Uri Levine, cofondateur de Waze: “Construire une start-up est un voyage rempli d’échecs”
Après avoir vendu à Google pour plus d’un milliard de dollars l’entreprise Waze qu’il a cofondée, l’entrepreneur israélien Uri Levine a relancé une dizaine d’autres projets, dont Moovit rachetée par Intel. De passage à Bruxelles, il nous a accordé une interview exclusive sur son parcours et surtout son expérience depuis les débuts de l’appli de navigation.
C’est une star de la tech qui déambule dans les bureaux flambant neufs du PwC Campus, le nouveau siège principal de PwC basé près de Brussels Airport. Derrière sa dégaine à la cool, jeans et t-shirt, l’homme cache une expérience que la plupart des entrepreneurs tech rêveraient d’avoir vécue: Uri Levine est l’un des fondateurs de l’application de navigation Waze, embarquée chaque mois par plus de 140 millions d’utilisateurs à travers le monde et revendue à Google en 2013 pour plus d’un milliard de dollars… L’homme est venu à Bruxelles à la rencontre des fondateurs de scale-up belges ayant participé en mars dernier à la Trends Winter University pour une conférence unique. Nous en avons profité pour passer un moment exclusif avec lui.
Profil
· Développeur pour l’armée israélienne entre 1984 à 1989
· Occupe diverses fonctions dans le secteur des télécoms durant les années 1990
· Cofonde Waze en 2007
· Revend Waze à Google en 2013
· Deviens serial entrepreneur et investisseur, notamment au sein de Moovit, Refundit, Fairfly, SeeTree, Fibo, Zoomcar
TRENDS-TENDANCES. Quels ont été, selon vous, les ingrédients du succès de Waze?
URI LEVINE. Je pense à deux éléments principaux. Le premier, c’est simplement que Waze était gratuit. Ensuite, l’application apportait une vraie réponse à une problématique quotidienne, à savoir les embouteillages pour aller et revenir du bureau chaque jour et le besoin de trouver la route la plus rapide. Ces deux éléments constituent donc les vrais fondamentaux du succès. Quoi de mieux que de répondre gratuitement à un problème quotidien des gens? Il existait des propositions de navigation mais aucune ne tenait compte des embouteillages et aucune n’était gratuite. Il ne faut pas minimiser le fait d’être gratuit. C’était une énorme différence.
L’idée pour apporter une réponse au problème des embouteillages est une chose, mais on sait que ce n’est généralement pas suffisant pour rencontrer le succès…
C’est vrai: c’est toujours l’exécution qui compte. Les idées sont bien, mais leur exécution est la clé et c’est souvent un cauchemar.
Un cauchemar? Vous êtes pourtant parvenu à créer une des applis les plus utilisées…
Je pense qu’au final, l’important, c’est la capacité à essayer de nouvelles choses et surtout de persévérer dans la découverte de nouvelles possibilités pour trouver ce qui fonctionne vraiment. Essayer, essayer, essayer. Je pense sincèrement que c’est la clé.
Un excellent produit, gratuit de surcroît, ne risque pas grand-chose de la part de concurrents. Personne ne peut vraiment rivaliser.
On imagine que le développement de Waze n’a pas été simple tous les jours. Quelles ont été les plus grosses difficultés?
En effet. En 2010, par exemple, nous avons essayé de lever des fonds et ne rencontrions aucun intérêt de la part des investisseurs…
C’est étonnant. Pourquoi?
Tout simplement parce que le produit n’était pas assez bon. Pas assez bon aux Etats-Unis, pas assez bon en Europe ou dans d’autres grands pays. Du coup, cela a été particulièrement compliqué de lever du capital. On a eu de la chance d’en trouver finalement, mais cela n’a pas été simple.
N’était-ce pas aussi en raison de la crise majeure que le monde venait de traverser?
C’était la fin de la crise et les investisseurs commençaient doucement à revenir sur le marché mais nous avions beaucoup de mal à convaincre et n’avons réussi à boucler un tour de table qu’un mois avant d’arriver au bout du cash disponible. Ce fut probablement l’une des périodes les plus compliquées. Surtout qu’en parallèle, Google venait également de lancer son système de navigation aux Etats-Unis et tout le monde disait que nous étions foutus. Ce qui n’a pas été le cas.
Vous n’êtes donc pas passé loin de l’échec…
Si vous comprenez que construire une start-up est un voyage rempli d’échecs, puisqu’en réalité vous subissez des échecs quotidiennement, cela fait de votre roadmap une liste d’expérimentations qui doivent être réalisées. Le marché local où vous démarrez est, ainsi, une liste d’expériences qu’il faut accumuler jusqu’à y arriver. C’était la même chose pour nous: nous avons essayé de nouvelles initiatives et si cela ne fonctionnait pas, on essayait autre chose. Jusqu’à ce qu’on y arrive.
Vous parlez du marché domestique. Vous avez démarré en Israël mais avez rapidement fait de Waze une appli mondiale. Etait-ce dans les plans dès le départ?
Absolument. Israël est un petit marché. Chaque start-up qui démarre là-bas pense donc directement à un déploiement international. Les marchés américains, européens, les pays émergents font partie du projet dès le premier jour. Le marché domestique sert surtout à valider le concept et l’approche. Dès que c’est fait, l’idée est d’aller le plus vite possible à l’international. La bonne nouvelle, c’était que la question des embouteillages était la même partout dans le monde. Le dénominateur commun, c’était la nature du problème, que l’on retrouvait partout, ce qui nous a considérablement facilité la tâche pour nous développer ailleurs dans le monde, au départ d’Israël. En effet, dès qu’on parlait du problème que Waze résolvait, les gens étaient réceptifs et voulaient essayer. Et, surtout, ils nous laissaient itérer parce qu’il n’y avait pas d’autres alternatives. Ce qui a fondamentalement fait le succès de Waze a été la fréquence d’usage de l’appli car les gens l’utilisaient chaque jour. Waze était hyper-intuitive et pouvait démarrer de n’importe où. Alors on a commencé dans le monde entier au même moment en rendant l’application disponible et en misant sur l’aspect collaboratif de son modèle.
