Aéroport de Liège: le bras de fer Ecolo-MR

aéroport de Liège
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A l’avenir, plafonnera-t-on les activités économiques pour faire face au défi climatique? Les écologistes voient dans l’accord sur l’aéroport de Liège une jurisprudence en ce sens, à confirmer pour l’aéroport de Charleroi. Les libéraux contestent.

Durant des semaines, écologistes et libéraux se sont opposés sur le renouvellement du permis d’environnement de l’aéroport de Liège. Les uns défendaient les contraintes climatiques et environnementales, les autres un indispensable développement économique. Un choc frontal. Le 30 janvier, un compromis a été trouvé, sur le fil, mais la lecture même de l’accord suscite des interprétations différentes. C’est l’illustration parfaite d’un bras de fer qui est appelé à se reproduire.

Au sein d’Ecolo, un sentiment prévaut: plus rien ne sera jamais comme avant. Le plafonnement de l’activité pour des raisons climatiques serait un précédent qui servira pour l’avenir. Leur regard est déjà tourné vers d’autres dossiers. Notamment sur le renouvellement du permis d’environnement de l’aéroport de Charleroi en 2025. Les libéraux soutiennent une approche davantage pragmatique. Voici les expressions fortes de cette incompréhension politiquement calculée.

Ecolo: “Une jurisprudence climatique”

Le compromis liégeois, une première? “Le symbole et la force politique de cet accord, c’est que l’on a plafonné une activité industrielle pour des raisons climatiques et environnementales, se félicite le député Ecolo Olivier Bierin, interrogé par Trends-Tendances. C’est la première fois que cela arrive et c’est une jurisprudence sur laquelle nous nous appuierons.”

CÉLINE TELLIER (ECOLO)
CÉLINE TELLIER (ECOLO)© BELGAIMAGE

Aujourd’hui, on ne peut plus avoir une activité économique qui fait fi des enjeux climatiques. Ce serait une erreur de ne pas anticiper l’adaptation indispensable de notre modèle économique

Céline Tellier, ministre Ecolo de l’Environnement, ne disait pas autre chose en évoquant l’accord sur l’aéroport de Liège en des termes plus larges: “Nous allons ici écrire l’avenir d’un secteur qui intègre les enjeux climatiques et le bien-être des citoyens tout en lui permettant de se développer. Aujourd’hui, on ne peut plus avoir une activité économique qui fait fi des enjeux climatiques. Ce serait une erreur de ne pas anticiper l’adaptation indispensable de notre modèle économique”.

Quitte à utiliser des images fortes pour faire pression, les écologistes comparent souvent l’activité portuaire à celle de la sidérurgie. “Nous le faisons sciemment, acquiesce Olivier Bierin. Certains utilisent l’argument du chantage à l’emploi pour s’opposer à ce plafonnement d’activité, mais si nous n’anticipons pas les évolutions inéluctables de régulation du secteur au niveau européen, nous préparons le terrain pour des drames sociaux bien plus graves encore.”

La nécessité de réduire la voilure de certaines activités pour limiter les émissions de CO2 sera au coeur de bien des débats ces prochaines années. Le sociologue Jean-Marc Jancovici, auteur de la bande dessinée à grand succès Un Monde sans fin, ne souligne-t-il pas à qui veut l’entendre qu’il sera inéluctable de consommer moins, de voyager moins, de changer ses comportements en adoptant une forme de décroissance? Ecolo aurait obtenu une avancée en ce sens. Une victoire politique.

