La révolution métavers aura-t-elle bien lieu?
Parler du métavers, ce n’est pas forcément toujours faire la promotion des produits d’une entreprise californienne en quête de monopole sur nos vies numériques. C’est aussi administrer une piqûre de rappel sur l’importance des changements à l’œuvre.
“Nous voyons le métavers comme une expérience virtuelle profondément immersive qui aura un impact majeur sur l’activité économique”, ont encore récemment affirmé les stratégistes de l’investissement chez UBS. Dans un rapport conjoint, les experts de la banque reine de la gestion de fortune ont initié la couverture du métavers en tant que thématique de placement sur le long terme. Hé oui, ce concept qui fleure bon les livres de science-fiction du 20e siècle, érigé en phénomène mondial par le géant Facebook devenu Meta fin 2021, serait promis à un grand avenir, malgré tout.
Malgré les pertes abyssales qui se creusent en milliards de dollars chaque année chez Reality Labs, la division métavers de Meta. Malgré les trop rares utilisateurs qui s’aventurent, ornés de leur casque de réalité virtuelle (VR) ou mixte (MR), dans les mondes alternatifs en dehors de l’énorme niche du gaming. Malgré les licenciements collectifs ayant frappé les jeunes unités dédiées au développement des métavers au sein de sociétés telles que Microsoft.
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Autant de signaux qui auraient pu laisser penser que le métavers est déjà mort-né. “Le fantasme d’un univers virtuel proche de la réalité nous a tous captivés et a agité la croissance des grands groupes de la tech, admet Matthieu Vercruysse, directeur Europe Middle East & Africa, strategy & transformation chez Ogilvy. L’idée d’univers virtuels immersifs dans lesquels les gens peuvent interagir, socialiser, jouer et travailler ensemble a été largement popularisée. En tout cas dans les pitchs, les présentations marketing des marques et également dans beaucoup de titres de presse. Mais l’usage réel, lui, est resté limité.”
Quel en sera l’usage à l’horizon de 10 ou 15 ans? On pourrait être surpris.” – Matthieu Vercruysse, directeur “EMEA strategy & transformation” chez Ogilvy
Concept encore évolutif
Cet usage serait toutefois appelé à s’améliorer et se répandre plus largement. Du moins si l’on retient qu’il est toujours nécessaire de distinguer les tendances avant de jauger l’adoption effective d’une technologie. “Les tendances macros sont les changements à grande échelle qui perdurent, même après les effets de mode, explique Matthieu Vercruysse. Par exemple, Facebook a commencé par un effet de mode vers 2009, avec Twitter dans la foulée. Résultat: aujourd’hui, nos manières de communiquer ont fondamentalement changé, peu importe notre usage réel de Facebook ou de Twitter.”
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En clair, si l’un ou l’autre métavers risque de faire long feu dans les prochaines années, ses caractéristiques lui survivront, sur lesquelles il ne paraît pas inutile de se pencher.
Retenons ainsi que les métavers se montreront tous itératifs, rythmés par les capacités techniques dont nous disposerons pour les visiter et interagir avec d’autres utilisateurs. Tantôt plateforme de jeu vidéo, tantôt salle de réunion, tantôt outil d’entraînement, tantôt musée accessible 24 heures sur 24: techniquement, le métavers a le potentiel d’ôter toute limite à notre imagination pour (ré)inventer des expériences numériques. “Ce sera le successeur de l’internet mobile”, avait prophétisé un certain Mark Zuckerberg au moment du rebranding opportuniste de sa multinationale.
Une vision enthousiaste, celle des progrès technologiques et sociétaux. “Le métavers représente autant d’opportunités de continuer à nous transformer en digitalisant nos vies, nos habitudes, nos pratiques de travail, ce qui semble une nécessité au lendemain de la crise sanitaire”, souligne Philippe Rodriguez, expert en fusions-acquisitions auprès d’entreprises technologiques et auteur de La Révolution métavers (éditions Dunod, 2022).
Déjà de nouveaux marchés
Dans ce registre, les technologies mobilisées par les métavers promettent en tout cas de nouvelles dimensions d’interaction entre mondes virtuels et physiques. Gartner, l’entreprise de conseil dans le domaine des techniques avancées, s’attend à ce qu’une personne sur quatre passe au moins une heure par jour dans un métavers pour le travail, le shopping, l’éducation ou le divertissement. Et cela dès 2026. “Le métavers va transformer le monde physique, tout en transportant ou étendant les activités physiques vers un monde virtuel”, affirme Marty Resnick, vice president analyst chez Gartner. Autrement dit, il appellera de nouveaux modèles commerciaux et de nouvelles opportunités d’affaires.
Il semble encore tôt pour estimer précisément la valeur marchande de ces mondes virtuels. Certains s’y sont risqués, devant décupler leurs prédictions d’une année à l’autre. Pour le cabinet de consultance McKinsey, l’écosystème des métavers pourrait peser jusqu’à 5.000 milliards de dollars. “Ce qui correspond à peu près à la taille de l’économie japonaise, la troisième au monde”, notait dernièrement Homayoun Hatami, senior partner du bureau parisien de McKinsey, prédisant une possible croissance exponentielle grâce à un alignement des forces, notamment l’attrait sans frontière de genres, de géographies et de générations. Sans compter toutes ces marques, de Nike à Louis Vuitton, en passant par Samsung et Coca-Cola, qui expérimentent le métavers et constatent un certain intérêt manifesté par des clients.
