Election américaine, énergie et banques
Pour l’investisseur, il est particulièrement important d’identifier les secteurs que les résultats de l’élection influenceront le plus ces prochaines années.
En Caroline du Sud, Donald Trump vient de battre Nikki Haley, sa dernière opposante républicaine, à plate couture. Seuls les tribunaux semblent pouvoir empêcher le milliardaire de venir titiller Joe Biden le 8 novembre. Ce serait bien la première fois depuis 1892 qu’un ancien président affronterait la personne qui l’a battu quatre ans plus tôt.
Telle n’est évidemment pas la raison pour laquelle les médias financiers s’intéressent tant à la course à la Maison-Blanche. Le moins que l’on puisse dire est que les deux candidats n’ont pas la même vision des choses. Alors que Joe Biden se contente généralement de commenter l’actualité, Donald Trump a tendance à la faire. Ce qui n’est pas toujours sans conséquences sur les marchés boursiers.
La bataille commerciale avec la Chine, déclenchée par Donald Trump en 2018, illustre bien ce phénomène. Selon le groupe de réflexion NBER, elle avait fait chuter l’indice S&P 500 de 6 % entre avril 2018 et la fin de 2020. De ce recul, 2,4 % étaient dus au tassement des résultats des entreprises qui traitaient directement avec la Chine ; NBER associe les 3,6 % restants à la détérioration du sentiment des marchés boursiers, elle-même due à la montée des tensions internationales.
D’après ce qui s’est dit ces dernières semaines, les investisseurs pourraient devoir s’accrocher si Donald Trump venait à remporter l’élection du mois de novembre. Début février, le républicain a annoncé son intention d’imposer des droits de douane de 60 %, sinon plus, sur les produits chinois. Son affirmation selon laquelle la Russie pourrait faire “ce qu’elle veut” des pays de l’OTAN qui n’atteignent pas leurs objectifs en matière de dépenses militaires n’est pas, elle non plus, passée inaperçue.
Sur d’autres plans toutefois, une victoire de l’ex-président pourrait être profitable aux marchés boursiers. En 2016, l’accession surprise du producteur de télévision à la Maison-Blanche avait fait gagner 6 % au S&P 500. Ce même indice avait bondi de 57 % par la suite alors qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, l’effet Biden est de 48 %.
Le secteur de l’énergie
Pour l’investisseur, il est particulièrement important d’identifier les secteurs que les résultats de l’élection influenceront le plus ces prochaines années. A cet égard, celui de l’énergie se distingue résolument. Dans le cadre de son plan “Build Back Better”, Joe Biden a débloqué 100 milliards de dollars pour rendre le secteur énergétique américain plus durable et lui permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2035. Quarante-sept projets éoliens, solaires et géothermiques, d’une capacité totale de 11.236 mégawatts, ont été autorisés depuis 2020.
Ces projets ont dans un premier temps semblé profitables aux renouvelables sur les marchés boursiers. Au cours des deux mois qui ont suivi l’investiture du démocrate, l’indice S&P Global Clean Energy a grimpé de 55 %. Ce rallye ne peut toutefois être que partiellement attribué à Joe Biden. Au printemps 2020 en effet, la crise sanitaire, en faisant chuter les taux d’intérêt, avait provoqué un tsunami de liquidités, dont une grande partie s’était retrouvée dans le segment du marché qui profitait le plus des programmes d’investissements que les gouvernements tentaient de mettre en place pour stimuler l’économie : celui des énergies renouvelables.
Depuis, la bulle de la transition énergétique s’est dégonflée. Plus les taux sont élevés, plus les grands projets éoliens et solaires sont difficiles à financer. Il se pourrait en outre qu’en cas de victoire de Donald Trump, la politique de relance se mue en vent contraire. En revanche, une nouvelle baisse des taux directeurs cette année, combinée à une victoire de Joe Biden, pourrait donner un coup de fouet aux actions du secteur des renouvelables.
‘‘Fore, chéri, fore’’
Donald Trump, lui, mise énormément sur l’accélération de la production de pétrole et de gaz naturel sur le territoire américain, dans le but de réduire la dépendance des Etats-Unis à l’égard des pays exportateurs et d’éviter qu’un enchérissement de l’énergie n’alimente l’inflation. Son premier mandat a montré ce à quoi cette politique pourrait ressembler : en quatre ans, la production de pétrole est passée de 8,9 millions à 11,1 millions de barils par jour, allant même jusqu’à atteindre 13 millions de barils à l’automne 2019.