MR: “Un développement raisonné”

Ce n’est pas vraiment le sentiment qui prévaut du côté libéral. Willy Borsus (MR), ministre wallon de l’Economie, évoque la nécessité d’un “développement raisonné” mais refuse de parler d’une jurisprudence climatique. “Tout d’abord, précise-t-il à Trends-Tendances, la Wallonie doit se développer. Le taux d’emploi est trop faible, le taux de précarité trop élevé. Ensuite, je reviens sur les termes de l’équilibre sur lequel nous nous sommes entendus. Il était important d’entendre les préoccupations exprimées par les riverains dans les enquêtes publiques. Une large majorité des expressions dénonçait les nuisances sonores liées à certains types d’avions. Nous en avons tenu compte en limitant, à l’horizon 2030, les vols de nuit des avions les plus pollueurs à cet égard, à savoir les Boeing 747-300. J’étais partisan de cela. Mais pas d’une jurisprudence climatique.”

La nécessité d’obtenir un permis d’environnement pour mener à bien une activité est effective depuis une vingtaine d’années en Wallonie. Depuis toujours, les débats concernent les risques de pollution du sol, les nuisances pour les riverains, le niveau sonore… En d’autres termes, ce que l’on a fini par ramasser sous le terme de phénomène Nimby (not in my backyard, pas dans mon jardin). On resterait dans ce cadre finalement “classique”, selon le MR.

WILLY BORSUS (MR)
WILLY BORSUS (MR)© BELGAIMAGE
Va-t-on créer une jurisprudence climatique au départ d’un aéroport de Wallonie? C’est une illusion. Ce n’est pas notre Région qui va peser sur l’ensemble des mouvements d’avions en Europe et dans le monde.

L’équilibre de l’accord, prolonge Willy Borsus, tient également compte de l’ensemble des activités générées par l’aéroport et des 10.200 emplois qui y sont liés, dont 80% à temps plein. Certes, l’accord prévoit un plafonnement pour éviter les nuisances, mais il intègre aussi la possibilité de demander un complément à ce permis d’environnement si le développement le nécessite. Bref, il y aurait une clause susceptible de relancer le débat si le développement l’exigeait.

Va-t-on créer une jurisprudence climatique au départ d’un aéroport de Wallonie? C’est une illusion, estime le ministre libéral. Ce n’est pas notre Région qui va peser sur l’ensemble des mouvements d’avions en Europe et dans le monde. Limiter chez nous, cela resterait sans effet car d’autres augmenteraient leur volume.” D’ailleurs, en cas de régulation plus stricte, confirme le ministre, certains opérateurs étaient prêts à changer d’aéroport européen pour poursuivre leurs activités. “Et d’après ce que l’on a entendu, certains étaient prêts à les accueillir à bras ouverts.”

Une régulation plus stricte? Cela doit se décider au niveau européen ou international, dit-il.

Charleroi, la prochaine cible d’Ecolo

Lorsqu’il évoque une “jurisprudence” qui pourrait faire des émules, Ecolo invoque explicitement une échéance importante: le renouvellement du permis d’environnement de l’aéroport de Charleroi. Après le fret, place au trafic des passagers. “C’est le dossier à venir le plus emblématique, son permis doit être renouvelé en 2024-2025, souligne le député Ecolo. C’est clairement un autre exemple qui nécessiterait un plafonnement de l’activité en raison de l’impact climatique.”

Une certitude: si un tel plafonnement d’activité pouvait à nouveau être décidé dans le futur, ça serait le fruit d’un nouvel accord entre partis, obtenu à l’arraché. “C’est le fruit d’un débat démocratique, insiste Olivier Bierin. On peut évidemment présenter ça de manière péjorative comme un compromis politique. Mais on peut aussi le voir comme un point d’équilibre entre deux logiques qui s’affrontent, l’une ne se souciant que du développement économique, l’autre mettant davantage l’accent sur l’impact écologique et les émissions de CO2. C’est le fruit de ce rapport de forces.”

Brussels Airport à Zaventem devra, lui aussi, obtenir un nouveau permis d’environnement d’ici le 8 juillet 2024. Les débats risquent d’être tendus également mais l’aéroport étant situé à Zaventem, en Flandre, ils devraient se limiter à un débat… entre Flamands.

