Willy Borsus, ministre wallon de l’Economie: “Je n’aime ni le Wallonia bashing, ni le Wallonia dreaming”

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Olivier Mouton

Le ministre libéral évoque un bilan en demi-teinte de la situation économique et mesure le chemin qui reste à accomplir. La priorité reste de faire grimper le taux d’emploi et d’activité. De nouvelles réformes s’imposeront. La mobilisation n’est pas assez générale.

La fin de législature est chargée pour Willy Borsus. La compétence agricole l’a mené d’une réunion à l’autre, alors que la présidence belge de l’Union européenne induit de nombreux devoirs. Et les derniers textes doivent être finalisés pour le Parlement.

Le minis­tre libéral reçoit Trends-­Tendances à Namur pour évoquer longuement la santé d’une Région qu’il ne voit ni préoccupante, ni réjouissante. Etat des lieux nuancé et argumenté.

TRENDS-TENDANCES. Comment va la Wallonie, alors que la fin de la législature approche? Selon vous, est-elle en meilleur état qu’il y a quatre ans?

WILLY BORSUS. Il y a des points positifs à souligner, même si, dans le même temps, il faut être lucide par rapport aux éléments qui ne vont pas. Dans ce qui fonctionne bien en Wallonie, il y a incontestablement le volet innovation. Nous sommes considérés comme une Région forte au niveau européen. Nous investissons 3,6% de notre produit intérieur brut (PIB) en recherche et développement. Ce pourcentage est en progrès ces dernières années. Seuls trois autres pays ont dépensé davantage que 3% du PIB. Cela ouvre des pers­pectives pour la Wallonie en matière de création d’activités.

En d’autres termes, on prépare l’avenir?

Oui, et ce ne sont pas des intentions, ce sont des réalités dans les budgets. Dans le cadre du plan de relance de la Wallonie, 728 millions d’euros complémentaires ont été débloqués, en plus des 245 millions que l’on accorde chaque année. Cette image de région innovatrice n’est pas suffisamment perçue à l’extérieur.

Borsus Willy est vice-president de la region wallonne © Belga

La deuxième évolution positive, c’est la progression spectaculaire de toute une série de secteurs, dont certains sont reconnus au niveau européen, voire mondial. Je pense aux biotechs et à la pharma, qui représentent près de 20.000 emplois directs, rien qu’en Wallonie, auxquels s’ajoutent 50.000 emplois indirects. C’est une masse considérable. J’ajoute l’aéronautique et l’espace, avec pas mal de fleurons comme la Sonaca, Safran Aero Boosters, Aerospacelab et tant d’autres. Je n’oublie pas la logis­ti­que, l’agroalimentaire ou la défense, ainsi que de nos deux aéroports dont on n’aurait pas imaginé un tel développement.

Ce qui fonctionne bien encore, c’est la force de frappe de notre système d’accompagnement économique, avec l’outil fusionné Wallonie Entreprendre ou le maillage de nos invests locaux, Noshaq et d’autres. Ce sont des interlocuteurs considérés comme sérieux et professionnels par les entreprises. Je mets aussi dans cet écosystème l’Awex pour l’aide aux exportations. La réhabilitation des friches industrielles est un autre élément positif de cette légis­lature: une dynamique s’est enclen­chée, on le voit sur le site d’Arcelor Mittal en région liégeoise, de Carsid à Charleroi ou de BASF à Feluy.

Ce que l’on sait moins, aussi, c’est que l’on crée pas mal d’entreprises en Wallonie: le nombre était de 24.668 en 2020, il était de 30.563 en 2022. En création nette, intégrant les fermetures, on a un solde net positif supérieur à 10.000. Il y a un esprit d’entreprise qui évolue en Wallonie.

En création nette, intégrant les fermetures, le nombre d’entreprises affiche un solde net positif supérieur à 10 000.”

C’était un de vos grands défis…

Exact. Avec le programme Générations Entreprenantes, nous avons l’ambition de sensibiliser d’ici 2025 100.000 jeunes, du primaire à l’université, à l’esprit d’entreprise avec des incubateurs étudiants ou des mini-entreprises.

