Obama doit-il laisser l’Europe tranquille?

© REUTERS/Jason Reed

Barack Obama a critiqué ouvertement la gestion européenne dans la crise que traverse l’euro. Mais le président américain n’est pas forcément le mieux placé pour donner des conseils. Explications.

Sortie très remarquée du président américain face à l’euro. Alors que l’Europe tente d’enrayer la crise qui secoue actuellement sa monnaie, il s’est voulu donneur de leçons face aux leaders du continent. “Nous n’avons pas vu les Européens affronter les problèmes de leur système financier et de leur système bancaire aussi efficacement qu’il le faudrait”, a-t-il déclaré mercredi. Il a également affirmé que la crise européenne “effraie le monde entier”. La réponse du ministre allemand des finances a été cinglante. “Il est toujours beaucoup plus facile de donner des conseils aux autres que de prendre des décisions vous concernant directement. Je peux aussi donner des conseils au gouvernement américain”, a lancé Wolfgang Schäuble visiblement irrité. De fait, le bilan de l’action d’Obama face à la crise n’est pas à l’abri des critiques.

Son déficit public est beaucoup plus élevé

Les Américains n’ont pas vraiment de leçons à donner en matière de rigueur budgétaire. “Le déficit public est à 10% du PIB depuis trois ans”, souligne Christine Rifflart, spécialiste des Etats-Unis à l’OCDE. En zone euro, il s’établira à 4,6% du PIB fin 2011 selon les statistiques de l’OCDE. La différence, c’est que cela ne se traduit pas par des attaques contre le dollar ou une envolée des taux d’intérêt. L’explication tient certes beaucoup au statut particulier du billet vert… mais pas uniquement. Les Américains ont une politique basée sur un retour de la croissance, notamment avec l’annonce le 9 septembre d’un plan pour l’emploi d’un montant de 447 milliards de dollars, alors qu’en Europe la priorité est clairement à la réduction des déficits.

Sur ce point, la vigueur apportée dans l’assainissement des comptes publics est très différente sur les deux continents. Alors que les Européens sont focalisés sur la réduction urgente des déficits – cause principale de la crise actuelle -, aux Etats-Unis on ressent plus de libertés. “Les Américains ont dit qu’ils prendraient des mesures sur 10 ans, avec un plan de réduction des déficits de 3.000 milliards. Cela a rassuré les marchés”, explique Benjamin Carton, économiste au Cepii. “En Europe on fait des plans applicables dans les six mois ou un an. Il n’y a qu’à voir le plan d’austérité italien de 54 milliards, massif mais pris dans l’urgence du mois d’août, sous la pression des marchés”.

Sa politique monétaire est beaucoup plus accommodante

La réserve fédérale américaine se distingue de la banque centrale européenne sur ce point. L’une a une action très volontariste sur la croissance, l’autre cherche surtout à limiter les dégâts. La réserve fédérale américaine a eu une action directe sur les taux d’intérêts en achetant massivement des titres d’Etat pour faire baisser ces taux (l’assouplissement quantitatif). Elle a aussi décidé d’avoir recours à l’opération twist le 22 sepembre, en vendant des titres à court terme pour racheter des titres long, et faire baisser les taux d’intérêts des obligations d’Etat de 6 à 30 ans. Objectif, permettre aux Etat-Unis de continuer à se financer à moindre frais. “La BCE achète uniquement des titres de dette des pays les plus en difficulté, Grèce et Irlande notamment. Ici l’objectif n’est pas de soutenir la croissance mais plutôt d’éviter qu’ils n’explosent”, explique Benjamin Carton. Et même lorsque l’agence de notation Standard and Poor’s a dégradé la note américaine cet été, les taux d’intérêts de la dette ont continué à baisser. “Les investisseurs ont tenté de fuir les placements à risque à ce moment là, et le placement le plus sûr c’est la dette américaine, ils se sont donc rués vers ces titres. C’est le grand paradoxe de l’histoire”, s’amuse Benjamin Carton. Par ailleurs le taux directeur de la banque centrale américaine est plus accommodant. Alors que les banques empruntent à un taux de quasiment 0% aux Etats-Unis, la BCE a quant à elle remonté son taux principal à 1,25% en avril dernier.

L’origine de la crise est bien américaine

Barack Obama l’affirmait ce lundi : “en Europe ils ne se sont pas complètement remis de la crise de 2007, et ne se sont jamais vraiment occupés des difficultés auxquelles leurs banques faisaient face”. Mais d’où vient-elle cette crise de 2007 ? De l’immobilier américain qui a contribué à un cataclysme financier quelques mois plus tard avec la chute de la banque – encore américaine – Lehman Brothers. Les plans de relance successifs en Europe, le creusement des déficits et la crise des finances publiques en sont la conséquence directe. “Le détonateur mondial vient bien entendu de l’immobilier américain. Les innovations sur les instruments financiers comme les subprimes aussi”, concède Christine Rifflart.

Mais l’économiste de l’OFCE tempère. “Eux ont mis en place des mécanismes pour freiner les dérapages. Leur réforme financière a été réalisée même si elle n’est pas parfaite. Sur ce point ils sont allés plus vite que l’Europe qui n’a pas encore réagi. Et aujourd’hui la mauvaise gestion budgétaire, notamment de la Grèce, vient de la mauvaise gestion européenne”.

Obama a-t-il complètement tort ?

Mais pourquoi Barack Obama donne-t-il des leçons aux européens? Ce n’est pas par pur plaisir de dicter une bonne conduite économique. Quoique. “C’est une habitude américaine de faire de la diplomatie économique et de donner les bonnes politiques à suivre”, explique Benjamin Carton, qui rappelle le précédent chinois et les sorties du Président, de la FED, ou même de sénateurs américains contre la dévaluation du yuan. Mais sur le cas européen, il est clair que les Etats-Unis s’inquiètent pour leur propre croissance. Et les considérations de politique intérieure – avec les élections présidentielles l’an prochain, ne comptent pas pour rien. L’Europe comme bouc émissaire de l’impuissance américaine à se redresser, ça peut toujours marcher…

Mais sur le plan du leadership européen, Barack Obama n’a pas tout à fait faux. L’Europe s’est illustrée par de nombreux couacs depuis plusieurs semaines. Exemple lors du récent sommet des ministres des finances européens en Pologne où aucune décision n’a été prise pour rassurer des marchés complètement affolés, ou lorsque plusieurs Etats n’ont pas caché leur volonté de faire sortir la Grèce de la zone euro. Plus largement, ces sorties du président Obama mettent en lumière les différentes stratégies des leaders politiques en Europe. Avec d’un côté les partisans d’un fédéralisme plus marqué pour faire face à la crise, et de l’autre ceux qui souhaitent s’en tenir à une simple intergouvernementalité.

Ali Bekhtaoui (L’Expansion.com)

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