Le retour en force de la défense
Nous avons sélectionné pour vous quatre “pure players” qui pourront tirer pleinement profit de la hausse des budgets de défense.
Cela fait maintenant presque un an que la Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine. L’une des conséquences de ce conflit a été la prise de conscience par l’Occident de la nécessité de renforcer ses forces armées. Depuis le début de l’offensive, 19 pays ont déjà annoncé qu’ils allaient augmenter leur budget de défense, selon J.P. Morgan. Cette montée en puissance a dopé certaines actions, surtout européennes, mais aussi américaines. La tendance pourrait bien se poursuivre cette décennie: les analystes de Deutsche Bank estiment que les pays occidentaux continueront pendant longtemps à investir dans leur armée.
Un secteur offrant de belles perspectives de croissance à long terme est, en principe, attrayant pour les investisseurs. Mais quand il s’agit de la défense, d’autres facteurs entrent en ligne de compte. En premier lieu, il convient de se demander si la nature de l’activité est acceptable. Plusieurs gérants d’actifs et banques (citons ASR Vermogensbeheer, Robeco ou encore ASN Bank) considèrent en effet qu’il n’est pas éthique d’investir dans les acteurs de la défense, mettant le secteur sur un même pied que les producteurs de tabac ou les jeux d’argent. Or, cette argumentation a été déconstruite par Rob Bauer, président du Comité militaire de l’OTAN, qui juge insensé que la capacité à se défendre puisse être considérée comme non éthique.
Quatre “pure players”
Les investisseurs qui n’excluent pas complètement le secteur de la défense doivent tout de même faire des choix éthiques, par exemple en n’investissant pas dans des armes “controversées” telles que les armes à sous-munitions, chimiques ou nucléaires, ou dans des entreprises exportant en Arabie saoudite ou aux Emirats arabes unis. Ils doivent ensuite se demander quels sont les titres les plus intéressants: ceux d’Europe, où les budgets de défense bénéficient d’un réel coup de fouet, ou les leaders du marché américain? Des généralistes ou des spécialistes, des pure players ou des groupes plus diversifiés, notamment dans l’aviation civile?
En intégrant toutes ces considérations, nous avons sélectionné quatre titres de pure players qui pourront tirer pleinement profit de la hausse des budgets de défense. Ce choix exclut des actions de qualité telles que Thales, Dassault Aviation, General Dynamics ou encore Raytheon Technologies. Sur le long terme, Rheinmetall présente aussi de l’intérêt, mais son cours a bondi en peu de temps. Nous vous présentons le quatuor retenu.
BAE Systems
BAE Systems est le groupe de défense le plus important et diversifié d’Europe. C’est aussi le seul acteur européen à pouvoir rivaliser avec les groupes américains tels que Lockheed Martin et Northrop Grumman, pour une valorisation inférieure. La quasi-totalité du chiffre d’affaires (CA) du groupe britannique provient des activités de défense maritime (sous-marins et torpilles), terrestre (véhicules de combat et armes), aérienne (avions de chasse) et de l’électronique (simulateurs et capteurs). Un peu moins de 5% des ventes sont liées aux activités nucléaires (maintenance des installations et transport d’armes nucléaires). Le groupe affiche aussi une belle diversification géographique, avec quelque 43% du CA provenant d’Amérique du Nord, 20% du Royaume-Uni et 20% d’Europe. Notons que 19% du CA sont générés au Moyen-Orient, dont 12% en Arabie saoudite.
BAE Systems annoncera ses résultats annuels pour 2022 le 23 février; le CA devrait s’inscrire en hausse de 8,5%, à 23 milliards de livres sterling (GBP) environ, et le bénéfice par action (BPA), de quelque 12%, à plus de 0,52 GBP. Le cash-flow disponible devrait, selon Barclays, atteindre environ 1,3 milliard GBP, et suffire largement à financer le dividende annuel, de 900 millions GBP. Le cash-flow disponible, le dividende et les rachats d’actions pourraient encore augmenter ces prochaines années. Avec un ratio cours/bénéfice de 16,5 et un rendement du dividende de 3%, BAE Systems est très raisonnablement valorisé compte tenu de la croissance attendue; le titre est digne d’achat.