Vous mentionnez que les gens utilisaient beaucoup l’application. Cela signifie donc qu’elle était addictive. Aviez-vous travaillé volontairement cet aspect-là?
On a, en effet, fait en sorte de renforcer ce côté addictif. Comment? Avec des astuces de gamification, mais aussi en expliquant simplement aux utilisateurs que l’appli s’améliorait de jour en jour et que ce qu’ils y faisaient lui permettait d’être plus performante. Donc cela les incitait à l’utiliser encore et encore même si elle n’était toujours pas parfaite. On a ensuite constaté que les gens l’utilisaient quotidiennement. Cette importante fréquence d’usage a été le point de départ d’un gigantesque bouche à oreille. Quand vous utilisez quotidiennement une application, vous avez de nombreuses opportunités d’en parler à quelqu’un. Cela a alimenté la forte croissance de Waze, ce qui n’était pas anodin. En effet, la croissance était critique pour l’amélioration du produit puisqu’il était crowdsourcé, donc alimenté par les utilisateurs.
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Plus tard, vous avez croisé la route de Google. Quand avez-vous décidé que vous alliez vendre Waze et pourquoi?
C’était une question d’opportunité. Nous avons simple considéré que cette offre était la bonne et nous avons dit “oui”. Nous avions d’ailleurs eu bien des propositions avant Google et les avions toutes refusées…
C’est le montant astronomique qui vous a convaincu?
C’est aussi le fait qu’on savait que Waze allait rester Waze, avec la vision de servir à résorber les embouteillages, ce qui était très important pour nous car nous avions tout construit avec cet objectif. En ce sens, tout collait pour qu’on accepte la proposition…
Pourtant, à titre personnel, vous avez directement décidé de quitter Waze et de ne pas vous impliquer dans les étapes suivantes de l’entreprise en vue de réaliser cette mission…
J’ai simplement voulu profiter de l’occasion pour lancer d’autres start-up…
Aujourd’hui, justement, vous restez actif dans l’univers start-up en créant et finançant de nouveaux projets. Après une vente comme celle de Waze, ne subit-on pas trop la pression pour entreprendre un nouveau projet?
Vous savez, quelques-unes des entreprises que je développe aujourd’hui rencontreront un succès plus grand que celui de Waze. En fait, le succès des start-up dépend de la taille du problème que vous vous employez à résoudre. Les problématiques de parking, par exemple, sont gigantesques.
Quelques-unes des entreprises que je développe rencontreront un succès plus grand que celui de Waze.
A quel titre intervenez-vous dans ces entreprises? En tant qu’investisseur?
J’investis exclusivement dans mes propres entreprises. Toutes les entreprises dans lesquelles j’ai des participations sont soit nées sur la base d’idées que j’avais et pour lesquelles je suis allé chercher une équipe, soit nées d’équipes qui sont venues me voir avant de lancer leur projet et dont j’ai accompagné le lancement. Entreprendre et investir sont deux choses différentes. Je préfère entreprendre. Aujourd’hui, je suis très impliqué au day to day dans la dizaine de start-up que j’ai lancées. Je ne dirige bien sûr pas les entreprises puisque chacune d’elle dispose d’un CEO mais je les aide et je les guide.
L’expérience Waze vous sert évidemment dans ces autres projets…
Il y a parfois de grandes similarités comme pour Moovit (start-up revendue à Intel, en 2020 pour quelque 900 millions de dollars, Ndlr). Il s’agit d’un Waze des transports publics dont le but était de répondre à la question “comment aller, le plus rapidement, d’un point A à un point B avec les transports publics?”. Cette boîte a grandi plus vite que Waze d’ailleurs, les transports en commun attirent plus de monde que la voiture. Pour développer Moovit, nous avons évidemment pu nous baser sur l’expérience de Waze puisque les points communs étaient nombreux entre les deux projets. Par exemple le crowdsourcing de l’information. Ainsi, Moovit a été créée par la communauté qui fournissait elle-même les infos sur les emplacements d’arrêts de bus, par exemple.
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Une de vos entreprises, Refundit, avait un pied en Belgique. Où en est ce projet?
Refundit a opéré un petit temps en Belgique, avant le covid. Cette start-up permet la récupération de la TVA par les touristes en voyage. Si j’achète des biens en Belgique, je peux récupérer la TVA en tant que touriste venant de l’extérieur de l’Europe. Nous avons démarré en Belgique mais en pleine période covid, il n’y avait évidemment plus de voyageurs et nous avons mis la boîte en “hibernation”. Mais depuis nous avons lancé le projet en Grèce, en Espagne, etc.
Vous gardez un oeil sur la mobilité. Pensez-vous qu’il puisse, aujourd’hui encore, y avoir de nouvelles grandes révolutions sur le marché de la navigation? Celui-ci a rencontré de tels bouleversements avec l’arrivée des smartphones et des applis…
Difficile à dire. Ce qui est clair, c’est qu’un excellent produit, gratuit de surcroît, ne risque pas grand-chose de la part de concurrents. Personne ne peut vraiment rivaliser. Donc en ce sens, ce produit devrait rester le leader du marché. Toutefois, si l’avenir voit se concrétiser des véhicules autonomes et que plus personne ne conduit, la donne sera différente et les gens n’auront plus besoin d’applications comme Waze. Oui, ce sera donc la fin de Waze…
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