Les plateformes de streaming s’invitent 
sur le marché de la pub

© belga
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Les géants américains ne cessent de grignoter le gâteau publicitaire belge. Après Google, Facebook et Amazon qui se sont déjà bien goinfrés, voici que la plateforme de streaming HBO Max débarque en Belgique avec une formule d’abonnement “pub incluse”. Avant d’être sans doute imitée par Netflix qui est déjà aux aguets avec le même type d’offre publicitaire en France et en Allemagne. Les éditeurs locaux grimacent.

Ne dites plus Gafam, dites Mamaan. C’est le nouvel acronyme en vogue chez les professionnels de la pub et de la communication. Car dans l’ancienne appellation, le G de Google n’a plus de raison d’être: il est désormais remplacé par le A de sa maison mère Alphabet, tout comme le F de Facebook qui s’est finalement effacé derrière le M de sa coupole Meta. Pour une présentation plus judicieuse des cinq géants de la tech auxquels s’est ajouté un sixième acteur, les lettres ont donc été adaptées et quelque peu déplacées, histoire de faciliter la prononciation de ce nouvel acronyme Mamaan (pour Microsoft, Alphabet, Meta, ­Amazon, Apple et Netflix). Six acteurs incontournables du paysage numérique, “mais des Mamaan qui sont souvent de mauvaises mères parce qu’elles bousculent les éditeurs locaux en prenant de plus en plus de place dans notre marché publicitaire et notre marché média au sens large, s’agissant des audiences”, ironise Bruno Liesse, directeur de Polaris, un département de l’agence médias Space.

Dernier exemple en date: le succès de la formule d’abonnement de Netflix avec publicité qui pourrait bientôt débarquer en Belgique. Depuis le mois d’octobre 2022, la plus célèbre des plateformes de streaming a en effet revu son business model en proposant une offre nettement moins chère à l’abonné pour autant qu’il accepte cinq minutes de publicité par heure de programme visionné. Objectif de cette stratégie : freiner la diminution du nombre de clients constatée chez Netflix au début de la même année et réamorcer la pompe des abonnements avec un tarif beaucoup plus attractif.

Et la stratégie a payé : avec un prix moyen de 5,99 euros par mois pour une formule avec publicité contre un montant variant de 14 à 20 euros pour un abonnement sans pub (selon les pays et les options plus ou moins premium), le nombre d’abonnés Netflix est nettement reparti à la hausse depuis son léger décrochage il y a tout juste deux ans. Au deuxième trimestre 2022, le géant du streaming comptait alors 220 millions de clients. Aujourd’hui, la plateforme flirte avec les 270 millions d’abonnés, dont 40 millions d’utilisateurs ont expressément choisi cette formule publicitaire moins chère. Pari gagnant donc : ces clients “pub” n’étaient encore que 5 millions il y a un an à peine…

Effet collatéral

Si cette formule financièrement attractive est disponible chez certains de nos voisins comme la France ou l’Allemagne, elle ne l’est pas encore sur le territoire belge. Mais cela ne saurait tarder, selon les experts du secteur qui ne voient pas pourquoi Netflix se priverait d’une manne de revenus supplémentaires. Avec quelles conséquences sur le marché publicitaire ? Qui dit nouvel acteur, dit en effet nouvelle menace pour les éditeurs locaux qui souffrent déjà de la concurrence insolente de Google et Facebook dans le paysage belge. “Si Netflix propose sa formule d’abonnement avec pub chez nous, cela aura inévitablement un effet collatéral car le gâteau publicitaire ne s’agrandit pas en Belgique, prévient Yves Gérard, CEO de RMB, la régie publicitaire de la RTBF. L’impact ne sera donc pas insignifiant, même si cela ne devrait pas trop nous toucher dans un premier temps, étant donné que le modèle de vente publicitaire de Netflix repose sur du programmatique avec des tarifs relativement chers. Mais nous devons rester attentifs à ce scénario, tout comme à l’arrivée imminente de HBO chez la régie Ads & Data.”