“Une punchline qui résonne bien en anglais, Internet won’t stay flat forever (internet ne restera plat pour toujours) annonce cette évolution: la recherche d’expériences 3D immersives, au-delà du 2D sur un écran d’ordinateur ou de smartphone, explique le directeur strategy & transformation, d’Ogilvy. Il est certain que le taux de pénétration auprès des gameurs restera en croissance. La question est donc ailleurs: quelle sera la vitesse de croissance pour d’autres secteurs: art, éducation, travail? Et quel en sera l’usage à l’horizon de 10 ou 15 ans? On pourrait être surpris.”
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Tels les vendeurs de pioches qui ont fait fortune pendant la ruée vers l’or, ce sont sans doute les fournisseurs de technologies qui, les premiers, devraient en profiter.
Révolution techno-économique
Pour l’instant, le métavers souffrirait d’un problème de perception. Difficile de mesurer l’opportunité à l’échelle individuelle et, a fortiori, à l’échelle d’une PME ou d’une plus imposante société, quel que soit son secteur d’activité. “On ne voit que les défis qui sont nombreux, les enjeux qui sont colossaux et les milliards qui sont investis dans cette révolution potentielle. Ce qui entraîne des questionnements légitimes sur la pertinence, le besoin réel et l’intérêt véritable du métavers”, écrit le journaliste Maxime Samain dans son premier livre Le Métavers, c’est quoi? (Mardaga, 2023). A ce titre, le métavers aura de l’intérêt s’il se rend utile et profite aux utilisateurs “même s’il ne prend jamais la forme que l’on imagine actuellement”.
D’où l’intérêt des réalités parallèles issues du gaming, à l’instar des célèbres jeux Minecraft et Animal Crossing qui rassemblent en ligne chaque jour des millions d’utilisateurs. Elles ont préparé le terrain numérique au métavers et les esprits aux possibilités d’une existence augmentée. “Même si le métavers n’est pas un jeu, ces mondes virtuels ont ouvert la voie à ce que nous prenions plaisir à disposer d’un double numérique de nos vies”, écrit Caroline Faillet dans Web3, la nouvelle guerre digitale (Dunod, 2022). “Fortnite organise des événements comme des concerts dans son univers virtuel et permet l’acquisition de skins, ces wearables qui sont des actifs numériques, exemplifie cette digital-entrepreneuse depuis plus de 20 ans. Roblox, de son côté, a introduit le sens du business chez les jeunes en permettant aux ados de créer et monétiser leurs propres jeux sur la plateforme. C’est le modèle play-to-earn.”
Le principe régissant l’émergence d’un nouveau produit, à savoir qu’un succès est toujours fonction de la satisfaction de la demande du marché, le demeure donc aussi pour l’adoption des métavers. Cette révolution technologique dépend de l’utilisateur, et peut-être même plus particulièrement de la communauté d’utilisateurs, pierre angulaire de cet internet 3.0.
Des utilités à monétiser
“Cette évolution du métavers par la collaboration de ses communautés peut prendre des formes diverses: construction ‘matérielle’ (bâtir des maisons, châteaux, routes, ponts) ou expérience (relation de travail, aventure commune), mais aussi participation à la gouvernance (créer une entreprise, une organisation politique, définir des règles)”, explique Philippe Rodriguez. “C’est la communauté qui devient le concepteur du contenu du métavers, résume-t-il. Les participants définissent eux-mêmes leurs buts, la finalité de leurs actions et la course de leur univers”. Bref, ils inventent leurs utilités, en sachant qu’utilité rimera sans doute avec rentabilité.
Selon toute vraisemblance, les métavers pourraient ainsi capter une part significative des dépenses mondiales en matière de divertissement et de publicité, et une partie des dépenses discrétionnaires des consommateurs. Reste à estimer combien ils coûteront. Le plein développement du métavers, et l’adoption qui en découlerait, nécessitera des investissements importants, à la fois en R&D et en capital. Les acteurs industriels historiques auront donc un rôle principal à jouer ; rares sont les entreprises capables d’injecter des milliards dans des projets métavers…
Tels les vendeurs de pioches qui ont fait fortune pendant la ruée vers l’or, ce sont sans doute les fournisseurs de technologies qui, les premiers, devraient en profiter. “Comme pour n’importe quel développement d’une nouvelle plateforme, les bénéficiaires seront ceux qui fournissent les technologies soutenant ces métavers”, confirment les stratégistes d’UBS. On pense notamment aux entreprises de puces et autres semi-conducteurs, les mondes virtuels nécessitant une demande substantielle de puissance informatique. Mais les éditeurs de logiciels de vidéo volumétrique et kits de modélisation 3D, de fabricants de moteurs graphiques, de serveurs, de capteurs, de modules pour l’internet des objets, etc., devraient tirer aussi leur épingle du jeu. “Alors que le concept du métavers existe depuis trois décennies, nous pensons qu’un certain nombre de technologies ont finalement atteint un niveau de maturité nécessaire pour une adoption commerciale plus large”, conclut UBS. Celles-ci devraient alors intégrer un cercle vertueux, dont profiteront ensuite les entreprises offrant l’expérience métavers aux utilisateurs qui, eux-mêmes, dégageront diverses opportunités accessibles à de nouveaux entrants, et ainsi de suite.
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