La culture wallonne évolue vraiment?

Manifestement, quelque chose se passe.

Vous avez souvent dit que la clé pour la Wallonie serait de concrétiser l’essai: on crée pas mal d’entreprises, oui, mais on ne parvient pas à les faire grandir. N’est-ce pas le souci majeur?

Dans votre constat, il y a deux volets importants. Tout d’abord, nous avons trop peu d’emplois privés, proportionnellement, par rapport à la Flandre ou d’autres régions de ce type. Ensuite, la taille de nos entreprises est plus petite qu’au nord du pays: elles emploient chez nous, en moyenne, neuf personnes. C’est un double enjeu. Nous devons créer plus d’activité, davantage de gens doivent se lancer comme entrepreneurs et nos entreprises doivent grandir, le tout pour faire croître cette part d’emplois privés.

Je ne dis pas que l’emploi public ou parapublic n’est pas pertinent. Mais sur le plan socioéconomique, la part d’emplois privés doit grandir pour alimenter l’économie, la solidarité et les recettes publi­ques. C’est l’enjeu majeur.

La part d’emplois privés doit grandir pour alimenter l’économie, la solidarité et les recettes publiques.”

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N’est-ce pas précisément là que la Wallonie reste loin de ses objectifs?

C’est le premier point négatif, c’est vrai. Le taux d’emploi et le taux d’activité sont en dessous de ce qu’ils devraient être, même s’ils sont en augmentation légère. Le taux d’emploi se situe autour des 65,7%, mais c’est une moyenne: il y a des sous-régions où moins d’une personne sur deux travaille. Ce qui est une véritable catastrophe, soyons clair! Remédier à cela doit être notre priorité absolue.

Cela rejoint cette volonté de concrétiser l’essai dont nous parlions…

Exact. Mais ce n’est pas tout. En Wallonie, il y a 158 métiers qui sont soit en pénurie, soit sous tension. Il y a aujourd’hui près de 39.000 emplois vacants dans notre Région. Avoir un taux d’emploi faible et de telles pénuries, cela illustre un décalage évident. Il y a autour de 220.000 demandeurs d’emploi inoccupés en Wallonie, dont environ 93.000 le sont depuis plus de deux ans! Le choc est frontal entre les deux réalités.

Des milliers d’emplois vont s’ouvrir dans les domaines technologiques de toutes natures.”

L’enjeu de la formation, mais aussi de la simple remise à l’emploi, est crucial?

Il y a un problème de formation initiale et d’orientation. Je suis très favorable au développement de l’alternance, des stages en entreprise, l’appétit pour les métiers techniques, manuels ou du digital. Les études d’Agoria montrent que des milliers d’emplois vont s’ouvrir dans les domaines technologiques de toutes natures. Nous devons amener beaucoup plus de jeunes vers ces filières. Par ailleurs, l’accompagnement, la formation et la reconversion des demandeurs d’emploi est l’autre priorité.

Dans bien des cas, il faut même leur réapprendre les compétences de base, disent les acteurs de terrain.

Bien sûr, les fameuses soft skills: le fait de pouvoir respecter un horaire, d’avoir un minimum de compétences, de respecter un cadre, etc. Pour certaines personnes, il faut tout simplement les réconcilier avec la volonté de travailler. C’est une minorité, j’insiste, mais un certain nombre de personnes ne font pas les efforts nécessaires. C’est devenu insupportable pour les autres! On peut avoir de la compréhension pour les autres, ceux qui font des efforts ou suivent une formation, mais pas pour ceux qui n’agissent pas. Je suis nuancé dans mon propos. Il faut travailler sur tous les niveaux, dont la formation, mais pour ceux qui ne semble pas le vouloir…

Il faut sanctionner?

Très clairement, même si ce n’est pas une fin en soi.

Après deux ans de chômage?

