Ce week-end qui a failli changer la face de l’IA

Sam Altman, d’OpenAI. © belga image

En un week-end, le boss d’OpenAI, la start-up la plus emblématique du moment, celle qui est derrière ChatGPT, a été licencié par son conseil d’administration et engagé par Microsoft, avant de revenir à la tête de sa boîte. Un vaudeville qui témoigne d’une grosse excitation sur le marché de l’intelligence artificielle, une technologie qui devrait changer la face de l’économie, voire de l’humanité.

Inconnu du grand public voici un an encore, Sam Altman, le cofondateur et CEO d’OpenAI, la structure derrière ChatGPT, a vu son nom s’inscrire au panthéon des grands patrons de la tech. En quelques jours, autour du week-end du 18 et 19 novembre, l’homme s’est retrouvé malgré lui au cœur de l’un des plus épiques feuilletons de la Sillicon Valley. Un feuilleton bien réel qui a failli lui coûter son poste de CEO. Du jour au lendemain, il en a effectivement été viré… avant de faire un retour triomphal à la tête de sa boîte et de lier intimement son nom à l’évolution de l’une des technologies les plus en vue du moment: l’intelligence artificielle (IA). Car son licenciement, les soubresauts qui s’en sont suivis et son retour étaient bel et bien de nature à changer la face de l’IA.

Rétroactes d’une saga rocambolesque. Vendredi 17 novembre à midi, Sam Altman participe à une visioconférence avec le board d’OpenAI. Il y apprend ni plus ni moins que… son licenciement. Officiellement, le patron “n’a pas toujours été franc dans ses communications avec le board, faisant entrave à sa capacité à remplir ses responsabilités”. Microsoft et Thrive Capital, les deux plus gros investisseurs, apprennent l’information 20 minutes plus tard, juste avant une communication officielle au monde entier. C’est la stupeur! Sam Altman est remplacé ad interim par la CTO, Mira Murati.

Les employés d’OpenAI sont furieux et soutiennent leur boss. Ces salariés ont de quoi être en colère: outre les conditions du débarquement de leur patron, toutes ces manœuvres perturbent également la vente en cours d’actions de la boîte à certains membres de son personnel. Autrement dit, ils pourraient passer à côté d’un joli pactole leur permettant de devenir multimillionnaires…

Embarquée sur la plupart de ses outils, l’IA d’OpenAI doit permettre à Microsoft de vendre ses produits plus cher. Elle pourrait, selon certains analystes, lui faire gagner pas moins de 100 milliards de dollars d’ici 2027.

Nadella à la manœuvre

En coulisse, Satya Nadella, le CEO de Microsoft et plus gros pourvoyeur de fonds de la firme derrière ChatGPT, cherche des solutions. Sa fébrilité ne transparaît pas mais la situation a de quoi lui déplaire puisqu’il a visiblement été mis devant le fait accompli alors qu’avec13 milliards de dollars d’investissement, Microsoft détient 49% d’OpenAI. Satya Nadella fait dès lors pression sur le conseil d’administration d’OpenAI… qui ne veut pas entendre raison et nomme rapidement au poste de CEO Emmett Shear, l’ancien dirigeant de la plateforme vidéo Twitch.

On n’est toujours que le dimanche 19 novembre et la grogne des employés continue à faire rage. Déjà, quelques grands noms de la firme prévoient de partir en même temps que Sam Altman, tandis que 700 des 770 employés seraient prêts à abandonner leur job dès le lundi matin. Au même moment, coup de théâtre: Satya Nadella, qui n’a pas réussi à faire réengager Sam Altman chez OpenAI, annonce que Microsoft va engager Sam Altman et une poignée des plus grands noms de ChatGPT pour fonder une entité indépendante au sein de Microsoft et destinée à préparer les prochaines évolutions de l’intelligence artificielle. Un coup de génie puisque cela permettrait à Microsoft d’internaliser, en quelque sorte, la recherche en IA, l’un des créneaux les plus prometteurs pour la croissance du géant de Redmond. Tout en continuant de profiter de ChatGPT et de toutes les nouveautés d’OpenAI en tant qu’actionnaire, Microsoft s’affranchit également de sa dépendance technologique vis-à-vis d’OpenAI qui équipe la plupart de ses célèbres outils (Word, Excel, PowerPoint, etc.).

En annonçant l’arrivée de Sam Altman, Satya Nadella sauvait aussi le cours de Bourse de Microsoft, qui frémissait face à l’incertitude à la tête d’OpenAI et qui aurait pu sérieusement pâtir de cette débâcle. Il faut dire que ces derniers mois, la firme fondée par Bill Gates avait mis le paquet pour faire savoir que les technologies d’IA mises en place par les équipes de Sam Altman allaient permettre à Microsoft de se tourner vers un futur radieux. Embarquée sur la plupart de ses outils, l’IA d’OpenAI doit permettre à Microsoft de rendre ses produits plus attractifs et de les vendre plus cher. Selon des analyses d’Everscore, un spécialiste de l’investissement, l’intégration de l’IA dans les produits de Microsoft pourrait lui faire gagner pas moins de 100 milliards de dollars d’ici 2027…

L’épilogue semble dès lors intéressant pour Microsoft qui, stratégiquement, sort renforcé de cette crise et qui évite de voir partir la figure la plus emblématique de l’IA chez un concurrent tel que Google ou Facebook. Pour Sam Altman, la solution s’avère aussi parfaite puisqu’en plus d’une nouvelle mission, il prend conscience de la valeur gigantesque qu’il représente sur le marché. Sans lui et ses équipes qui lui témoignaient leur attachement, l’avenir d’OpenAI semblait en effet compromis: Sam Altman aurait pu créer et diriger une entité d’intelligence artificielle indépendante de Microsoft, une structure concurrente d’OpenAI dans laquelle Microsoft n’aurait pas détenu “que” 49% mais bien 100%! Un coup de génie de Nadella.

