Qui sera le champion de 
la taxe des millionnaires?

Raoul Hedebouw - HATIM KAGHAT/BELGA MAG/AFP via Getty Images) © BELGA MAG/AFP via Getty Images
Baptiste Lambert

Face à ce qu’ils considèrent comme une cure d’austérité, les partis de gauche dégainent chacun 
leur “taxe des millionnaires”. Au point de se faire concurrence. A partir d’un, deux, cinq millions d’euros 
de patrimoine… qui dit mieux ?

Le PTB a surpris en indexant sa taxe des millionnaires de 1 à 5 millions d’euros. Le voilà maintenant accusé de se “ramollir” par le PS, dont le président, Paul Magnette, s’est laissé emporter, mercredi dernier, lors d’un débat des présidents de parti, traitant les communistes de “couillons”, dans un rare excès de langage, en politique belge. Une erreur de communication ? Le porte-parole du PS, Frédéric Masquelin, a immédiatement tenté d’éteindre l’incendie dans la presse, suggérant que “l’intention du président était de souligner le fait que le PTB ne prend pas ses responsabilités sur la taxe des millionnaires”.

Le débat est lancé. Du PTB, du PS ou d’Ecolo, qui a la taxe des millionnaires la plus authentique ? Pour comprendre ce revirement de ­dernière minute des communistes, nous interrogeons le théoricien du PTB, David Pestieau, directeur du service d’études du parti. Pourquoi diable avoir relevé le seuil de la taxe des millionnaires, au risque de passer pour un impur ? “Notre intention a toujours été de viser les super-riches. Mais force est de constater que depuis 2008, année de nos premières démarches, les choses ont changé. A l’époque, seuls 2% des ménages possédaient un patrimoine supérieur à 1 million d’euros. Aujourd’hui, notamment du fait de l’inflation, ils sont beaucoup plus nombreux”, explique celui qui est aussi vice-président du PTB.

Selon certaines évaluations de la BNB et de la BCE, au moins 10% des ménages belges ont un patrimoine supérieur à 1 million d’euros. L’actuelle proposition du PTB, visant le pour cent des plus riches, au patrimoine de plus de 5 millions d’euros, toucherait environ 56.000 ménages. Avec sa proposition antérieure, la taxe du patrimoine aurait ciblé… 560.000 ménages. Même pour le PTB, c’est beaucoup.

“On a entendu certains arguments. De la part d’agriculteurs qui ont parfois un gros capital foncier ou de la part de certains indépendants. Mais le but n’est pas de taxer la richesse accumulée par la force du travail. On ne nie pas que ceux qui possèdent un patrimoine de 1 million d’euros sont riches, mais on voulait éviter ce type d’argument contre notre taxe. C’est de toute façon dans la tranche la plus élevée que le rendement de notre taxe est le plus important”, explique le théoricien.

Qui fait quoi ?

La version actualisée de la taxe des millionnaires du PTB ressemble à ceci : les 1% les plus riches payent un impôt de 2%, à partir de 5 millions d’euros. Au-delà de 10 millions d’euros, un taux de 3% est appliqué.
Tout y passe : de l’habitation aux tableaux en passant par la cave à vin.
Selon les calculs pas toujours fiables du PTB, sa taxe rapporterait quelque 8 milliards d’euros par an aux caisses de l’Etat.

Plongeons-nous ensuite dans le programme du PS, page 1205. Les socialistes y proposent “un impôt progressif sur les grands patrimoines”, au-delà de 1,25 million d’euros, mais en dehors de la résidence principale et des avoirs liés à l’activité professionnelle réelle.
Avec quelle tranche d’imposition ?
– 0,40 % pour la part entre 0 et 1,25 million,
– 0,80 % de prélèvement pour la part comprise entre 1,25 et 2,5 millions,
– 1,20 % pour la part comprise entre 2,5 et 5 millions d’euros,
– et enfin 1,50 % pour la part qui excède 5 millions d’euros.
Ce que rapporterait une telle taxe ?
2,3 milliards d’euros chaque année, selon le PS, qui se base sur les chiffres de la Cour des comptes. Jusqu’à 4,5 milliards, en se référant à “l’étude relative à la taxation des plus grands patrimoines”, la plus récente sur le sujet, faite par quatre chercheurs de l’ULB pour le compte du Bureau fédéral du Plan (BFP).

Et chez Ecolo ? On descend encore la limite, en taxant le patrimoine dès 1 million d’euros. Toujours en dehors du domicile privé et des biens productifs utilisés dans le cadre d’une activité professionnelle. L’impôt y est aussi progressif, mais différemment distribué :
– 0,5% entre 1 et 2 millions d’euros, 1% compris entre 2 et 10 millions d’euros,
– 1,5% entre 10 et 50 millions d’euros et
– 2% pour les plus de 50 millions d’euros.
Le gain pour les finances publiques ? Entre 4 et 5 milliards d’euros par an, selon Ecolo, qui se base également sur les chiffres du BFP, “en attendant une confirmation plus minutieuse, dans le cadre du chiffrage des mesures du programme de cette année”, nous indique-t-on au siège du parti.

Le moment de dresser un premier bilan : oui, la proposition du PTB est plus douce, dans la mesure où sa taxe ne vise que les 1% des plus riches, alors que le PS et Ecolo font contribuer beaucoup plus d’épaules. Mais en y ajoutant un taux de 2 ou 3%, elle sera plus rugueuse pour les patrimoines visés.

Qui a quoi ?

