Les taux d’intérêt en 2023

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Fin 2022, les taux d’intérêt à long terme ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 10 ans en Belgique. Les cours des obligations, surtout à échéance longue, ont immédiatement chuté.

C’est normal: si un investisseur peut obtenir un rendement plus élevé sur de nouveaux prêts, le prix des titres en circulation doit baisser pour générer un rendement similaire. Les obligations en vente sur le marché secondaire aujourd’hui offrent donc déjà des rendements intéressants. Mais les taux d’intérêt pourraient encore augmenter un peu. Cette nouvelle hausse pourra être mise à profit pour étoffer les portefeuilles obligataires, puisqu’il sera possible de faire de bonnes affaires.

Si l’inflation semble avoir culminé, les banques centrales restent prudentes.

L’évolution de l’inflation sera déterminante à cet égard. Les prix avaient déjà augmenté en 2021 et début 2022, mais la guerre en Ukraine a tiré l’inflation vers des niveaux extrêmes, en premier lieu du fait des sommets historiques atteints par l’énergie, et le gaz naturel en particulier. Si l’on ne parle plus d’envolée, le gaz renouant petit à petit avec ses niveaux de prix d’avant-guerre, les pressions inflationnistes n’ont pour autant pas totalement disparu. Les banques centrales ont véritablement fait fausse route en 2021, en estimant que l’inflation était de nature temporaire. En 2022, les gouverneurs ont dû freiner des quatre fers pour juguler l’inflation, ce qui s’est traduit par un tsunami de hausses des taux, souvent de grande ampleur. En l’état actuel des choses, nous pensons que leurs effets se feront sentir pendant un certain temps encore.

Si l’inflation semble donc avoir culminé, les banques centrales restent prudentes. Les faucons, partisans d’une ligne dure, reprochent aux colombes, dont fait partie la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, d’avoir maintenu les taux d’intérêt trop bas trop longtemps. Or cela se justifiait, à l’époque. Après la pandémie, l’économie avait besoin d’un coup de pouce; l’argent quasi gratuit a permis aux entreprises et aux ménages d’emprunter à bon marché, et donc de relancer la machine économique. Les entreprises ont ainsi pu se redresser de manière spectaculaire, l’emploi a battu son plein tandis que la masse salariale atteignait des niveaux (trop) élevés. Si l’on ajoute à cela l’envolée des prix des produits de base et de l’énergie, on obtient un cocktail délétère qui a mené à la situation difficile que nous connaissons actuellement, avec une inflation beaucoup trop élevée, une indexation excessive des salaires et une contraction de la croissance économique. La BCE prévoit donc pour 2023 une récession modeste et courte dans la zone euro, avec une légère hausse du taux de chômage.

Nouvelles hausses des taux

Confortés dans leur vision par les évolutions récentes, les faucons de la BCE tablent sur de nouvelles hausses des taux en 2023, destinées toujours à contenir, voire faire fléchir l’inflation. Parmi eux, le néerlandais Klaas Knot esquisse de nouveaux tours de vis significatifs, estimant que le plus grand risque serait de ne pas en faire assez. En réaction à cette annonce, le rendement des obligations d’Etat belges à 10 ans a bondi à 3,12%. Les taux longs sont en hausse partout dans la zone euro; en Allemagne, ils atteignent même leur niveau le plus élevé depuis 11 ans, à 2,52%. S’ils continuent de grimper en 2023, les rendements augmenteront encore. Or, plusieurs hausses de taux s’imposent pour atteindre l’objectif d’inflation de 2%. C’est une mauvaise nouvelle pour les investisseurs en obligations, dans la mesure où le prix des emprunts existants va diminuer. Toutefois, ceux qui conservent les obligations jusqu’à l’échéance récupèrent en principe leur investissement initial. Quant à ceux qui achèteront bientôt de nouvelles émissions ou des émissions existantes sur le marché secondaire, ils pourront espérer des rendements nettement plus élevés.

La BCE ne lâchera du lest qu’une fois l’objectif d’inflation atteint, soit probablement pas avant le second semestre de 2025.

