiaires
A contre-courant du marché, l’action Deutsche Telekom a progressé en 2022. La plupart des investissements dans les réseaux sont déjà réalisés en Allemagne, où le groupe est leader du marché de la téléphonie fixe et mobile. Le cash-flow disponible pourrait donc progresser ces prochaines années; en 2022, il s’est élevé à 11,5 milliards d’euros et pour cette année, il est estimé à 16 milliards d’euros. A la différence des autres acteurs européens, Deutsche Telekom est bien implanté aux Etats-Unis, depuis l’acquisition de Sprint par sa filiale T-Mobile; les actifs américains représentent plus de 60% du bénéfice d’exploitation. A 109 milliards d’euros, la dette est élevée mais reste gérable grâce aux cash-flows abondants et continus. Deutsche Telekom a l’an dernier relevé ses prévisions de bénéfices et son dividende. A 12 fois les bénéfices attendus et avec des marges bénéficiaires supérieures à la moyenne, Deutsche Telekom est digne d’achat.
3. Nokia: dépasse les attentes
Contrairement au suédois Ericsson, le finlandais Nokia a présenté des résultats meilleurs que prévu en 2022: son CA s’est accru de 6%, à 24,9 milliards d’euros, et sa marge brute est passée de 39,8% à 41%. Les investissements dans la recherche et le développement et l’accent mis sur la clientèle entreprise portent leurs fruits.
Le groupe a généré un cash-flow disponible de 0,8 milliard d’euros et dispose d’une trésorerie nette de 4,8 milliards d’euros. La direction estime que la croissance sera au rendez-vous en 2023. A 10 fois les bénéfices attendus et 1,2 fois la valeur comptable, la valorisation est attrayante. D’où notre recommandation d’achat.
4. Cellnex Telecom: accent sur la croissance organique
En février, le bruit a couru qu’American Tower Corp envisageait d’absorber Cellnex Telecom. Si une offre semble en théorie possible, car les fusions et acquisitions sont nombreuses dans le secteur et Cellnex est peu onéreux, les Américains ont promis d’alléger leur dette, ce qui rend peu probable un rachat d’une telle ampleur. Plus d’un mois plus tard, rien n’a été confirmé, si bien que la prime spéculative sur l’action de Cellnex a disparu aussi vite qu’elle était apparue.
Le groupe a connu une croissance explosive ces dernières années grâce à plus de 40 acquisitions, et exploite aujourd’hui plus de 140.000 pylônes de transmission (de téléphonie, mais aussi de radio et télévision) dans 12 pays européens. Plus de 90% de ses clients sont des opérateurs de téléphonie mobile. Dans deux tiers des contrats, l’inflation est automatiquement répercutée sur le prix de location.
Tant que les taux d’intérêt étaient proches de 0% et que la location des pylônes procurait un rendement positif, il était judicieux d’emprunter abondamment pour procéder à des acquisitions. Cellnex affiche par conséquent une dette nette de 17 milliards d’euros. Mais le coût du capital ayant grimpé, le groupe met désormais l’accent sur la croissance organique.
L’endettement élevé n’est toutefois pas problématique, car 77% de la dette a été contractée à taux fixe, de sorte que l’impact de la hausse des taux est limité pour l’instant. En outre, tous les emprunts arrivant à échéance ne seront pas remplacés. L’échéance moyenne des prêts est longue et pour la partie arrivant à échéance jusqu’en 2024, les liquidités disponibles sont suffisantes. Cellnex entend pouvoir rembourser ses dettes grâce à son cash-flow disponible à partir de 2027. Cela ne semble pas irréaliste, car une fois le pylône construit ou racheté, les coûts de maintenance sont très faibles.
Sur les trois premiers trimestres de 2022, le CA, à 2,6 milliards d’euros, s’inscrivait en hausse de 46% en glissement annuel et le cash-flow d’exploitation (Ebitda), à 1,9 milliard d’euros, en hausse de 45%. Cellnex vise un cash-flow disponible de 2-2,2 milliards d’euros et un Ebitda de 3,4 milliards d’euros, d’ici 2025.
A près de 20 fois l’Ebitda et 8 fois le CA, Cellnex est plus onéreux que les acteurs télécom traditionnels, mais affiche des cash-flows stables et son résultat net devrait à l’avenir être moins grevé par les amortissements et charges d’intérêt. Nous jugeons donc le titre digne d’achat.
5. Ericsson: fonte des marges
Ericsson a vu s’évaporer plus d’un tiers de sa capitalisation boursière l’année dernière. Malgré une restructuration en profondeur, l’équipementier télécom suédois n’a pas réussi à augmenter sa rentabilité. Son activité principale est moins performante car les craintes d’une récession conduisent à un ralentissement des dépenses en équipements 5G. C’est particulièrement vrai pour Verizon et AT&T aux Etats-Unis. En Inde, la croissance se poursuit, mais les marges sont nettement plus faibles. Parallèlement, les salaires comme les prix des composants augmentent, mais Ericsson ne peut répercuter ces hausses sur la clientèle. Sa diversification dans les services et le cloud n’a pour l’instant pas le succès escompté. Ericsson avait, l’an dernier, racheté Vonage, spécialiste américain du cloud, pour 6,2 milliards de dollars, afin de tirer parti de la demande croissante de réseaux programmables. Si le rachat a permis au CA d’augmenter de 20% au quatrième trimestre, la marge d’exploitation, à 9,1%, est nettement inférieure à celle de 2021 (16,6%). Ericsson ne table pas sur une hausse du CA en 2023 et compte économiser 9 milliards de couronnes suédoises (SEK), notamment sur les coûts de main-d’œuvre.
En outre, le groupe fait l’objet d’enquêtes (soupçons de corruption aux Etats-Unis et de pots-de-vin à l’Etat islamique, en Irak) et a constitué une provision de 2,3 milliards SEK pour y faire face. Sa mauvaise réputation sur le plan de l’ESG se reflète aussi dans la valorisation, qui atteint à peine 10 fois les bénéfices, moins de 5 fois le bénéfice d’exploitation et 0,7 fois le CA attendus. C’est précisément ce qui motive notre conseil d’achat.
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