L’hydrogène, un marché à fort potentiel
La Commission européenne entend mobiliser au cours des 10 prochaines années 240 à 380 milliards d’euros pour le déploiement de l’économie européenne de l’hydrogène. A terme, l’hydrogène issu des énergies renouvelables pourrait remplacer durablement les combustibles fossiles.
Le Green Deal (pacte vert) est le plan de la Commission européenne destiné à rendre l’Europe climatiquement neutre à l’horizon 2050. Les émissions de gaz à effet de serre seront alors nulles, toute émission résiduelle devant être absorbée ou compensée par les forêts ou les nouvelles technologies. Des propositions de loi, des plans d’action et des mesures visant à réduire les émissions sont à l’étude, dans chaque secteur.
L’économie européenne de l’hydrogène
L’énergie représentant les trois quarts des émissions, des investissements massifs dans les énergies renouvelables s’imposent. Le pacte vise aussi les émissions provoquées par les voitures, les camions, les bateaux, les pétroliers ou les avions; d’où l’intérêt de l’Europe à l’égard de technologies nouvelles, comme l’hydrogène. Il n’est donc pas surprenant que les projets d’usines d’hydrogène (l’hydrogène est un des piliers du pacte vert) se multiplient. La Commission veut mobiliser au cours des 10 prochaines années 240 à 380 milliards d’euros pour le déploiement de l’économie européenne de l’hydrogène. L’hydrogène vert, c’est-à-dire l’hydrogène issu des énergies renouvelables, pourrait remplacer durablement les combustibles fossiles. Les installations d’électrolyse du monde entier produisent aujourd’hui moins de 50 mégawatts (MW) au total d’hydrogène vert, un chiffre qui doit passer à 40.000 MW d’ici à 2030.
Les Belges sont déjà à pied d’oeuvre. Un projet de 140 millions d’euros est en cours au port de Gand, avec la collaboration de North C Methanol. L’entreprise de dragage belge DEME construit une usine d’hydrogène vert à Oman; principalement destinée à fournir l’industrie chimique, Hyport Duqm doit aussi approvisionner en hydrogène vert et ses dérivés, tels que le méthanol ou l’ammoniac verts, des clients internationaux en Europe. Sa capacité énergétique serait de 250-500 MW pour commencer. DEME construit également, en collaboration avec le port d’Ostende et PMV, le bras financier de la Région flamande, une usine d’hydrogène qui fonctionnera à l’éolien offshore. Avec une capacité de 50.000 tonnes d’hydrogène (soit une capacité énergétique de 300 MW, ou un dixième de celle des réacteurs nucléaires de Doel) par an, Hyport Ostende pourrait être, dès 2025, la plus grande usine de ce type en Europe.
Investissements colossaux
La majorité de l’hydrogène est à l’heure actuelle produite par la combustion de combustibles fossiles – c’est ce que l’on appelle l’hydrogène gris. L’utilisation croissante des énergies renouvelables rendant très irrégulier l’approvisionnement en électricité à partir des énergies éolienne et solaire, stocker et utiliser les excédents pour produire de l’hydrogène serait donc une solution intéressante, puisque durable et bon marché, voire gratuite. Selon la Commission, l’introduction de l’hydrogène vert exige d’investir de 180 à 470 milliards d’euros d’ici à 2050. L’hydrogène vert est aujourd’hui deux à trois fois plus onéreux que l’hydrogène gris, mais la baisse rapide du coût des énergies éolienne et solaire réduit l’écart. L’électrolyse va donc devenir rentable. La nette expansion des capacités de production d’énergies renouvelables en Europe au cours des années qui viennent (grâce à l’allègement des coûts et à de généreuses subventions) devrait faire baisser davantage encore le prix de l’électricité, ce qui pourrait soutenir la demande d’hydrogène.
Intérêt marqué des investisseurs
Les investisseurs manifestent donc, sans surprise, un vif intérêt pour le secteur. L’offre s’étend. Il existe des projets à plus ou moins long terme, et dans divers segments (électrolyse, production d’hydrogène, production de piles à combustible). Ceci dit, l’hydrogène n’est pas encore une option concurrentielle sérieuse dans le secteur de l’énergie.