Ce 1er juillet, une nouvelle plateforme de vidéos à la demande débarquera en effet sur le marché belge. A côté des traditionnels ­Netflix, Disney+ et Amazon Prime, l’américaine HBO, propriété du groupe Warner Bros Discovery, lancera son offre HBO Max avec un catalogue alléchant (Game Of Thrones, Harry Potter, The Matrix, etc.) et un prix concurrentiel : un abonnement standard à 9,99 euros par mois, réduit à 5,99 euros dans sa version avec publicité (quatre minutes de pub imposée par heure). Ce qui fera officiellement de HBO Max la toute première plateforme de streaming internationale à proposer une offre publicitaire en Belgique via la régie flamande Ads & Data qui travaille déjà pour de grands acteurs médiatiques comme Telenet/SBS, Proximus ou encore Mediahuis (éditeur des journaux De Standaard, Het Nieuwsblad, etc.). Là aussi, et même si HBO Max ne fait pas partie des nouveaux Mamaan, le gâteau publicitaire belge devrait être un peu grignoté par un nouvel acteur étranger, au grand dam des éditeurs locaux.

“Je trouve simpliste de vouloir se trouver à tout prix un ennemi” – Hugues Rey, CEO de Havas Belgique et président de l’UMA

“Nous sommes en train de nous faire déborder, déplore Bruno Liesse, directeur de Polaris, un département de l’agence médias Space. On se fait bouffer à deux endroits : les audiences et les recettes publicitaires qui vont de pair. En 15 ans, les Gafam devenus Mamaan nous ont pris effectivement 25% de recettes publicitaires. Et ce n’est pas fini…”

Efficacité locale

Dans ce contexte de plus en plus “global”, comment continuer à convaincre les annonceurs de la jouer “local” ? Autrement dit, quelles sont les armes dont disposent les éditeurs locaux aujourd’hui pour résister aux Mamaan et autres géants du Web ? “Je prône le respect du droit et la qualité locale des professionnels de l’info et du divertissement, enchaîne Bruno Liesse. Tous les jours sur Facebook, des pubs ne respectent pas le cadre régulatoire. La Commission européenne n’est pas assez dure dans l’exécutif et il est grand temps d’agir. Et puis, il faut sans cesse rappeler aux éditeurs ces deux éléments essentiels pour convaincre les annonceurs de la jouer davantage local : la brand safety (ndlr : l’assurance que la pub n’apparaisse pas dans un environnement contre-productif) et, surtout, l’efficacité publicitaire. Une pub diffusée sur un média de la RTBF ou de RTL, en mode linéaire ou BVOD (ndlr : la vidéo belge à la demande), n’est pas reçue de la même manière que sur YouTube ou sur Facebook. Ça n’a pas la même valeur de contact. Des études le prouvent et ce que les éditeurs locaux peuvent faire – doivent faire – c’est de rappeler constamment cette efficacité publicitaire sur le plan local pour se défendre.”

Pour appuyer son propos, Bruno Liesse épingle les résultats de cette étude sur l’efficacité publicitaire menée en 2021 par Lumen Research, une société britannique spécialisée dans la mesure de l’attention. Pour des spots classiques de 30 secondes diffusés en télévision linéaire, la proportion de vues effectives était de 27%, alors qu’elle descendait à 24% pour des pubs “inzappables” sur YouTube et à 18% sur Facebook. Une autre étude menée cette fois en 2022 pour VIA, l’association des médias audiovisuels belges, a démontré que le taux d’attention active sur la durée d’un spot n’était pas non plus le même selon le canal choisi : 51% pour les pubs diffusées en télévision linéaire contre 37 % pour les spots imposés sur ­YouTube.