Ceci dit, cette croissance ne résultait pas d’une hausse des prix du pétrole, qui reculaient même légèrement à l’époque. Le phénomène pourrait du reste se reproduire car si Donald Trump est élu et qu’il noue des liens plus étroits encore avec l’Arabie saoudite ou qu’il conclut un accord avec la Russie, davantage d’or noir pourrait affluer sur le marché mondial. Le 45e président ne s’est d’ailleurs pas privé de reprendre à son compte “Drill, Baby, Drill” (‘‘Fore, chéri, fore’’), un ancien slogan républicain. Que ne peuvent qu’apprécier les entreprises qui exploitent d’importants gisements de schiste, comme ExxonMobil ou Chevron-Texaco.
Le secteur bancaire
Le résultat de l’élection aura des implications majeures pour le secteur bancaire américain également. Au cours de son mandat, Donald Trump était notamment revenu sur la loi Dodd-Frank, introduite en 2010 pour atténuer considérablement le risque de nouvelle crise financière. Toutes les banques dont le bilan atteignait 50 milliards de dollars étaient depuis le vote de la loi soumises chaque année à un test, pour s’assurer de leur capacité à résister à une détérioration soudaine de l’économie. En 2018, Donald Trump avait relevé le plafond à 250 milliards de dollars, ce qui avait permis à des dizaines de petites banques locales, qui n’étaient plus obligées de conserver autant de capitaux propres qu’auparavant, de multiplier les octrois de crédits.
A court terme, l’assouplissement les avait aidées à manœuvrer plus facilement dans un paysage que les niveaux de taux rendaient très difficile. Mais la mesure a aussi indirectement ouvert la porte à la faillite, l’an dernier, de Silicon Valley Bank (SVB), faillite dont les répercussions économiques ont pu être limitées par l’intervention rapide et décisive de la Federal Reserve. Les difficultés de SVB, puis de First Republic, expliquent en grande partie pourquoi l’indice S&P Regional Banks Industry a cédé 23 % en 12 mois, alors que le S&P 500 progressait de 20 % sur cette même période. Le net renforcement de la réglementation des banques américaines par Joe Biden après le fiasco de SVB a lui aussi contribué à ce tassement.
Les conséquences du changement de politique se sont rapidement fait sentir. New York Community Bank, qui a franchi la limite actuellement fixée à 100 milliards de dollars, a sabré dans son dividende il y a 15 jours. Aussi longtemps que la menace d’un nouveau resserrement de la réglementation planera sur les marchés, il est peu probable que les actions des banques régionales américaines remonteront. Mais une victoire de Donald Trump, qui a d’ores et déjà exprimé son intention de remettre le sujet sur le tapis, pourrait changer la donne. Et permettre à la rentabilité du secteur bancaire américain, déjà stimulée par un environnement de taux plus favorable, de progresser encore en 2025.
Les bonnes performances du secteur financier au cours des années électorales sont une autre raison de garder les actions bancaires à l’œil. Selon Goldman Sachs, le rendement boursier médian de l’activité lors de ces années est depuis 1984 supérieur de plus de 7 % en moyenne à la moyenne du marché.
Conserver ses munitions
D’après un sondage Reuters, Donald Trump disposait mi-février d’une avance de trois points sur Joe Biden, un écart bien trop faible pour que l’on puisse en tirer des conclusions. En 1992, George Bush avait à ce stade 22 points d’avance sur Bill Clinton, qui lui avait pourtant ravi son siège. Mieux vaut donc éviter de prendre des positions trop précises pour l’instant et, au contraire, garder ses munitions pour la suite. C’est d’ailleurs une constante : depuis 1950, les rendements ont, dans les six à huit semaines qui ont suivi le jour de l’élection, été dans l’ensemble supérieurs à ce qu’ils avaient été au cours des 10 mois précédents, un phénomène qui semble de surcroît de plus en plus marqué. Depuis 1984, l’indice S&P 500 retombe, le jour où les électeurs se rendent aux urnes, presque au même niveau en moyenne qu’en début d’année, après quoi il grimpe de plus de 8 %. Cette hausse s’explique bien sûr par la disparition soudaine d’un facteur d’incertitude majeur dans le monde financier. Pour l’investisseur, le mot d’ordre est donc de patienter jusqu’au 8 novembre.
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