Pénurie d’eau et opportunités d’investissement
Qui, parmi le public, se préoccupe du nombre de litres consommés pour fabriquer un kilo de cacao (17.000) ou un jeans (7.000)? L’investisseur peut, dans le contexte de pénurie d’eau potable que l’on déplore actuellement, opter pour un “tracker” sur le S&P Global Water Index ou pour des entreprises individuelles en croissance, comme Ekopak et Aquaporin.
Aussi étonnant que cela soit, l’eau, du moins l’eau potable, est extrêmement rare. Seuls 1% à 2,5% de l’eau présente sur la Terre est propre à la consommation – enfin, si l’on peut dire: en Europe, 60% des eaux de surface sont polluées. Aux Etats-Unis, c’est le cas de 50% des rivières et dans le monde, 80% à peine des eaux usées sont épurées. Selon le Forum économique mondial, l’eau est un des six risques systémiques planétaires. Sa rareté pourrait, estime la Banque mondiale, coûter 6% de son PIB à l’économie mondiale. D’après le gestionnaire d’actifs allemand DWS, 670 milliards de dollars d’investissements seront nécessaires chaque année d’ici à 2030 pour atteindre les objectifs durables liés à l’eau.
Pourtant, qui, parmi le public, se préoccupe du nombre de litres consommés pour fabriquer un kilo de cacao (17.000) ou un jeans (7.000)? Quarante pour cent de l’eau nécessaire à la production de ce que nous consommons se trouvent hors Europe. Le mode de consommation occidental provoque un épuisement très rapide, et non compensé, des eaux souterraines mondiales. Deux millions de personnes meurent chaque année d’être privées d’eau potable. L’insuffisance des infrastructures hydrauliques, l’accroissement démographique et le réchauffement planétaire aggravent encore la situation.
S&P Global Water Index
L’investisseur peut, dans ce contexte, opter pour un tracker sur le S&P Global Water Index, qui englobe une cinquantaine d’entreprises ayant un rapport plus ou moins étroit avec l’eau. Cet indice affiche un rendement de 13,5% l’an, en hausse de près de 400% sur les 10 dernières années. Il intègre surtout des entreprises industrielles (49%) et de services aux collectivités (41%); les autres secteurs sont la technologie, l’énergie, les matériaux et les biens de consommation. Quelque 54% de ces noms sont américains, le reste, principalement européens. Chaque grande banque ou gestionnaire d’actifs commercialise par ailleurs un fonds qui mise sur l’eau. Selon Morningstar, il existe dans le monde 65 fonds spécialisés dans l’or bleu, qui gèrent pour un total de 35 milliards de dollars.
Valorisations tendues
Ces fonds et ETF tablent sur trois types d’entreprises. Les premières sont des sociétés de services aux collectivités exclusivement actives dans le traitement des eaux et les infrastructures. Sociétés de service public, elles n’enregistrent que peu ou pas de croissance, réalisent des marges élevées sur leurs flux de trésorerie, ont un taux d’endettement élevé et versent un dividende (American Water Works, Severn Trent ou Middlesex Water, pour ne citer qu’elles). Les deuxièmes sont les entreprises de services aux collectivités de nature générale ou actives dans la gestion des déchets qui tirent une partie de leurs revenus de l’eau comme, en France, Suez ou Veolia. Certaines d’entre elles peuvent être intégrées comme actions à dividende dans un portefeuille diversifié. Viennent enfin les acteurs industriels. L’investissement durable ayant attiré énormément d’argent ces dernières années, il a propulsé nombre des valorisations vers des niveaux déraisonnables.
L’américain Xylem, par exemple, propose des dizaines de produits et de services spécialisés, comme des turbines, des pompes, un progiciel de gestion de l’eau, etc. La moitié de son chiffre d’affaires (CA) provient d’entreprises de distribution. Il dégage des marges bénéficiaires plus que respectables et présente un bilan sain. Sa structure est néanmoins très complexe. Sa croissance stagne depuis quelques années et sa valorisation, avec un cours qui progresse depuis un an et demi, est excessive.
Son compatriote Evoqua est une autre valeur récompensée pour sa perfection. Il offre diverses solutions de traitement de l’eau à un large éventail de secteurs. Son CA, son bénéfice et ses cash-flows ont à peine augmenté depuis qu’il est entré en Bourse, en 2017. L’action a quadruplé ces 18 derniers mois, sans que les bénéfices ne suivent, ce qui donne une valorisation là aussi exagérée.