Trouver l’équilibre

Malgré ces arguments qui peuvent faire pencher la balance en faveur des éditeurs locaux, le directeur de Polaris déplore toutefois le manque de soutien de certains acteurs de poids. “Comme dans toute guerre, il y a une résistance et des collaborateurs, regrette Bruno Liesse. Certains réseaux d’agences médias ont des deals internationaux avec les Gafam, ce que je comprends sur le plan économique, mais cela n’aide pas au protectionnisme local. Je trouve d’ailleurs que la mise en valeur des médias locaux concernés n’est pas suffisante.”

On se fait bouffer à deux ­endroits: les audiences et les recettes publicitaires qui vont de pair.” – Bruno Liesse (directeur de Polaris)

Un constat que ne partage pas Hugues Rey, CEO de l’agence Havas Belgique et aussi président de l’UMA, l’association belge des agences médias : “Je trouve simpliste de vouloir se trouver à tout prix un ennemi, tempère-t-il. Il n’y a pas de ‘meilleur réseau social belge’ et le meilleur moteur de recherche belge n’existe pas non plus. Les Gafam ou Mamaan existent et cela n’empêche pas de valoriser le travail local. C’est même un défi et une mission intéressante parce que c’est justement le défi de toutes les parties : certainement des médias, certainement des agences et certainement des annonceurs aussi. Il s’agit de faire un travail de répartition intelligente, sur la base de critères multiples, et certainement pas de tout miser sur Meta ou Alphabet. Ça ne suffira pas parce que nous avons besoin des médias locaux pour des aspects natifs, pour des aspects de qualité et pour des aspects de lien par rapport aux produits.”

Même si le nombre d’acteurs internationaux ne fait qu’augmenter autour d’un gâteau publicitaire belge qui, lui, ne s’agrandit pas ? “Dans un monde où, effectivement, le volume publicitaire va rester équivalent, mais dans lequel le consommateur vit aussi dans l’encombrement, ce sont ceux qui feront les démarches les plus volontaristes pour offrir les contenus les plus forts, avec la capacité de mieux cibler, qui se mettront en position de réussir. L’équation que nous menons est triple : c’est à la fois le contenu, dans le meilleur contexte possible, pour assurer la meilleure connexion, c’est-à-dire cette capacité de pouvoir rencontrer des publics. Et là, les médias locaux sont des partenaires essentiels parce qu’ils sont proches de nos consommateurs, parce que le contenu est là, et parce qu’on se trouve dans des contextes qui sont souvent à valeur ajoutée importante.”

Optimisme, oui mais…

L’air du temps serait-il donc, contre toute attente, à l’optimisme dans cette “vraie-fausse guerre” entre géants de la tech et éditeurs locaux ? “Je suis un optimiste de nature et je vois plutôt le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide, répond Yves Gérard, patron de RMB, la régie publicitaire de la RTBF.

Les médias linéaires restent résilients en Belgique, même si l’on sait qu’il ne faut pas non plus se mettre la tête dans le sable. On sait que le public jeune regarde de moins en moins la télévision linéaire, mais il revient quand même lors de grands rendez-vous en direct ou pour de l’événementiel, que ce soit pour une compétition sportive comme la Coupe du Monde de football ou l’Euro, ou pour de grands shows comme The Voice ou l’Eurovision. Il n’en reste pas moins que le travail de ‘liant’ avec les plateformes de streaming locales, comme Auvio par exemple, reste essentiel pour conquérir et fidéliser ces jeunes.”

Mais sur ce terrain-là aussi, les Mamaan se montrent de plus en plus gourmands. A côté de son offre d’abonnement avec publicité, Netflix s’invite, par exemple, de plus en plus dans le monde du sport pour négocier des exclusivités. Il y a deux semaines à peine, la plateforme américaine de streaming a ainsi officialisé un accord avec la NFL, la puissante ligue de football américain, pour retransmettre prochainement deux matchs en direct, le jour de Noël. Une première pour Netflix qui, jusqu’ici, s’était contenté de diffuser un tournoi caritatif de golf et une rencontre d’exhibition de tennis, mais pas encore une compétition officielle de la NFL. Avec, là aussi, une belle opportunité en termes de revenus ­publicitaires…

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