Des ouvriers aussi ­intelligents qu’Einstein… La robolution est-elle vraiment en marche?

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Des progrès phénoménaux sont attendus en matière d’IA. Ils devraient donner naissance à des ouvriers dotés de capacités intellectuelles plus élevées qu’un médecin ou que les meilleurs ingénieurs sortis du MIT. © Getty Images
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

L’explosion de l’intelligence artificielle anime énormément de débats et soulève d’innombrables questions. Mais elle emmène aussi avec elle une autre révolution, moins évoquée mais tout aussi importante : l’émergence des robots humanoïdes intelligents qui excitent la planète tech.

I’ll be back ! Le personnage robot campé, en 1984, par Arnold Schwarzenegger dans Terminator était-il visionnaire ? En tout cas, exactement 40 ans plus tard, la réalité semble lui donner raison: la thématique des robots humanoïdes n’a jamais été autant d’actualité. Si les grands titres de la presse se concentrent essentiellement sur les avancées étonnantes de l’intelligence artificielle générative et ses impacts sur de nombreux métiers, peu abordent encore l’étape d’après qui se profile pourtant : le nouvel âge d’or des robots à forme humaine.

Ces dernières semaines, le web a vu débarquer des tas d’images surprenantes témoignant des prouesses robotiques en constante évolution, qui ne sont ni de la science-fiction, ni des images de synthèse que pourraient créer les IA du moment. La vidéo du dernier robot de Boston Dynamics partagée voici trois semaines a d’ores et déjà attiré 5 millions de spectateurs sur YouTube. Et pour cause: ce robot fascine par sa souplesse. Allongé au sol, il est capable de se relever en fléchissant les jambes et en pivotant sur plusieurs axes, puis de se déplacer dans tous les sens. Totalement électrique, il s’affranchit de nombreux câbles externes et de son énorme “sac à dos”. Plus léger et flexible que jamais, le dernier-né de Boston Dynamics, firme rachetée en 2012 par Google, a fait un solide pas en avant. De même que 01, un robot mis au point par la start-up américaine Figure qui est capable tout à la fois de répondre à des questions, d’expliquer ce qu’il voit devant lui et de réaliser des tâches manuelles qu’on vient de lui suggérer. Le tout avec une fluidité étonnante.

Les robots excitent la Valley

Les prouesses et annonces de ce type se multiplient ces derniers temps. De même que les grandes manœuvres pour se faire une place sur le marché des robots humanoïdes que Goldman Sachs chiffre à plus de 38 milliards de dollars d’ici 2035.

L’IA est transversale et les robots qu’elle va habiter pourront être tour à tour domestiques et intellectuels de haut niveau.” – Laurent Alexandre

Ainsi, à la faveur d’une récente levée de fonds, la start-up Figure qui a pour vocation de fabriquer des robots capables de réaliser des tâches dangereuses, pas mal d’acteurs de la tech ont dévoilé leur intérêt pour des robots humanoïdes. En effet, la firme américaine a levé 675 millions de dollars (pour une valorisation d’environ 2 milliards) auprès d’acteurs pas si anodins: Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon (via son fonds Bezos Expeditions), aurait allongé 100 millions de dollars, aux côtés d’acteurs tels que Microsoft, OpenAI, Nvidia ou Intel.

De son côté, Elon Musk, l’intarissable patron de Tesla, a annoncé la mise sur le marché, d’ici 2025, d’Optimus, son robot humanoïde, tandis que Jensen Huang, le CEO de la nouvelle star de la tech Nvidia, a plusieurs fois déclaré que les robots pulluleraient dans les années à venir. Il a d’ailleurs décidé de placer Nvidia au cœur de cette révolution. Le géant valorisé plus de 2.000 milliards de dollars, qui s’est fait un nom dans l’IA grâce à ses puces, vient de dévoiler une plateforme matérielle et logicielle pour la construction de robots humanoïdes qui comprend des fonctions d’intelligence artificielle générative.

Car, au-delà des prouesses mécaniques qui entourent les robots toujours plus petits et plus agiles, ce qui agite beaucoup d’observateurs, c’est la possibilité de leur donner accès à l’intelligence artificielle générative. En effet, les évolutions de la robotique coïncident, actuellement, avec celles de l’intelligence artificielle. Sam Altman, le boss d’OpenAI (la firme derrière ChatGPT), et pas mal d’autres patrons de la tech ont bien identifié la tendance et veulent l’accélérer. Outre l’investissement dans Figure, OpenAI, le leader de l’IA générative, est en train de mettre en place des IA de nouvelle génération spécifiques aux robots. De quoi doper les capacités des robots humanoïdes, notamment dans le traitement et le raisonnement à partir du langage.