Machines à cash
L’entreprise finlandaise Uponor est active aux Etats-Unis et en Europe dans les secteurs de la construction, de l’assainissement, des infrastructures et de la surveillance des eaux. Un peu plus de la moitié de son CA provient de ses solutions sanitaires, un quart, du chauffage/rafraîchissement intérieur (chauffage par le sol, etc.) et un cinquième, des infrastructures et de l’égouttage. Le groupe, qui affiche une saine rentabilité depuis des années, parvient désormais à augmenter la marge sur son bénéfice opérationnel. Au cours du 1er semestre de 2021, son CA a grimpé de 20% et son bénéfice d’exploitation, de 60% (certes, la pandémie avait fait chuter l’activité en 2020). Après avoir longtemps piétiné, le cours a superbement progressé depuis la mi-2020, mais la valorisation reste acceptable. Uponor va pouvoir profiter de la vague de construction et de rénovation européenne et américaine. Compte tenu de la faiblesse du cours, l’action peut faire l’objet d’un achat.
L’allemand Norma est spécialisé dans les raccords, les colliers de serrage, etc., pour toutes les conduites par lesquelles passe de l’eau. Il produit ces pièces dans des dimensions standards pour les magasins et les grossistes, ainsi que sur mesure, pour l’industrie. Ce deuxième segment représente près de 60% de ses ventes. Tout comme Uponor, Norma s’attelle depuis la fin de 2019 à améliorer son efficience et à réduire ses coûts, ce qui s’est traduit par une augmentation des marges et des cash-flows en 2020 et au 1er semestre de cette année. La société a prévenu en septembre que compte tenu de la pénurie des matières premières et de l’envolée des dépenses logistiques, les marges bénéficiaires seraient cette année inférieures d’un à deux pour cent aux prévisions. L’action a chuté de 15%, pour atteindre un niveau dont elle n’a pas décollé depuis. Entreprise financièrement saine qui produit des cash-flows élevés, Norma peut être considérée comme une valeur de base.
Opportunités de croissance
Ekopak est entré en Bourse de Bruxelles l’an dernier. Entre janvier et juin 2021, 94% du CA ont été générés par le traitement des eaux pour l’industrie. La direction veut désormais se concentrer sur les 6% restants, ceux du segment de l’eau en tant que service (Water-as-a-Service, ou WaaS) qui, en prenant en charge l’intégralité de sa gestion des eaux, évite à l’entreprise cliente d’investir dans des installations et du personnel. Proposées dans le cadre d’une formule de leasing, les solutions WaaS représentent jusqu’à plusieurs dizaines de pour cent d’économies pour le client. La société de Thielt, en Flandre occidentale, entend réaliser à terme la moitié de son CA dans le segment WaaS, beaucoup plus rentable. L’action est assortie d’un fort potentiel de croissance, et d’un risque à l’avenant. Elle peut être considérée comme une valeur de croissance. L’Initié de la Bourse, qui entame le suivi actif d’Ekopak, lui consacrera bientôt une analyse.
Nous avons découvert Aquaporin lors d’un récent podcast Masterminds d’Inside Beleggen. Cette jeune entreprise a recours à des protéines épuratrices naturelles qui agissent par osmose directe. Contrairement à de nombreux autres systèmes de filtration, la pression n’a ici pas d’importance; or qui dit moins de pression dit moins de consommation d’énergie et donc, moins de coûts. Aquaporin, entrée en Bourse de Copenhague en juillet, se concentre sur trois marchés: l’industrie, à laquelle elle propose sa technologie membranaire; l’usage domestique, avec de petites installations de purification de l’eau du robinet; et l’industrie alimentaire et des boissons. Il ne lui reste plus qu’à faire ses preuves sur le plan commercial, en dénichant les distributeurs et les partenaires adéquats. Elle dégage un CA, mais pas encore de bénéfice. Il s’agit d’une société en croissance, dont l’action n’est pas liquide mais qui recèle énormément de potentiel. Elle ne convient qu’à l’investisseur conscient du risque, qui la suit activement.
Principales entreprises spécialisées dans l’eau, en chiffres*
Nom |
Capit. boursière |
Cours |
Perf. cours sur 1 an |
Perf. cours sur 5 ans |
C/B 2021 |
Rend. en div. |
American Water Works |
31 milliards USD |
175,77 USD |
14% |
142% |
41 |
1,40% |
Severn Trent |
6,7 milliards GBP |
2,66 GBP |
6% |
15% |
22 |
2,80% |
Suez |
12,7 milliards EUR |
19,77 EUR |
26% |
37% |
24 |
3,30% |
Veolia |
19,3 milliards EUR |
28,5 EUR |
72% |
48% |
22 |
2,40% |
Xylem |
23 milliards USD |
129 USD |
42% |
166% |
50 |
0,90% |
Evoqua |
4,8 milliards USD |
41,1 USD |
74% |
102% |
61 |
n/a |
Uponor |
1,8 milliard EUR |
23,7 EUR |
54% |
50% |
16 |
2,40% |
Norma Group |
1,2 milliard EUR |
37,5 EUR |
26% |
-10% |
17 |
1,90% |
Ekopak |
265 millions EUR |
17,2 EUR |
15% |
n/a |
n/a |
n/a |
Aquaporin |
1,5 milliard DKK |
145,4 DKK |
-15% |
n/a |
n/a |
n/a |
*Calculs de l’Initié de la Bourse
Stratégie
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