Il est toutefois un secteur au sein duquel la donne pourrait évoluer rapidement: celui des transports routiers, responsables d’un quart des émissions directes de CO2. L’Union européenne impose des objectifs très ambitieux, qui encouragent les constructeurs à s’atteler à remplacer les moteurs à combustion interne, polluants. Dans 10 ans, les moteurs à hydrogène pourraient permettre de réaliser des économies substantielles. L’hydrogène fournit trois fois plus d’énergie par kilo que le diesel: c’est la raison pour laquelle les projets concernant les camions sont déjà très avancés. L’hydrogène pourrait par ailleurs remplacer les moteurs à combustion interne qui équipent les véhicules de tourisme d’ici à 2030. Pour l’aéronautique, les scénarios les plus optimistes parlent de 2045, car les piles à combustible n’ont pas encore assez de puissance pour faire décoller un avion. Des navires neutres en carbone pourraient être baptisés dès 2030. Siemens Mobility et la Deutsche Bahn planchent sur des projets de trains à hydrogène.
Constructeurs automobiles asiatiques
Les constructeurs automobiles japonais et coréens Toyota, Honda et Hyundai sont les plus ambitieux. La première voiture à hydrogène a été commercialisée il y a près de 20 ans, mais elle n’a jamais vraiment percé. Le secteur se heurte en effet à plusieurs difficultés. Par exemple, faute d’efficacité suffisante, rouler à l’hydrogène coûtera probablement toujours plus cher que rouler à l’électricité pure. La production d’hydrogène par électrolyse exige beaucoup d’énergie, à quoi s’ajoutent les pertes subies lors de la reconversion de l’hydrogène en électricité: 70% à 80% environ de l’énergie est, dans le cas des voitures, perdue. De plus, l’hydrogène gazeux doit être stocké à très haute pression (700 bars) dans des réservoirs blindés, ce qui est extrêmement coûteux.
Quoi qu’il en soit, l’Asie, et en particulier la Chine, le plus grand marché automobile du monde, mise à l’évidence beaucoup sur les véhicules à hydrogène. Alors que la politique était jusqu’ici principalement basée sur des subventions à la vente, Pékin souhaite à présent que les autorités locales et les entreprises créent un cadre plus favorable au développement de véhicules à hydrogène.
Positionnement idéal
Les piles à combustible présentent un potentiel intéressant pour les poids-lourds et les véhicules dont les trajets et les modes de chargement sont prévisibles, comme les taxis, les bus ou les camions, qui ont dès lors besoin de moins de stations de ravitaillement en hydrogène. Royal Dutch Shell a d’ores et déjà installé plusieurs de ces stations au Royaume-Uni et en Californie. Des entreprises de services aux collectivités comme Engie suivent la situation de près et font leurs premiers pas dans la production et la distribution d’hydrogène. D’autres secteurs sont plus avancés encore. Des producteurs de gaz industriel comme Air Liquide, Air Products ou Linde réalisent déjà un certain chiffre d’affaires grâce à la production d’hydrogène. L’allemand Linde est particulièrement bien placé pour tirer profit de la croissance de toute une série de projets dans ce domaine.
Une longueur d’avance
Les fabricants d’appareils à électrolyse et de piles à combustible sont bien sûr les plus concernés par ces développements. Mais le secteur est encore très jeune et compte tenu des investissements colossaux qu’il leur faut consentir, peu d’entreprises engrangent des bénéfices. Ce qui n’empêche pas les investisseurs de bien comprendre les enjeux, à telle enseigne que le cours de certaines actions est (très) supérieur aux bénéfices potentiels. ITM Power ou Ceres Power, par exemple, ont vu leur action bondir de plus de 2.000% en cinq ans. Un tel rythme n’étant sans doute pas tenable, les actions liées à l’hydrogène ne peuvent occuper qu’une petite, voire une toute petite, partie du portefeuille du bon père de famille, qui tiendra en outre compte de leur extrême volatilité.
Stratégie
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