“Avec le métavers, on va un pas plus loin dans l’abandon de nos données privées”

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Pour Ingrid Poncin, spécialiste de la consommation et du marketing digital à la Louvain School of Management, le métavers, ce nouvel univers virtuel inventé par Meta (ex-Facebook), peut être un formidable outil de marketing tout en présentant des risques pour le consommateur. Entretien.

Le métavers se profile-t-il comme un nouveau temple de la consommation ?

Des expériences similaires de mondes virtuels ont déjà eu lieu il y a une dizaine d’années. Mais, elles n’ont pas pris l’ampleur que l’on pense que le métavers de Mark Zuckerberg pourrait avoir. Sa proposition d’univers virtuel pourrait changer la donne, en permettant principalement aux commerces et aux entreprises de faire vivre une expérience immersive totale aux clients. En offrant, à la différence d’un achat en ligne sur un site Web, une réelle présence sociale et une interaction avec le personnel du magasin. Par contre, je ne suis pas convaincue que tous les défis techniques en termes de qualité d’immersion sensorielle soient résolus à ce stade. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles plusieurs observateurs se montrent sceptiques par rapport au projet de Mark Zuckerberg.

Quels secteurs pourraient tirer profit de ce nouvel univers virtuel ?

Il y a de multiples implications marketing possibles pour différents secteurs. Notamment, tout ce qui touche à l’expérience, l’événementiel ou les services. Le potentiel est aussi énorme pour le monde de la mode. Même les secteurs de l’éducation et de la culture sont concernés.

Pour les marques, la nécessité sera de bien se profiler et d’être absolument présentes dès le début. Si ce métavers permet vraiment de créer un univers riche d’interactions qualitatives avec d’autres avatars, on pourrait envisager aussi la digitalisation de certains services, comme un rendez-vous avec son banquier.

Quels sont les mécanismes d’achat à l’oeuvre ?

Le fait d’acheter des vêtements, des équipements, ou même un logement dans le métavers, c’est exactement ce qui se passe déjà dans les jeux vidéo. Le principe est identique. Dans l’univers des jeux, le marché des biens et services représente des milliards. Les estimations les plus optimistes concernant le métavers de Meta montent à 800 milliards à l’horizon 2024.

Sur l’aspect “vitrine”, les mêmes mécanismes que ceux des réseaux sociaux comme Instagram ou Tik Tok sont en jeu. La différence est le niveau de personnalisation encore plus fort que le métavers pourra atteindre. En 20 minutes d’observation d’un avatar, on en sait déjà beaucoup sur lui, imaginez alors sur la longueur. La possibilité pour Meta d’obtenir une quantité extrêmement importante d’informations est élevée. L’utilisateur recevra des pubs de plus en plus personnalisées, mais aussi plus pertinentes.

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Vous évoquez un consommateur “plein de contradictions”, expliquez-nous ce paradoxe ?

Le consommateur est complexe. D’un côté, il apprécie la personnalisation qui lui permet d’avoir connaissance des biens qui lui correspondent le mieux, mais d’un autre côté, il n’a pas envie de lâcher ses données. Il ne veut pas en être réduit au profil que Facebook lui attribue et au stéréotype qu’il lui colle. Le plus important dans ce contexte est que le consommateur garde son libre arbitre dans ses choix. Il doit être bien informé sur les conséquences de participer à ce genre d’univers virtuel et être bien conscient de ce qu’il accepte en y mettant un pied.

Le consommateur est complexe. D’un côté, il apprécie la personnalisation qui lui permet d’avoir connaissance des biens qui lui correspondent le mieux, mais d’un autre côté, il n’a pas envie de lâcher ses données.

Un autre paradoxe est que le consommateur préfère généralement agir avec un humain qu’avec une intelligence artificielle. Il a une aversion, de base, pour la technologie même s’il sait que l’humain sera moins performant. Mais, on a remarqué que dans certaines situations un peu embarrassantes, comme l’achat de médicaments, le consommateur préfère parler à un chatbot, car il ne sera pas jugé par un de ses pairs. On comprend donc plus finement le phénomène. Des études ont aussi montré que la représentation de l’avatar, en tant qu’humain ou robot, modifie l’interaction. Si le consommateur est au courant des limites du chatbot, il n’aura pas d’attentes trop élevées, l’humain pourra alors prendre le relais. Une réglementation européenne visant à réguler l’IA est en cours d’élaboration pour que les entreprises soient transparentes et stipulent si un utilisateur dialogue avec un humain ou un robot.

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Le métavers présente-t-il des risques pour le consommateur ?

Meta aura la possibilité d’en savoir encore plus sur le comportement des personnes évoluant dans son univers. La société pourra en déduire leurs préférences. Dans la manière de se déplacer, Meta pourrait aussi deviner leur aversion au risque, par exemple, ou leur état de santé avec de possibles dérives à la clé.

Aujourd’hui, en acceptant les conditions générales de Facebook, vous acceptez de perdre le contrôle sur un grand nombre d’informations personnelles, c’est le même mécanisme qui est à l’oeuvre dans le métavers de Mark Zuckerberg. Et on va même encore un pas plus loin dans l’abandon de nos données privées. La question est : a-t-on vraiment envie de livrer toutes ces informations à une seule entreprise ? Tout le monde sait que Meta n’est pas une oeuvre de bienfaisance. Pour moi, c’est vraiment un gros risque de laisser autant de pouvoir dans les mains d’une seule société.

Voyez-vous des côtés positifs au métavers ?

Oui, son côté inclusif est très positif. Il permet de faciliter l’accès à la culture, par des visites virtuelles de musées et à l’éducation, grâce à des cours de musique immersifs par exemple. Mais, il y a un revers à cette médaille. Les règles qui régissent cet univers ne seront peut-être pas si inclusives si c’est une entreprise commerciale, en l’occurrence Meta, qui le maitrise.

Pour vous, le métavers est-il une utopie ou un projet réalisable à court terme ?

J’ai l’impression que Mark Zuckerberg est, pour le moment, dans un gros effet d’annonce. C’est un phénomène classique en marketing que de créer des attentes très élevées sur un projet. Il faut seulement être capable par la suite de les satisfaire, voire de les dépasser, afin de générer un bon niveau de satisfaction. On peut se demander si Mark Zuckerberg n’a pas créé des attentes trop élevées sur son métavers. Tout le monde est dans l’expectative, on en sait, au final, très peu sur son projet. Pour les marques, c’est un gros pari que d’investir aujourd’hui dans cet univers qui en est seulement à ses prémisses.

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