On sait donc qui veut faire quoi, mais il reste à déterminer ce fameux “patrimoine”. Du côté du PTB, rien n’est déduit, ni résidence principale, ni capital lié à l’activité. “Par souci de simplicité, on préfère une hausse du seuil plutôt que des déductions”, justifie David Pestieau.

D’accord, mais comment mesurer précisément le patrimoine des ménages sans cadastre des fortunes ? C’est d’ailleurs l’un des gros obstacles dressés par cette même étude de l’ULB. “C’est un faux problème”, rétorque le vice-président du PTB. Il y a 10 ans, l’ancien gouverneur de la Banque nationale, Luc Coene, expliquait qu’une grande partie des données des Belges sont connues par différents services. Pestieau pense par exemple au Cadastre du SPF Finances pour les biens immobiliers, au point de contact central (PCC) de la BNB pour les données bancaires, aux assurances pour les biens de luxe ou encore au registre UBO pour les informations sur les propriétaires des entreprises belges.

“Avec les prouesses de l’intelligence artificielle, il ne serait pas très difficile de regrouper toutes ces données”, ajoute David Pestieau. Luc Coene indiquait déjà à l’époque qu’il ne s’agissait pas “d’un problème technique mais d’un problème politique”. Mais le PTB ne compte pas attendre cet éventuel cadastre. Il mise sur les déclarations de patrimoine des ménages comme pour les revenus.

Les communistes ont même trouvé un nom à ce nouvel outil : “Fortune on Web” comme pour “Tax on Web”, avec contrôle du fisc à la clé, levée du secret bancaire et sanctions, en cas d’infraction. “Mais encore une fois, cela vise les patrimoines de plus de 5 millions d’euros, pas le citoyen lambda”, tente de rassurer le marxiste.

L’absence de cadastre des fortunes n’est pas un problème technique, mais un problème politique.” – David Pestieau, directeur du service d’études du PTB

Pour quel retour ?

Supposons que mettre en place une taxe des millionnaires soit aussi simple que le PTB ne le dit. Et supposons que cette taxe n’ait pas été délaissée internationalement ces dernières années. Qu’en est-il de sa réelle efficacité ? Nous posons à nouveau notre regard sur l’étude de l’ULB.

L’hypothèse de travail la plus rémunératrice est très éloignée des 8 milliards d’euros promis par le PTB. En taxant les patrimoines de plus de 1 million d’euros, soit une assiette plus large, avec des taux de 1, 2 et 3% pour les patrimoines de plus de 3 millions d’euros, soit un taux plus robuste, les quatre chercheurs n’arrivent qu’à la somme de 4,7 milliards d’euros. Qui plus est, ce montant ne tient pas compte ” des effets macroéconomiques négatifs sur les investissements, l’entrepreneuriat et la croissance “. Des effets négatifs qui plomberont la base imposable et in fine les recettes fiscales.

C’est tout ? Non, il faut se montrer tout aussi attentif “ aux coûts administratifs qu’engendrerait un tel impôt, en plus du risque de double, voire triple imposition du patrimoine des ménages “. Sans oublier les complications liées à la lasagne institutionnelle belge. On s’explique.

Si vous mettez en place une taxe sur les hauts patrimoines, que faites-vous des taxes existantes ? Après tout, avec 3,2% de taxation sur les actifs, notre pays est déjà le troisième pays industrialisé le plus taxé sur le patrimoine, après le Royaume-Uni et la France. Pensez au précompte immobilier, à l’impôt sur les revenus immobiliers, au droit de succession, au droit d’enregistrement, à la taxe sur les comptes-titres, au précompte mobilier, etc. Selon les chercheurs, cumuler ces deux impôts serait “intenable”, mais supprimer l’un au profit de l’autre bousculerait l’autonomie fiscale des Régions.

De la surenchère 
à l’équilibre

On le voit, ajouter un impôt sur la fortune provoquerait un grand chamboulement fiscal. Au nord du pays, Vooruit estime qu’il faut uniquement s’attarder sur les patrimoines financiers (actions, obligations, livrets d’épargne, cryptomonnaies, etc.). Les socialistes flamands veulent élargir la taxe sur les comptes-titres pour en faire leur taxe des millionnaires. Concernant l’immobilier, ils préfèrent supprimer les droits d’enregistrement de la première maison, mais fixer un taux de 21% pour la seconde.

Chez Groen, on vise les patrimoines de plus de 2,5 millions d’euros. On est donc loin de la proposition d’Ecolo et ses 1,5 million. Bref, il n’est visiblement pas simple de mettre tous les partis de gauche au diapason.

Il reste que la taxe des millionnaires bénéficie d’un large soutien de la population. Dans le sondage Trends-­Tendances / Le Vif, réalisé par le bureau Kantar, mi-février, un impôt sur la fortune récoltait 70% d’avis favorables, sans le moindre fossé Nord-Sud.

Mais plutôt que le jeu de surenchère préélectorale, revenir à une solution équilibrée n’est peut-être pas du luxe. Des deux côtés du spectre politique, d’ailleurs. Comme l’affirmait Michel Maus, professeur de droit ­fiscal à la VUB, dans nos colonnes, il n’est pas du tout impensable de sacrifier quelques “vaches sacrées ­fiscales”, si c’est pour rapprocher la taxation sur le travail à un niveau plus proche de la taxation du capital.

Mais en ajoutant une taxe sur les millionnaires aux multiples taxes existantes, le danger serait de faire l’inverse : taxer le capital comme on taxerait le travail.

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