Le bras de fer entre verts et bleus est de mise au nord du pays également. On parle là davantage d’un risque lié à une augmentation substantielle des émissions de CO2 et de NOx, une forme d’azote réactif.

MR: un aéroport “d’une autre nature”

Pour le MR, pas question de prendre le compromis sur Liège comme une copie susceptible d’inspirer ce qui pourrait suivre. “L’échéance pour ce renouvellement est bien 2025”, précise Willy Borsus. En d’autres termes, le dossier atterrira sur la table… du nouveau gouvernement, après les élections.

“Il s’agit d’un aéroport d’une autre nature, ajoute le ministre de l’Economie. Ce ne sont pas des vols cargo, mais bien de passagers. Il y a déjà des structures horaires différentes, avec des vols limités la nuit et d’autres types d’appareils.” Pas question, donc, de lier un dossier à l’autre.

Le libéral insiste aussi sur un autre type de réponse à apporter aux enjeux environnementaux et climatiques dans le cadre des aéroports. Là où l’on rendra service au climat, c’est en travaillant sur des motorisations moins consommatrices de carburant, avec des matériaux moins lourds, des alternatives au carburant, le développement de l’intermodalité…” En d’autres termes, l’innovation peut générer des solutions et des emplois. “C’est du concret en Wallonie, ajoute Willy Borsus. Tapez Wings sur Google et vous verrez tout le programme développé avec les entreprises du secteur.” Walloon Innovations for Green Sky (Wings) a pour mission de développer une industrie aéronautique ambitieuse et durable.

Au Soir, le libéral résumait: “Pas de retour au temps des grottes pour la Wallonie”. Ecolo constitue-t-il une menace? “Je ne juge pas les autres, j’essaie surtout d’expliquer ma vision”, nous répond-il.

Dans les rangs libéraux, on ne cesse pourtant de dénoncer le manque de logique écologiste. Ce tweet d’un ingénieur a, par exemple, été relayé par Georges-Louis Bouchez, président du MR: “Il est étonnant de voir les écologistes s’insurger contre la pollution engendrée par l’aéroport de Bierset et pas contre la fermeture de Doel 3 et Tihange 2, alors que c’est comme si le trafic aérien venait de tripler avec la fermeture de ces deux réacteurs”.

Comme s’il s’agissait de boucler la boucle, quelques jours après l’accord sur l’aéroport de Liège, le gouvernement fédéral s’accordait pour demander une prolongation de trois réacteurs nucléaires supplémentaires après ceux de Doel 4 et Tihange 3. Comme une façon de montrer que la roue tourne, toujours.

Boucle du Hainaut: compromis… entre écologistes

Le jeudi 2 février, le gouvernement wallon a déminé un autre dossier sensible: celui de la “boucle du Hainaut”, en donnant le feu vert aux révisions des plans de secteur. Ce projet d’infrastructure d’Elia doit acheminer l’électricité produite par l’éolien offshore à l’intérieur des terres. Mais de nombreux riverains s’y opposent et ont développé, avec l’ASBL Revolth, un projet alternatif enfoui dans le sol et basé sur de nouvelles technologies. Le gouvernement wallon laisse la porte ouverte pour intégrer des alternatives sur certaines parties du tronçon. Un compromis, là aussi.

“C’est un dossier plus classique que celui de l’aéroport de Liège, où l’on doit tenir compte des nuisances pour les riverains, souligne Olivier Bierin (Ecolo). Cette infrastructure est nécessaire pour la transition énergétique et le climat mais il faut en minimiser l’impact sur le paysage, en termes d’émission d’ondes…”

En somme, Ecolo doit concilier les deux contraintes qui le préoccupent. Au sein de l’ASBL Revolth, en tout cas, on ne baisse pas la garde. “Nous continuerons notre combat de David contre Goliath”, souligne sa porte-parole, Marie Reman. Des recours risquent de pleuvoir. Comme une illustration de la difficulté de concilier développement économique, transition énergétique et qualité de vie.

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