Pascal Laffineur (NRB) sur la 5G: “L’ancrage local est un argument de poids”
Pascal Laffineur dirige NRB, le groupe wallon de services informatiques, depuis quasiment sept ans. A côté des excellents résultats de l’entreprise et de ses ambitions stratégiques dont une licence 5G, le CEO, passé par de grands groupes internationaux, s’inscrit dans la lignée des patrons de demain qui prônent l’écoute, l’inspiration, le coaching et le parler vrai.
Quelques jours après l’annonce des résultats de 2021 de NRB, Pascal Laffineur est un patron heureux. Le groupe wallon de services informatiques a, comme espéré, dépassé les 500 millions d’euros de chiffre d’affaires. NRB, à l’aide d’un nouveau plan stratégique, envisage d’atteindre les 750 millions d’euros en 2026. De nouvelles perspectives qui passent, entre autres, par la diversification de ses métiers, notamment dans les télécoms. A cet effet, l’entreprise participe ces jours-ci aux enchères de la 5G. Parallèlement, Pascal Laffineur, comme bon nombre de ses collègues CEO, tente d’absorber les gros changements en termes de ressources humaines engendrés par la pandémie: guerre des talents, autonomisation, prépondérance des valeurs, responsabilité sociale, sociétale et environnementale, etc.
Recruter de bons profils reste un problème qui peut être un frein à la croissance.
TRENDS-TENDANCES. En fin de compte, à voir vos résultats, NRB sort de la pandémie en très bonne forme.
PASCAL LAFFINEUR. Les racines du succès d’aujourd’hui viennent de décisions prises il y a plus de cinq ans. Il s’agissait, d’une part, de corriger certains choses pour disposer de solides piliers: qualité du service fourni au client et revue du portefeuille des services proposés dont certains demandaient des investissements technologiques. Nous nous sommes aussi intéressés à la cybersécurité, sujet devenu plus que brûlant. A côté de ce plan Be Strong, existait aussi un volet Go Far qui devait nous aider à nous projeter dans l’avenir. Entre autres via des acquisitions et des partenariats. Il était important de sortir de notre côté local historique mais aussi du secteur public qui fait partie de notre ADN. Nous sommes ainsi arrivés dans d’autres secteurs comme l’industrie, les hôpitaux ou encore les energy utilities. Nous sommes aussi sortis des frontières wallonnes. D’abord en Flandre où le potentiel de croissance est énorme. Nous avons aussi mis un pied en France où les premiers résultats sont sympas. Enfin, un troisième pôle envisageait la diversification de nos métiers. Entre autres, dans les télécoms et la connectivité. Ce sont des services importants qui sont au centre de notre plan stratégique à l’horizon 2026. Nos clients, vu notre ancrage belge, aimeraient disposer d’une offre de connectivité forte. La 5G en fait partie car elle offre des éléments innovants mais ce n’est pas tout. Je pense à la fibre, aux réseaux LAN, etc. Cette connectivité vient en sus des services informatiques et d’applications que nous offrons déjà.
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A vous écouter, vous participez donc aux enchères 5G dans la seule optique du “B to B”?
Sur ce sujet, je vais me permettre de rester discret car nous sommes au beau milieu du processus et de nombreux scénarios sont sur la table des uns et des autres. Il faudra voir ce qu’il va sortir de tout cela. Mais oui, l’idée est de participer dans une optique B to B. NRB n’a pas vocation à se lancer dans une offre à destination des particuliers. Par contre, nous pourrions le faire pour un client.
Qu’a changé la pandémie dans votre rôle de CEO?
Honnêtement, je ne sais pas encore tout ce qu’elle a changé. Elle a amené tellement de changements profonds et accéléré des choses qui, tôt ou tard, allaient être mises en place. Par exemple le télétravail. Elle a aussi exacerbé le questionnement des jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Les questions sur les valeurs, l’impact sur la société et l’environnement, la contribution à un avenir meilleur sont très prégnantes. Il faut certes recruter mais en tant que patron, je dois aussi conserver mon personnel, le faire évoluer et s’épanouir dans un contexte différent. Aujourd’hui, le recrutement, qui n’est simple pour personne, est un frein possible à la croissance. Ce recrutement est fondamental pour offrir des services de qualité et exécuter des contrats parfaitement. Quand nous gagnons un nouveau client, nous sabrons le champagne mais se pose rapidement la question du staff pour le satisfaire…
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Vous avez des difficultés à recruter?
Nous recrutons beaucoup. Deux cents personnes l’an dernier, déjà une centaine cette année. Mais nous ne sommes pas les seuls à chasser les mêmes profils. Prenons un exemple: les ingénieurs civils data scientists. Il doit en sortir une vingtaine par an des écoles. Tout le monde les veut. Pareil dans le domaine de la cybersécurité. A nous de nous montrer séduisants. Mais oui, recruter de bons profils reste un problème qui, je me répète, peut être un frein à la croissance. Juste avant le covid, nous avions lancé une opération appelée Coup de poing, si je me souviens bien. L’idée était d’offrir à des profils qui n’étaient pas liés à l’IT la possibilité de se former et de nous rejoindre. Nous nous étions engagés à en recruter huit sur dix. Sur les 200 candidatures, 15 ont suivi une formation de six mois chez Technifutur à Seraing avant de faire un stage de trois mois chez NRB. Dix personnes ont été engagées et elles sont aujourd’hui quasi toutes toujours sur le payroll. Ce fut une véritable bouffée d’oxygène. Nos RH sont prêtes à recommencer ce genre d’opération.
