Le ratio cours/valeur comptable: simple, mais pas toujours pertinent
On lit souvent sur les forums que les actions qui s’échangent sous leur valeur comptable, c’est-à-dire dont le ratio cours/valeur comptable est de 1 ou moins, sont peu onéreuses, puisqu’elles valent en réalité plus que ce que pense le marché. Mais ce n’est pas si simple.
Comme le cours/bénéfice examiné la semaine passée, le rapport cours/valeur comptable est un des ratios de valorisation les plus cités, principalement pour sa simplicité. Il permet de comparer le cours d’une action à la valeur comptable des fonds propres de sa société émettrice; ces fonds propres sont le total des actifs, comme les usines, les créances et les liquidités, diminués des passifs, tels que les emprunts bancaires, les dettes de leasing et les sommes dues aux fournisseurs. La valeur comptable est également appelée valeur de liquidation: elle reflète la valeur qu’aurait l’entreprise si tous les actifs figurant au bilan étaient vendus et tous les créanciers, remboursés. Ce qui subsisterait serait la valeur comptable, ou fonds propres.
Notons que cette valeur de liquidation comptable est toute théorique – l’entreprise peut avoir au bilan des bâtiments qui valent en réalité plus ou, à l’inverse, un appareil de production qui s’est déprécié au fil des avancées technologiques. Les usines où sont fabriqués les moteurs traditionnels dont de nombreux constructeurs automobiles disposent encore, par exemple, menacent, avec le passage à la mobilité électrique, de perdre très vite de leur valeur.
Pas si simple
Les actions peuvent s’échanger en dessous ou au-dessus de leur valeur comptable. Dans le premier cas, les investisseurs estiment que le titre vaut moins que la valeur comptable des fonds propres. Et inversement. Prenons un exemple issu du portefeuille de l’Initié: Resilux, l’entreprise de production et de recyclage de PET, dont le dernier rapport annuel fait état de 159 millions d’euros de fonds propres. Pour connaître son ratio cours/valeur comptable, il faut comparer la valeur que le marché attribue à l’entreprise à la valeur comptable de ses fonds propres. A cet effet, on oppose soit la capitalisation boursière (335 millions d’euros, chez Resilux) aux 159 millions d’euros de fonds propres, soit le cours à la valeur comptable par action (en divisant les fonds propres par le nombre d’actions en circulation). Dans un cas comme dans l’autre, on obtient un rapport cours/valeur comptable d’un peu plus de 2.
Est-ce beaucoup? On lit souvent sur les forums que les actions qui s’échangent sous leur valeur comptable, c’est-à-dire dont le ratio cours/valeur comptable est de 1 ou moins, sont peu onéreuses, puisqu’elles valent en réalité plus que ce que pense le marché. Mais ce n’est pas si simple. La pertinence de la valorisation d’une action par le ratio cours/valeur comptable dépend en premier lieu de ce que l’entreprise perçoit sur ses fonds propres; plus ceux-ci sont rentables, plus le ratio est élevé. Au sein d’un même secteur, les sociétés dont le rendement des capitaux propres est important afficheront des ratios cours/valeur comptable plus élevés que les autres.
Secteur
Les écarts entre les secteurs peuvent être considérables également. Les entreprises qui réalisent d’importants bénéfices avec relativement peu d’actifs et de fonds propres, comme les sociétés de logiciels ou les gestionnaires d’actifs, affichent des valeurs comptables bien supérieures à celles, par exemple, des entreprises industrielles, détentrices de nombreux actifs physiques, qui doivent investir beaucoup au détriment, souvent, de leurs rendements. Ce qui explique pourquoi Adobe Software s’échange à 17 fois sa valeur comptable, tandis que Resilux, à 2 fois seulement.
Comme d’autres ratios, le rapport cours/valeur comptable permet de comparer les entreprises d’un même secteur ou de mieux comprendre l’évolution d’une entreprise dans le temps. Au sein du secteur automobile, Renault s’échange actuellement à 0,4 fois sa valeur comptable. C’est bon marché, mais la marque avait enregistré l’an passé un retour sur fonds propres de -20%. Daimler, qui s’échange à 1,2 fois sa valeur comptable, avait obtenu sur ses fonds propres un rendement de 13%. Si cela avait été le cas de Renault, son ratio de 0,4 trahirait une forte sous-valorisation.
