Pas de problème de luxe
Des analystes évoquent une crise dans le secteur du luxe. Le terme est, selon nous, exagéré. Les quelques facteurs qui pèsent sur le marché actuel des articles de luxe ne sont, selon nous, pas durables, et ne peuvent donc être qualifiés de structurels. L’émergence de la classe moyenne demeure, elle, une tendance dominante et structurelle.
Pendant de longues années, les actions du secteur du luxe furent des garanties de rendements supérieurs. Avec l’essor de la classe moyenne dans les pays émergents, les producteurs d’articles de luxe semblaient avoir touché le jackpot. Les “nouveaux riches”, en particulier en Asie, n’avaient aucunement l’intention de cacher leur nouveau statut au monde extérieur. Les hommes voulaient parader au volant du dernier modèle Porsche, Rolex au poignet, les dames flâner dans les rues commerçantes, parées de la dernière création Birkin, sac Vuitton à la main.
Mais la donne a changé récemment. Plusieurs entreprises du secteur du luxe ont subitement émis des avertissements sur résultats, évoquant la révision à la baisse des objectifs de chiffre d’affaires et de bénéfices ou des contractions de la rentabilité. À la mi-septembre, Richemont a ainsi émis un sérieux avertissement qui met en perspective un recul du bénéfice de quelque 45% pour l’exercice en cours. À peine 24heures plus tard, Hermes International annonçait l’abandon de son objectif _ trop ambitieux _ d’une croissance annuelle du chiffre d’affaires de 8%. Les actionnaires n’en ont pas cru leurs oreilles, et les deux actions ont chuté respectivement de 5% et 7%. Les analystes évoquent même une crise dans le secteur du luxe. Le terme est, selon nous, exagéré.
L’ostentation combattue
Avant de parler de crise, examinons les causes des quelques annonces décevantes de ces derniers mois dans le secteur.
• Ralentissement de la croissance : il ne fait aucun doute que le ralentissement de la croissance de l’économie mondiale en général et dans les pays émergents en particulier est à l’origine du changement de ton récent dans l’industrie du luxe. Nous pensons en premier lieu à la Chine. La forte croissance des chiffres d’affaires et bénéfices des groupes de luxe au cours de la décennie écoulée reposait avant tout sur l’essor de la classe moyenne dans des pays comme la Chine, mais pas seulement. Le ralentissement actuel de la croissance pèse sur l’émergence de “nouveaux riches” et sur la croissance des groupes de luxe, quand elle ne l’assèche pas complètement. La Russie a été le marché le plus affecté, en raison de la récession économique consécutive à l’effondrement des cours de l’énergie.
• Mesures anti-ostentation : au ralentissement de la croissance en Chine et dans de nombreux autres pays asiatiques s’ajoutent les efforts déployés par les pouvoirs publics pour limiter certaines pratiques, telle l’habitude de s’échanger sous le manteau, entre officiels, de petits cadeaux luxueux jugés par ailleurs trop ostentatoires. Ces mesures également pèsent sur les ventes des groupes de luxe.
• Appréciation du franc suisse : une analyse plus approfondie de leur situation montre que les groupes de luxe ne sont pas logés à la même enseigne. Et ce n’est pas un hasard si les principales victimes sont Richemont et Swatch Group, les deux grands groupes suisses de luxe. Des années durant, ils ont profité de la faiblesse du franc suisse (CHF) vis-à-vis notamment de l’euro (EUR) ou du dollar (USD), jusqu’à l’an dernier où la Banque centrale suisse a été forcée de lâcher la bride. La flambée du CHF qui en a résulté a posé un problème supplémentaire aux entreprises suisses.
• Dépendance des montres de luxe : Richemont (notamment les montres Cartier) et Swatch Group (voir ci-dessous) sont également largement tributaires d’un seul segment, celui des montres de luxe. Or ce segment est touché de plein fouet par l’arrivée des smart watches (notamment l’Apple Watch) et par l’appréciation du CHF, une bonne part de la production s’effectuant en Suisse.