“Cette capacité de lier IA et robots a été largement sous-estimée, estime Laurent Alexandre, observateur de l’IA et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet. On a longtemps pensé qu’on aurait des robots spécialisés à capacités faibles, susceptibles de réaliser des tâches répétitives. Mais, en réalité, si on leur ajoute les modèles d’intelligence artificielle LLM (large language model, Ndlr), cela change totalement la donne.” Pour l’expert et futurologue, cela permet d’envisager la naissance d’un “robot ouvrier doté de capacités intellectuelles supérieures aux meilleurs polytechniciens”. Partant du principe que l’intelligence artificielle est déjà en mesure de traiter plus d’informations que les êtres humains, avec plus de précision et d’exactitude, cela laisse augurer d’importants bouleversements. A plus forte raison que les spécialistes de l’IA prédisent d’ores et déjà des progrès phénoménaux des IA dans les mois et années à venir, laissant entrevoir une “IA générale” bien plus tôt que prévu…

“Les robots auront à la fois la dextérité des métiers aujourd’hui manuels et les compétences cognitives d’une super-intelligence connectée à internet et à une infinité de capteurs leur donnant une perception du monde que nous ne pouvons nous figurer”, avançaient récemment Laurent Alexandre et Olivier Babeau dans une chronique du Figaro. Ce qui pourrait chambouler totalement le monde du travail. “Un ouvrier doté de capacités intellectuelles plus élevées qu’un médecin ou que les meilleurs ingénieurs sortis du MIT, rebat totalement les cartes du monde du travail, enchaîne Laurent Alexandre. Cela brouille les frontières entre le travail manuel et le travail intellectuel.”

Creepy. Boston Dynamics a récemment dévoilé son dernier robot humanoïde, capable de se relever avec une étonnante souplesse. © DR

Fini de penser par spécialités

Bien sûr, on peut s’interroger sur l’intérêt d’un robot laveur de vitres doté des mêmes facultés qu’un ingénieur de la Nasa. “Mais il ne faut plus voir les choses de cette manière, reprend Laurent Alexandre. Il faut sortir du paradigme de la spécialité des êtres humains. Nous sommes spécialisés parce que nos cerveaux sont limités. Mais il n’y a aujourd’hui plus aucune raison pour qu’une IA soit spécialisée : l’IA est transversale et les robots qu’elle va habiter pourront être tour à tour domestiques et intellectuels de haut niveau.” Transposé à l’univers du B to B, cela offrirait pas mal d’avantages. Car, au-delà de la dextérité en constante amélioration et l’accès aux IA, les robots présenteront d’autres avantages indéniables : “le robot peut bosser sans s’arrêter, 24h sur 24, sans pause et… sans grève”, souligne Laurent Alexandre qui ne “voit pas comment une entreprise qui veut survivre va préférer un humain à un robot habile, super intelligent et productif”.

Bien sûr, on n’en est pas encore à la généralisation des robots humanoïdes dans l’industrie, pourtant friande d’automatisation et de digitalisation. Mais l’intérêt est là. Plusieurs initiatives pionnières sont notables. Si Tesla a développé Optimus – son propre robot à forme humaine –, Amazon ou BMW testent des robots mis au point, respectivement, par Agility Robotics et Figure. Et pas plus tard qu’en mars, le spécialiste automobile Mercedes a noué un accord avec la firme Apptronik qui développe un robot humanoïde baptisé Apollo. L’objectif ? Déployer le robot dans les usines hongroises où le constructeur commencerait à manquer de main-d’œuvre, surtout pour des tâches lourdes et ingrates. Le robot servira à aller chercher, porter et ramener des pièces pouvant grimper jusqu’à 25 kilos sur les chaînes de production. A l’avenir, ce type de robot pourrait embarquer plus d’IA et jouer un rôle différent (celui d’expert stratégique? de contrôleur de la qualité ?) dans les usines durant les moments où on n’a pas besoin qu’il déplace des pièces…

OpenAI est en train de mettre en place des IA de nouvelle génération spécifiques aux robots.

La forme des robots

Reste une interrogation : a-t-on forcément besoin de robots à forme humanoïde ? Pour Dominique Mangiatordi, fondateur de AI5, agence liégeoise spécialisée en intelligence artificielle, “ils frappent les esprits du grand public, en raison de toute l’imagerie de science-fiction, mais les robots qui intègrent de l’IA existent et n’ont pas tous une forme d’être humain. Dans pas mal de cas, cela n’a d’ailleurs pas de sens. Les besoins les plus urgents aujourd’hui en matière de robotique ne requièrent pas spécialement une forme humanoïde. Ce n’est pas là qu’on va gagner en efficacité.” Il évoque les robots de Tevel, une firme israélienne ayant développé des drones volants dotés d’IA et capables d’identifier des pommes mûres dans des vergers et de les cueillir… Ou encore les robots chirurgiens, ultra-précis, qui n’affichent absolument pas de forme humaine.

Pour Laurent Alexandre, toutefois “les robots pourraient avoir des formes un peu différentes de celle des humains, néanmoins la forme avec des jambes, des bras et des mains, permettant de saisir des objets et de se mouvoir, est pratique et fruit d’une longue sélection darwinienne”.

D’ailleurs, les spécialistes voient dans les robots humanoïdes présents dans les usines, automobiles par exemple, l’avantage de pouvoir se déplacer et se faufiler, comme des humains, dans endroits relativement exigus sans nécessité de lourdes transformations ou d’adaptations des chaînes de production elles-mêmes.

Quant au frein budgétaire généralement évoqué pour minimiser le recours aux robots, il devrait progressivement disparaître. Tant Elon Musk que le patron de Nvidia ont estimé que le coût de tels robots allait considérablement fondre, pour atteindre les 20.000 voire les 10.000 dollars seulement. Un prix compétitif par rapport à un travailleur humain. A quelle échéance ? D’ici quelques années, d’après le boss de Nvidia. Un horizon de temps assez court… surtout pour le politique qui devrait, d’ores et déjà, mettre ce thème sur la table tant le nombre de métiers potentiellement impactés est grand.

38 MILLIARDS – 
En dollars, estimation du marché des robots humanoïdes d’ici 2035, selon Goldman Sachs.

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