L’investisseur sera attentif à de telles aberrations. Examiner le lien entre cours/valeur comptable et rendement sur fonds propres peut aider à détecter les valorisations inférieures ou supérieures à la normale. Une entreprise qui affiche un ratio cours/valeur comptable faible mais enregistre un rendement élevé sur ses fonds propres est peut-être sous-valorisée.
Glissement
Le rapport cours/valeur comptable a plusieurs avantages, dont celui de la simplicité et de la clarté: il suffit de connaître les fonds propres et la valeur boursière. Il permet en outre de valoriser les entreprises qui ne réalisent pas encore de bénéfices, pour lesquelles il est donc impossible d’utiliser des ratios basés sur ce paramètre.
Il n’est toutefois pas infaillible. Par exemple, certaines entreprises possèdent beaucoup d’actifs incorporels, dont la valeur réelle est difficile à déterminer. L’essor de la technologie et l’évolution croissante en direction du secteur tertiaire expliquent que les bilans soient de plus en plus constitués d’actifs incorporels. Jadis, les usines et les machines étaient les principaux actifs; maintenant ce sont les brevets, les marques et les logiciels. Lesquels sont beaucoup plus difficiles à valoriser.
Une composante importante des actifs incorporels est le goodwill, c’est-à-dire ce que l’entreprise a payé, lors de rachats antérieurs, en sus de la valeur comptable de ces acquisitions. Or le goodwill est difficile à évaluer: comment savoir si la société a eu raison de débourser cet excédent? C’est pourquoi il est préférable de le déduire des fonds propres avant de calculer le cours/valeur comptable. Dans le cas de Resilux, qui acte peu de goodwill, cette soustraction ne change pas grand-chose (le cours/valeur comptable passe de 2,1 à 2,4) mais au niveau d’Adobe Software, dont plus de 40% du bilan est constitué de goodwill, elle propulse le ratio à 90.
Un autre actif incorporel difficile à évaluer est la notoriété. Celle dont Coca-Cola fait état dans ses bilans est valorisée à plus de 10 milliards de dollars, soit plus que la valeur de ses bâtiments et usines. Déterminer la valeur exacte de cette notoriété est toutefois affaire de spécialistes.
On le voit: le ratio cours/valeur comptable permet surtout de valoriser des entreprises qui disposent de nombreux actifs physiques, dont la valeur, sur le plan comptable, est facile à déterminer d’année en année. Pour les autres, comme les développeurs de logiciels ou celles qui possèdent de nombreux actifs incorporels, il n’est pas le meilleur indicateur. Or dans la mesure où dans les économies avancées, la valeur ajoutée provient de plus en plus d’actifs incorporels, il perd de sa pertinence pour l’investisseur.
Destruction ou création de valeur
Ce rapport renseigne également sur la manière dont le marché considère l’action. Si celle-ci s’échange sous sa valeur comptable, c’est qu’il ne croit pas que l’entreprise vaudra plus demain qu’aujourd’hui. Peut-être parce qu’elle réalise des investissements insuffisamment rentables, ce qui signifie qu’elle détruit de la valeur au lieu d’en créer. Si, à l’inverse, une action se négocie largement au-dessus de la valeur comptable, c’est que le marché table sur des retours bien plus importants que les dépenses d’investissement et sur une augmentation de la valeur de la société – les investisseurs prennent, en quelque sorte, une avance sur sa valeur comptable future. L’évolution de la valeur comptable, ou fonds propres, est également très révélatrice: si elle progresse régulièrement, c’est que l’entreprise a réussi à produire de la valeur au fil des ans.
Le ratio cours/valeur comptable est donc largement utilisé, mais il perd désormais, dans un certain nombre de secteurs, de sa pertinence. Il ne peut en tout état de cause pas être le seul indicateur sur lequel fonder des décisions d’investissement.
Stratégie
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