L3Harris Technologies
Ce n’est pas la première fois que nous évoquons L3Harris et son action à dividendes. Cette société américaine fabrique divers produits technologiques: équipements de surveillance des navires ennemis, systèmes de détection des attaques de missiles… Environ 78% de son CA est généré aux Etats-Unis. Mi-décembre 2022, L3Harris a annoncé avoir racheté Aerojet pour 4,7 milliards de dollars, ce qui lui permettra également de renforcer sa position sur le marché de l’armement. Le groupe, qui avait déjà acquis TDL, va devoir ralentir le rythme des rachats d’actions et peut-être procéder à des désinvestissements. Fin 2022, le ratio d’endettement (dette nette divisée par le cash-flow d’exploitation) était de 2,5; la direction entend le maintenir sous 3. Les résultats annuels et les prévisions pour 2023, publiés à la fin de la semaine dernière, n’ont pas déçu – ce qui est loin d’être le cas de tous les groupes de défense américains. Le CA (17,1 milliards de dollars) et le BPA (12,90 dollars) de 2022 se situent juste en dessous du niveau de 2021. Pour l’année en cours, L3Harris table sur un CA de 17,4 à 17,8 milliards de dollars et un BPA de 12,00 à 12,50 dollars. L’action a perdu 25% entre la fin octobre, après la publication des chiffres du troisième trimestre, et la mi-janvier. Trop de mauvaises nouvelles avaient été intégrées dans le cours, car malgré des prévisions de bénéfices prudentes pour cette année, le titre a gagné près de 7% peu après l’ouverture.
Saab
Saab évoque en premier lieu des voitures, mais il s’agit en fait d’un groupe de défense très diversifié, qui tire environ 44% de son CA de la défense aérienne (avec, notamment, l’avion de combat Gripen), 23% de la défense terrestre (dont les systèmes de missiles), 22% des forces navales et le solde, des systèmes de surveillance. Plus de 38% des ventes sont réalisées en Suède, marché national, et 17% dans le reste de l’Europe. L’Amérique du Nord et du Sud représentent 26% des ventes, l’Asie, 14%.
Saab a toutefois un périmètre bien plus réduit que BAE Systems. Sur les neuf premiers mois de l’année, le groupe a généré un CA de 28,1 milliards de couronnes (SEK), soit 2,5 milliards d’euros, en hausse de 3,4%, et un bénéfice d’exploitation de 1,96 milliard SEK (175 millions d’euros), en hausse de 8%. Le groupe a engrangé 6% de nouvelles commandes supplémentaires et son carnet total s’élève à 112 milliards SEK.
La possible adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN constitue une opportunité majeure pour Saab, car les pays de l’alliance privilégient les achats à d’autres Etats membres. Même en incluant ses engagements de pension, Saab, dénué de dette, affiche un excellent bilan. Le dividende est variable: la direction a pour objectif de reverser 20 à 40% du bénéfice net sous la forme de dividendes sur un cycle de défense complet. A 1,2%, le rendement du dividende n’est pas très élevé. Après la hausse de 78% du cours en 2022, le ratio cours/bénéfice attendu pour 2023 est de 21. Près de 39% des actions sont détenues par la famille Wallenberg par le biais de deux véhicules d’investissement. Saab est un acteur relativement petit et c’est un risque: il convient dès lors de ne pas lui accorder une place trop importante en portefeuille.
Qinetiq
Actif sur un segment différent, Qinetiq fournit des tests d’équipements de défense et des formations militaires à l’armée de terre, de l’air et la marine, principalement au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie. En outre, la société fait partie d’un consortium travaillant sur les armes laser pour le compte du ministère britannique de la défense et développe des systèmes robotisés d’armement. Avec un CA de 673 millions GBP pour le premier semestre de son exercice, Qinetiq est relativement petit. Mi-janvier, le britannique a confirmé ses objectifs pour l’ensemble de l’exercice, clos en mars; il table sur une croissance organique du CA de 6-9% et sur une marge marge bénéficiaire (Ebit/CA) de plus de 11%. En incluant Avantus, racheté en août pour 590 millions GBP, le CA est attendu à 1,5 milliard GBP. Qinetiq a également réitéré son objectif de CA de 2,3 milliards GBP pour 2027, avec une marge de 12-13%. Si cet objectif est atteint, le BPA pourrait connaître une croissance d’au minimum 10% ces prochaines années. Malgré le récent rachat, le ratio d’endettement reste raisonnable, à 1,1. Le groupe produisant d’abondants flux de trésorerie, il devrait avoir remboursé sa dette dans les deux ou trois ans. Comme pour Saab, nous conseillons de limiter la position.
Stratégie
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