Cannabis: après le délire, la descente

Le Canada a légalisé le cannabis médical dès 2001. La vente de produits issus du cannabis ne générant pas encore de marges élevées, les entreprises doivent réaliser un chiffre d’affaires substantiel pour couvrir leurs coûts et être rentables.

Deux mil dix-huit fut pour les entreprises actives dans le secteur du cannabis une excellente année boursière. Laquelle peut toutefois se résumer à un phénomène de mode. Mi-2018, Tilray, producteur de médicaments à base de cannabis, est entré en Bourse de New York à 20 dollars américains (USD); deux mois plus tard, le titre valait 165 USD. Aujourd’hui, il en est à 8 USD.

Le marché s’est pourtant développé comme prévu. Au Canada, le chiffre d’affaires du commerce autorisé est passé de 200-300 millions de dollars canadiens (CAD) en 2018 à 1,2-1,3 milliard l’an dernier, et devrait atteindre 2,2-2,5 milliards cette année. Mais les cours des sociétés cotées intégraient des attentes beaucoup trop élevées. Les investisseurs étaient en quête de gains rapides et les entreprises, rarement bien gérées et trop souvent guidées par des intérêts personnels, ont déçu: la bulle a donc éclaté. Une occasion d’acheter? Pas tout de suite; d’autant que dans ce monde enjôleur, il faut pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie.

Drogue

Le cannabis, dénomination latine du chanvre, est dérivé de la Cannabis Sativa. Les sommités de la fleur femelle sont séchées puis effritées pour obtenir la marijuana, ou beuh, ou herbe. Comprimer la résine de la plante en blocs ou plaquettes permet d’obtenir du haschisch (shit). Le cannabis est généralement mélangé à du tabac puis roulé en cigarette (joint), dont les effets sont immédiats. Chaque plant contient 500 matières chimiques, mais le composant principal est le tétrahydrocannabinol (THC). L’on trouve 85 autres cannabinoïdes encore, et c’est le rapport entre le THC et divers autres agents actifs qui détermine l’effet obtenu.

Canada

Le Canada avait légalisé le cannabis médical dès 2001. Sa décision d’autoriser, fin 2018, l’usage récréatif du produit et d’en organiser lui-même la vente (pour que, comme pour l’alcool et le tabac, les recettes alimentent le Trésor public), a joué un rôle crucial dans la promotion du secteur au titre de thème d’investissement. Et contribué à élargir, et à développer, considérablement le marché – le marché canadien devrait atteindre un chiffre d’affaires de 5 milliards CAD par an ces prochaines années. Le rôle de pionnier joué par le pays explique également pourquoi le paysage est principalement canadien. Ceci dit, l’on n’y recense pour l’heure aucune véritable success story.

Simplicité

Cultiver le cannabis est très simple, affirme Nikolaas Faes, analyste belge au sein de la maison de Bourse française Bryan, Garnier & Co, qui suit depuis trois ans l’évolution du secteur. La vente de produits issus du cannabis ne générant pas encore de marges élevées, les entreprises doivent réaliser un chiffre d’affaires substantiel pour couvrir leurs coûts et être rentables. Si le leader canadien Canopy Growth (16,5 USD; 8,1 milliards USD de capitalisation boursière; ticker: CGC; code ISIN: CA138035100) voit ses ventes s’envoler depuis quelques années, il est loin d’être rentable. Son chiffre d’affaires, de 77,9 millions CAD en 2018, devrait, si l’on en croit le consensus, tourner autour de 500 millions en 2021 (exercice décalé), mais la perte opérationnelle sera toujours aussi élevée. Selon Nikolaas Faes, Canopy doit réaliser un chiffre d’affaires de plus d’un milliard CAD pour sortir du rouge. “C’est énorme, et cela prendra du temps, commente-t-il. Pour moi, même à ce prix, Canopy n’est toujours pas intéressant”. Le constat vaut également pour les autres grands acteurs canadiens, comme Tilray et Aurora Cannabis. Notre expert s’oblige à accorder à Aphria le bénéfice du doute, en raison des perspectives que lui assurent sa licence allemande et son accès au marché américain; mais il précise qu’Aphria restera déficitaire deux à trois ans encore.

L’ascension des grands opérateurs canadiens s’explique également par le fait que le cannabis est considéré comme une solution de rechange à l’alcool: les boissons au cannabis auraient le même effet que l’alcool, mais sans ses inconvénients (pas de veisalgie, pas d’interaction avec les médicaments, pas de calories). En concluant un important accord avec Canopy, dont il est dès lors devenu le principal actionnaire, Constellation Brands est l’entreprise qui a le plus largement exploré cette piste. AB InBev et The Coca-Cola Company se sont entendus avec Tilray et Aurora Cannabis respectivement. Reste à savoir si une réelle percée sera un jour opérée.

Légalisation

Le cannabis est illégal presque partout dans le monde. Un nombre croissant de pays établissent toutefois une distinction entre drogues douces (cannabis) et drogues dures (cocaïne, héroïne), car il est de plus en plus question de légaliser l’une ou l’autre forme de consommation. En 2014, cinq nations à peine autorisaient l’usage du cannabis. Aux Etats-Unis, celui-ci reste interdit au niveau fédéral, mais près de la moitié des Etats en acceptent la consommation médicale et certains l’admettent à titre récréatif. D’après un récent sondage, 64% des Américains sont partisans d’une légalisation, contre 25% il y a 20 ans

Si ce n’est pas le cas à propos des grands acteurs canadiens, Nikolaas Faes entrevoit des opportunités d’investissement dans certaines sociétés américaines de taille moyenne, car il s’agit de firmes d’ores et déjà rentables, qui créent des marques et qui tirent profit de l’essor de la consommation récréative aux Etats-Unis – il évoque Planet13 Holdings, True Leaf Brands et Ayr Strategies.

Médecine

Quand elles existent, la plupart des autorisations ne portent que sur un usage thérapeutique du cannabis – maintes études démontrent en effet l’action curative de certains cannabinoïdes, par exemple dans la lutte contre la douleur ou les spasmes musculaires. Des recherches sur le cancer, l’autisme, la sclérose en plaques, le diabète, etc., sont également en cours. La multiplication des applications et autorisations médicales constitue un premier pôle de croissance. GW Pharmaceuticals, société britannique cotée au Nasdaq, dont l’action a mieux résisté que d’autres à la chute, est connue pour l’efficacité de ses médicaments à base de cannabis contre l’épilepsie – des jeunes qui avaient jusqu’à 150 crises par jour ont grâce à eux retrouvé une vie relativement normale.

L’usage du cannabis à titre récréatif reste tabou dans les sphères politiques de la plupart des pays européens, dont la Belgique, une hésitation qui étonne Nikolaas Faes. Pour l’instant en tout cas, l’accent devrait être mis sur les applications médicinales, d’autant que l’Europe pourrait devenir la région du monde qui génère le plus de valeur.

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