De nature temporaire
Il ne fait aucun doute que ces facteurs pèsent sur le marché actuel des articles de luxe. Nous pensons cependant qu’ils ne sont pas durables, et ne peuvent donc pas être qualifiés de structurels. L’émergence de la classe moyenne reste, elle, une tendance dominante et structurelle, et nous envisageons plutôt ladite “crise” comme un phénomène passager. Il y a, certes, peu de chances que l’on retrouve à court terme les rythmes de croissance d’il y a quelques années, mais il subsiste bel et bien des possibilités de croissance.
LVMH, l’indiscutable leader dans ce segment, a publié la semaine dernière un rapport intermédiaire sur le troisième trimestre. Une double raison de consacrer une analyse spécifique à l’action (lire en rubrique Actions). Comme tout va bien chez Kering (avant tout, la marque de luxe Gucci, mais aussi Puma, BottegaVeneta, Saint-Laurent), l’action a une valorisation supérieure à la moyenne. Nous la conserverions. Idem pour Hermes International. L’action de Richemont s’échange 15 à 20% sous son niveau du début de l’année, mais l’avertissement sur bénéfices émis le mois dernier ne la dote pas encore d’une valorisation attrayante. Elle est aussi à conserver.
Notre action favorite : Swatch Group
Swatch Group est depuis 1998 le nouveau nom de SMH (Swiss Corporation for Microelectronics en Watchmaking Industries), fruit de la fusion en 1983 des deux plus grands horlogers suisses de l’époque, ASUAG et SSIH. Comme à l’époque, l’industrie horlogère suisse traverse une période “difficile”. Swatch Group génère en effet 87% de ses revenus en devises étrangères, mais supporte toujours la majorité de ses charges en CHF. Mais ce n’est pas la seule préoccupation de la direction, puisque le groupe est également confronté au ralentissement manifeste de la croissance dans les pays émergents (où les ventes de montres de luxe stagnent depuis trois ans) et au lancement de l’Apple Watch. Swatch Group est naturellement un grand nom dans l’univers de l’horlogerie internationale. Tout le monde connaît les montres Swatch, mais Swatch Group, c’est quelque dix-huit marques de montres et de bijoux, des points de vente exclusifs comme Tourbillon et Hour Passion, ainsi que la production et la vente de pièces d’horlogerie et de composants électroniques. Sept de ces dix-huit marques opèrent dans le segment Prestige et Luxe: Breguet, Harry Winston, Blancpain, Glashütte Original, Jaquet Droz, Léon Hatot et Omega. Dans le segment Haut de Gamme, nous retrouvons Longines, Rado et Union Glashütte. Le groupe est également très présent dans le milieu de gamme médian avec les montres et bijoux Tissot, Balmain, Certina, Mido, Hamilton et Calvin Klein. Outre Swatch même, le groupe propose également Flik Flak, une marque spécifique pour les enfants, dans le segment de base. Le groupe propose des produits pour toutes les catégories de revenus et pour toutes les tranches d’âge. Son expansion au cours de la décennie écoulée a été portée par la forte croissance des pays émergents et l’appétit de leurs “nouveaux riches” pour les produits de luxe occidentaux. C’est en Asie que le groupe réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires (4,8milliards de francs suisses ou CHF l’an dernier, sur un total de 8,5milliards CHF). Le premier semestre a été marqué par une baisse de 11,4% du chiffre d’affaires, à 3,67milliards CHF. La marge bénéficiaire est également sous pression: le bénéfice opérationnel a reculé de 53,6%, passant de 761 à 353millions CHF, soit une contraction de la marge d’EBIT de 18,2 à 9,5%. Le résultat net a chuté de 548 à 263millions CHF (-52%). L’action a perdu plus de la moitié de sa valeur depuis fin 2013. Depuis le premier semestre 2016, on note toutefois une amélioration, et le second devrait être nettement meilleur que celui de l’an dernier, mais le marché n’en semble pas encore convaincu. L’action s’échange à 1,3fois la valeur comptable et un rapport valeur d’entreprise (EV)/cash-flows opérationnels (EBITDA) de 9. Nous relevons la note à “digne d’achat” (1A).
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