Je suis favorable à deux dispositions de nature différente. La première, c’est que si une personne refuse à deux reprises une formation adéquate à son profil ou un emploi convenable – des règles fédérales existent en l’espèce –, alors elle est sanctionnée. La deuxième, c’est que si une personne se trouve au chômage depuis deux ans, alors le chômage s’arrête et est remplacé par un mécanisme de solidarité différent. Cela me semble normal, c’est un signe que l’on doit donner non seulement au marché du travail et aux personnes elles-mêmes, mais à la société dans son ensemble. Chacun doit faire ce qu’il peut, en fonction de ses possibilités bien sûr.

Une autre préoccupation, c’est que nous avons un taux de pauvreté ou de risque de pauvreté beaucoup trop élevé. Quelque 17,8% de la population wallonne est concernée par cette réalité. C’est énorme! Une personne sur six que vous croisez dans la rue est potentiellement concernée. C’est intolérable pour une société qui a de l’ambition pour elle-même et pour ses concitoyens. Cela doit mobiliser n’importe quel responsable politique, mais c’est évidemment lié, pour partie du moins, au taux d’emploi.

Nous avons un taux de pauvreté ou de risque de pauvreté (17,8%) beaucoup trop élevé.”

Les institutions et structures wallonnes ne sont-elles pas trop complexes?

En dépit de certains efforts de rationalisation, nous gardons une structure institutionnelle trop complexe, avec de multiples intervenants, des associations et organismes en tous genres. C’est une lasagne trop compliquée. Oui, on doit simplifier le paysage wallon. Rien qu’en matière de formation, il y a les cen­tres d’insertion socio-professionnelle (Cisp), les missions régionales pour l’emploi (Mire), les ALE, les entreprises IDES pour l’emploi dans les services de proximité, les articles 60 ou encore les Territoires zéro chômeur de longue durée, avec une version fédérale également.

C’est illisible, non?

Le trop est l’ennemi du bien. Cela affecte la lisibilité, mais aussi l’efficacité des dispositifs. Je pourrais tenir le même discours dans d’autres domaines. Lors de la prochaine législature, nous devons faire un effort de rationalisation. Je plaide d’ailleurs pour que cet effort porte sur le nombre d’institutions, mais aussi d’acteurs politiques. Nous étions auparavant dans un gouvernement avec sept ministres, c’est tout à fait possible à l’échelle de la Wallonie. Notre Parlement compte 75 députés, il pourrait en compter 55 ou 60 en jouant pleinement son rôle. Cela vaut aussi pour les intercommunales.

Le lien entre Région wallonne et Fédération Wallonie-Bruxelles doit-il être revu?

Nous plaidons en faveur d’un schéma à deux niveaux. Le premier, c’est une plus grande intégration entre les gouvernements wallon, bruxellois et de la Fédération. Il n’y aurait plus de ministres communautaires à part entière à la Fédération: à part le ministre-président, les autres ministres viendraient des Régions.

D’autre part, ne devrait-on pas transférer des compétences, comme la formation?

Le deuxième niveau, ce serait effectivement l’optimalisation des compétences dans l’espace francophone. Certaines frontières sont incompréhensibles: le patrimoine dans sa version immobilière, par exemple, est de compétence régionale, mais le patrimoine mobilier est du ressort de la Fédération. La formation en alternance est du ressort de la Région pour l’IFAPME, mais de la Fédération pour les CFA. Entre francophones, on pourrait exercer les compétences de façon plus cohérente au service des gens.

La situation budgétaire wallonne est préoccupante. Un plan pluriannuel est en vigueur, mais est-ce un danger pour la Région?

On doit traiter le budget et l’endettement wallon avec la plus grande précaution. Je félicite notre minis­tre Adrien Dolimont (MR, comme lui , Ndlr) pour la façon dont il a pris en charge ce département. Tout le gouvernement est d’accord sur cette nécessaire rigueur. Une commission d’experts de la dette, présidée par Jean Hilgers et composée de professionnels de haut niveau, a fixé la trajectoire à suivre et les économies à réaliser pour que la dette soit soutenable. Nous continuerons à respecter strictement ce message. Tout en respectant ces balises, il faut continuer à travailler sur le développement socioéconomique de la Wallonie. C’est l’autre plateau de la balance. Quand on génère de l’activité, on perçoit des recettes supplémentaires, au moins indirectes: 24,9% de l’impôt des personnes physiques payé au fédéral revient à la Région, sans oublier des charges de transferts sociaux qui diminuent.