NRB, c’est aussi la souveraineté des données. Ce sont nos data centers et ils sont situés en Belgique.
Vous parliez des valeurs et du questionnement des jeunes. Qu’est-ce qui, aujourd’hui, les attire chez vous?
L’ancrage local est un argument de poids. Aussi pour nos clients d’ailleurs. Le centre de décision de NRB n’est pas à des milliers de km. J’ai quelques collègues qui ont à gérer des décisions stratégiques prises à l’autre bout de la Terre par des patrons totalement déconnectés des réalités belges. NRB, c’est aussi la souveraineté des données. Ce sont nos data centers et ils sont situés en Belgique. Certains concurrents étrangers en construisent chez nous mais il ne faut pas oublier que les données stockées peuvent être soumises à des réglementations moins à cheval que les nôtres sur les questions de vie privée. Enfin, NRB crée de l’emploi en Belgique et en Wallonie en particulier. A offre égale, cet aspect est important pour gagner un contrat. C’est pareil dans le recrutement. Les jeunes viennent travailler pour un acteur aux racines wallonnes. La diversification de nos implantations et la proximité avec les domiciles qu’elle peut induire joue aussi beaucoup aujourd’hui dans le recrutement. Enfin, un autre élément inattendu a de l’impact. Une éolienne trône désormais sur notre parking à Herstal. Elle va fournir, en moyenne, 60% des besoins de nos data centers. Cet élément rend crédible notre discours sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale. Chez NRB, ce n’est pas du greenwashing…
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Vous parliez des changements RH induits par la pandémie… Comment cela se passe-t-il chez NRB?
En tant que patron, je dois donner envie à tous les employés qui ont travaillé à distance et y ont sans doute trouvé un certain équilibre, de revenir au bureau pour les bonnes raisons. Avant, cette question ne se posait pas. Chez NRB où, grosso modo, la moitié des gens veulent revenir la moitié du temps, cette dimension est fondamentale. Beaucoup de personnes travaillent en groupe. Mais sans contact physique, cela n’avance pas. Il faut trouver du sens à ce retour au bureau dans un ensemble équilibré. Un patron doit, selon moi, avoir trois qualités. Primo, le leadership. Soit la vision, l’inspiration. Secundo, l’organisation. Tertio, le coaching. Il doit écouter, comprendre mais aussi se laisser inspirer par les employés qui l’entourent. La pandémie nous impose d’être beaucoup plus dans le coaching et la compréhension que dans des éléments managériaux ou opérationnels classiques. Moi je n’ai pas toutes les compétences pour tout cela. Il est donc crucial de bien s’entourer et de travailler en équipe.
Nous ne sommes pas très loin des caractéristiques mises en avant dans notre couverture sur le CEO de demain: authentique, moins autoritaire et empathique. Avec une emphase particulière sur le parler vrai.
Vous n’imaginez pas à quel point ce parler vrai est prégnant. La traduction de la confiance, c’est le parler vrai. La confiance, cela se perd vite alors qu’il faut beaucoup de temps pour l’installer. Avec un client, un fournisseur, un employé, etc. La base de tout cela, c’est le parler vrai. Pouvoir se dire les choses sans que cela fasse un drame ou devienne un problème. Au contraire, c’est souvent le début de la fin d’un problème.
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De nos jours, on parle aussi beaucoup d’autonomisation, de responsabilisation et de collaboratif…
NRB a une structure classique même si, ça et là, nous avons simplifié les choses pour aller plus vite à l’essentiel. Je n’ai jamais eu de grande théorie sur l’organisation. Pour moi, ce sont les humains qui comptent, qui incarnent les rôles plutôt que de belles formules écrites sur des slides. Le management doit être connu. Dans mon esprit, il faut mettre la performance en relation avec les valeurs. Il y a, dès lors, quatre quadrants possibles. Et j’ai rarement vu quelqu’un qui n’y émargeait pas. D’abord, l’idéal, celui qui performe à merveille et qui est en phase avec nos valeurs et la culture d’entreprise. Ce sont des personnes qu’il faut continuer à coacher et surtout ne pas laisser aller. Il faut anticiper leurs besoins et leur évolution pour être à la hauteur de leurs ambitions. Ensuite, il y a celui qui n’est ni performant ni un bon collègue. Quoi qu’il en coûte, il faut se séparer d’un tel profil qui est néfaste. Troisième cas de figure, la personne qui ne performe pas bien mais qui est alignée avec nous tous. C’est quelqu’un qu’il faut guider, aider, former et lui donner des chances d’arriver au niveau espéré. Enfin, le cas le plus compliqué: des gens très performants, voire irremplaçables, mais impossibles à vivre. Nous en connaissons tous. Ils ne collaborent avec personne, n’en font qu’à leur tête, etc. Ce sont des profils qui bloquent l’évolution d’une entreprise malgré leurs solides performances. Le parler vrai, là encore: il faut avoir une discussion franche et expliquer ce qui ne va pas. Donner un délai et profiter de ce délai pour réfléchir à un remplacement et ne pas être pris au dépourvu au cas où. Je dois avouer qu’avec la pandémie, les valeurs et le savoir-être ont pris de l’importance par rapport au savoir-faire. Ce qui rend l’écoute et l’empathie des patrons encore plus importantes.
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