Pour profiter de ce rendement supérieur, il faudra toutefois faire preuve d’une certaine vigilance. Après l’avertissement lancé par la BCE fin 2022, le marché monétaire table sur des taux directeurs à 3,25-3,50% d’ici l’été, puis à 3,75% d’ici décembre. Selon Luis de Guindos, le vice-président de la BCE, deux tours de vis de 50 points de base chacun devraient être donnés en février et en mars. Plusieurs autres gouverneurs demandent même des hausses plus marquées, de 75 points de base. La BCE ne lâchera du lest qu’une fois l’objectif d’inflation atteint, soit probablement pas avant le second semestre de 2025; rappelons que l’inflation s’élève actuellement à 10,1%. Nous pensons toutefois que des opportunités d’achat se présenteront dès cet été aux investisseurs en obligations si les taux culminent effectivement: les emprunts existants atteindront un plancher et de nouvelles émissions affichant un coupon très intéressant, que l’on n’avait plus vu depuis longtemps, seront probablement aussi proposées.

Pic d’inflation outre-Atlantique

Aux Etats-Unis, les taux d’intérêt augmentent toujours, mais plus aussi vite qu’auparavant. Le sixième tour de vis donné par la Fed n’a été “que” de 0,5 point de pourcentage (contre 0,75 point de pourcentage pour les quatre relèvements précédents). Pour autant, le taux directeur atteint 4,25-4,5%, son plus haut niveau depuis 15 ans. Ce durcissement semble pour l’instant porter ses fruits, puisque l’inflation américaine s’est établie en novembre à 7,1% (alors qu’elle atteignait 9% en juin), son plus bas niveau depuis 11 mois. C’est encourageant.

Jerome Powell a besoin d’être convaincu que l’inflation est en train de redescendre durablement, pour envisager un changement de cap.

Optimiste, la Fed pense pouvoir juguler la pire vague d’inflation des quatre dernières décennies, mais le niveau cible de 2% semble encore loin. Jerome Powell a averti que malgré le ralentissement des tours de vis, il a l’intention de porter les taux d’intérêt au-delà de 5% en 2023, et a indiqué qu’il avait besoin d’être convaincu que l’inflation est en train de redescendre durablement, pour envisager un changement de cap. Selon lui, les risques inflationnistes sont toujours bien présents et l’amélioration sera progressive; l’inflation devrait atteindre 3,1% fin 2023. L’objectif de 2% pourrait bien être dépassé pendant trois ans encore et une première baisse des taux n’est pas à attendre avant 2024 au plus tôt.

Le taux des titres du Trésor américain à 10 ans est retombé à 3,75%, mais cela n’augure pas forcément un reflux. Le marché obligataire ne sait guère comment réagir face aux derniers chiffres d’inflation et à l’évolution des taux. Si la hausse des taux courts, ces prochains mois, semble acquise, un nouveau pic nous paraît encore bien hypothétique pour les taux longs.

Le Royaume-Uni dans la tourmente

Le Royaume-Uni n’échappera pas non plus à de nouvelles hausses des taux d’intérêt. Voici plus de deux ans que la Banque d’Angleterre (BoE) a commencé à les relever, les portant de 0,10% début 2020 à 3,5% actuellement. L’inflation a piqué du nez fin 2022, mais reste problématique, aux alentours de 10%, contre 0,5% environ il y a deux ans. De nouveaux tours de vis s’imposent donc; avec des hausses prévues de 0,50 point de base, le taux directeur atteindrait bientôt 4%. Le taux à 10 ans est revenu à son niveau d’il y a 12 ans (3,66%); c’est plus du triple de début 2022.

L’économie britannique s’enfonce lentement dans une récession qui pourrait bien durer deux ans, selon la BoE, sous l’effet notamment du Brexit, qui entrave lourdement les échanges avec l’Union européenne. Une baisse des taux d’intérêt pourrait donner de l’air au pays, mais elle est inenvisageable tant que les fortes pressions inflationnistes subsistent. En grève depuis des mois, les travailleurs britanniques demandent des hausses de salaire. Si elles sont accordées, ce qui semble désormais inévitable, elles alimenteront encore la hausse des prix.

Le revirement japonais

Ailleurs dans le monde aussi, les banques centrales relèvent les taux. La Banque du Japon vient d’élargir, de 25 à 50 points de base, la fourchette de fluctuation des rendements du taux à 10 ans, par rapport à l’objectif de 0%. Le taux à 10 ans est donc passé à 0,4%. Le taux directeur au jour le jour reste en revanche inchangé, à -0,1%. A 3,7%, l’inflation nippone n’est pas encore jugée problématique, bien qu’elle dépasse l’objectif de 2%. Le gouverneur, Haruhiko Kuroda, quittera son poste en avril. Son successeur pourrait bien adopter un cap bien différent et, lui aussi, rehausser les taux pour enrayer l’inflation.

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