Willy Borsus, ministre wallon de l’Economie

Cette législature a été compliquée à cet égard avec le PS et Ecolo: vous parliez de sanctions à l’encontre des chômeurs, on sait que cela fut impossible de le décider avec eux. Avez-vous prêché dans le désert?

Je pense que nous avons respecté scrupuleusement notre accord de gouvernement et la déclaration de politique fédérale. Soyons transparents: nous sommes des partis qui, sur certains points, ont des positions franchement opposées. Mais globalement, nonobstant ces différences, le gouvernement a fait le job, ce qui était loin d’être gagné d’avance. Ce n’était pas acquis non plus parce que ce gouvernement a été confronté à des crises et à des chocs externes incroyablement importants. Six mois après la formation du gouvernement wallon, en février 2020, la crise du covid a débuté, avec un impact considérable.

Lorsque l’on parle de la dette wallonne, je me permets de rappeler que rien que dans mon département, nous avons accordé plus d’un milliard d’euros d’aides direc­tes aux entreprises. Voulait-on que l’on reste les yeux fermés face à la détresse de nos citoyens et des entreprises? J’assume ce choix et je le referais. Et cette crise n’a pas été la seule: il y a eu ces terribles inondations de juillet 2021 en Wallonie, qui coûteront plusieurs milliards au total, puis celle de l’énergie liée aux conséquences de la guerre que la Russie mène de façon abominable à l’Ukraine. Cette législature a été secouée.

C’est une leçon? Plus que jamais, le politique doit gérer des crises?

C’est en tout cas une leçon dans le sens où indépendamment de tout ce que l’on met en chantier, des éléments externes viennent lourdement impacter nos plans. Ceci n’enlève rien au fait que nous avons poursuivi nos réformes en ce qui concerne les aides à la recherche, à l’investissement, la rationalisation des outils… tout ce qui est structurant.

Regrettez-vous un “Wallonia bashing” trop important? Les économistes Etienne de Callataÿ et Geert Noels ont, récemment encore, critiqué le “laxisme” des autorités en Wallonie…

Je ne suis ni d’accord avec le “Wallonia bashing”, qui est injuste, mais je ne suis pas d’accord non plus avec une forme de “Wallonia dreaming” laissant entendre que tout va bien, madame la marquise. Le “Wallonia dreaming”, c’est faire en sorte que l’on trouve toujours une statistique pour montrer que la situation n’est pas aussi mauvaise que ce que l’on pense. Les chiffres et les analyses montrent que la réalité est entre les deux, je viens de le démontrer.

C’est un constat lucide qui permet d’agir?

C’est évidemment une analyse fondée par rapport à ce que l’on doit faire. Nous devons investir dans la formation, la recherche, l’innovation, la transition, les personnes qui créent de l’activité, etc. Une équipe de football qui monte sur le terrain en se disant qu’elle ne va pas gagner ne gagnera jamais. Si une même équipe croit en ses atouts et sa stratégie, elle a davantage de chances.

La mobilisation générale des forces vives, que vous appeliez de vos vœux, est-elle suffisante?

Il y a, partiellement, une mobilisation quand je vois la dynamique de nombreuses entreprises, de coopératives, etc. Chapeau! Est-elle suffisante et généralisée? Non! Il reste encore beaucoup de ressources à mobiliser, de réformes à mener. Le chantier reste considérable.

Profil
· 1962: Naissance à Pessoux
· 1994: Bourgmestre de Somme-Leuze
· 2004: Député wallon
· 2011: Participe au groupe Renaissance avec Charles Michel
· 2017: Ministre-­président wallon jusqu’en 2019
· 2019: Ministre de l’Economie, de la Recherche, de l’Aména­gement du territoire et de l’Agriculture

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