La super-IA prétendument développée par OpenAI pourrait-elle menacer l’humanité?
La super-IA prétendument développée par OpenAI pourrait-elle menacer l’humanité? © Getty Images

Le chaos au sein de la “start-up” d’IA allait donc potentiellement permettre de rabattre les cartes sur le marché de l’intelligence artificielle. Mais… surprise, le mardi, soit le lendemain de l’annonce d’un engagement de Sam Altman chez Microsoft, OpenAI annonce le retour de l’ancien patron déchu! Les négociations s’étaient poursuivies et Sam Altman est de nouveau accueilli dans son entreprise et c’est le board qui sera remodelé.

A ce stade, les raisons exactes de cette crise restent cependant floues. Le communiqué officiel du conseil d’administration a évoqué un “manque de transparence”. Mais l’on n’en sait pas beaucoup plus. Si bon nombre d’employés ont affiché leur soutien à leur “big boss”, d’autres s’en sont visiblement détachés. Pour preuve, une lettre collective et anonyme d’anciens employés d’OpenAI, partagée sur X (ex-Twitter) par Elon Musk, patron de Tesla, SpaceX et X… et ancien associé de Sam Altman dans OpenAI, qu’ils avaient cofondée avec d’autres compères. Dans cette lettre (qui n’est plus disponible en ligne), les anciens collaborateurs de la firme soutiennent que pas mal d’employés ont été “virés de la boîte pour faciliter sa transition vers un modèle à but lucratif”. Il est vrai qu’à la base, OpenAI s’est lancée selon un modèle très particulier. L’entité fondée en 2015 par Sam Altman, Elon Musk, Ilya Sutskever et Greg Brockman nourrissait l’ambition d’encadrer les développements de l’IA dans le respect de l’humanité. L’entité avait pris la forme d’une société à but non lucratif afin de s’assurer qu’elle ne puisse être détournée de sa mission par l’appât du gain.

Mais les développements de l’IA la plus performante possible requéraient énormément de capacités de calculs… et donc de fonds. Une filiale “à profits limités” a alors été créée. Les anciens collaborateurs à l’origine de cette missive anonyme estimaient que Sam Altman et Greg Brockman avaient usé de tromperie et de malhonnêteté pour y parvenir. Selon ses accusateurs, Sam Altman aurait “ordonné au personnel informatique d’enquêter sur les employés à l’insu ou sans le consentement de la direction”. Ils soutenaient aussi que les deux hommes auraient déployé “une structure de gouvernance opaque”. Objectif? Veiller à ce que les équipes ne puissent contrôler les activités lucratives d’OpenAI et pouvoir avancer en toute autonomie sans rendre de comptes.

Sam Altman aurait mis sur pied un programme secret pour développer une IA en mesure de rivaliser avec les capacités cognitives des humains, une super-IA capable de raisonner par elle-même.

Ethique vs bénéfices

Plusieurs sources font état de cette problématique et de tensions palpables. D’un côté, le souhait d’évoluer et d’encadrer la technologie pour le meilleur au niveau sociétal. De l’autre, celui d’engranger les succès économiques et de viser la croissance. Les deux grandes tendances se seraient progressivement cristallisées au sein de la structure avec, d’une part, le conseil garant d’un développement éthique, prudent et responsable de cette technologie d’intelligence artificielle qui pose pas mal de questions sociétales; et de l’autre la direction, donc Sam Altman, dont la vision consiste à pousser sur l’accélérateur pour répondre aux souhaits des actionnaires, développer au plus vite et générer le plus de revenus possible tout en imaginant de puissantes évolutions pour l’intelligence artificielle.

Les tensions ont visiblement précipité le départ de plusieurs membres éminents du conseil: Reid Hoffman, le cofondateur de LinkedIn, Shivon Zilis, à la tête de Neuralink, et Will Hurd, un ancien élu texan. Les deux visions se seraient donc bel et bien affrontées depuis plusieurs mois déjà dans les instances dirigeantes d’OpenAI.

Et il se pourrait qu’en plus, le CEO de la boîte ait bel et bien conservé quelques “petits” secrets. Selon des informations de Reuters, Sam Altman aurait en effet mis sur pied un programme secret baptisé Q* (pour Q-Star). Son objet? Le développement d’une intelligence artificielle qui serait en mesure de rivaliser avec les capacités cognitives des humains et s’approcherait d’une “AGI”, à savoir une “artificial general intelligence”, genre de super-intelligence artificielle capable de raisonner par elle-même. Une découverte majeure aurait été réalisée par une équipe d’OpenAI en ce sens et certains chercheurs auraient écrit une lettre au conseil d’administration d’OpenAI pour les informer de ce projet susceptible, selon eux, de “menacer l’humanité”… De quoi expliquer le “manque de transparence” évoqué par le conseil d’administration de la firme pour licencier son emblématique CEO. On comprend par contre moins les raisons qui l’ont poussé à accepter son retour. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’aujourd’hui plus que jamais, le monde entier a les yeux rivés sur Sam Altman et sur les développement de cette éventuelle super-intelligence…

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