Non vraiment, il n’y a pas eu de greedflation en Belgique (graphiques)

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La BNB persiste et signe. Elle revient avec un travail portant sur plus de 25 ans qui montre que si la productivité a progressé plus que les salaires, l’argent n’est pas tombé dans la poche des entreprises pour autant car celles-ci doivent renouveler leur équipement plus rapidement.

La Banque nationale de Belgique (BNB) vient de faire paraître une étude sur le taux de marge des entreprises afin de voir dans quelle mesure celui-ci aurait pu influencer l’inflation. Les entreprises auraient-elles été trop avides?

Ce n’est pas la première étude sur le sujet. La BNB en avait fait une voici quelques mois. Mais ce travail-ci est plus large car il remonte dans le temps et scrute aussi ce qui se passe chez nos voisins. On ne fera pas durer le suspense: non, il n’y a pas eu de “greedflation” (inflation causée par l’avidité des entreprises) chez nous, même si certains secteurs, dans l’industrie notamment, ont pu afficher des marges en hausse.

Mais le plus intéressant est peut-être ailleurs. Les économistes de la BNB ont observé que l’économie d’aujourd’hui est davantage gourmande en capital. Un autre point remarquable concerne l’évolution plus rapide de la productivité que les salaires, ce qui vient contredire certains discours sur le handicap de compétitivité.

Il faut ajouter deux grains de sel. D’une part, c’est une observation macroéconomique et donc, il y a évidemment des situations très différentes entre entreprises individuelles. Ensuite, les chiffres de la BNB sont pour la plupart arrêtés avant la grande indexation de janvier 2023, ce qui fait que nous n’avons pas le dernier épisode du feuilleton.

Mais voyons cela de plus près.

Une économie qui bouge

La BNB a analysé le taux de marge qui est la part dans la richesse créée par l’entreprise (la valeur ajoutée), qui rémunère le capital. La richesse que génère une entreprise se décompose en trois grands éléments: les salaires, les taxes (et subsides) et le “profit”, ou plus exactement l’excédent brut d’exploitation. Le taux de marge est la part de cet excédent brut d’exploitation dans la valeur ajoutée. C’est la rémunération du capital.

Premier constat, le taux de marge brut, sur un quart de siècle, a nettement augmenté après 2000, avec toutefois un trou d’air lors de la crise de 2008. Mais en 2022, il avait atteint 44%, contre 36% au milieu des années 1990. Plus récemment, il est retombé pour atteindre 41% au début de cette année (en raison notamment de l’indexation des salaires), mais il reste historiquement élevé.

Cette progression est due à deux éléments, expliquent les économistes de la BNB Tomas De Keyser et Laurent Walravens.

Le premier est la composition du tissu économique du pays, qui évolue. Certains secteurs qui affichent de belles marges, comme la pharmacie, prennent plus de poids. Et indépendamment de cette répartition sectorielle plus favorable, les secteurs individuellement ont également eu une belle dynamique interne. “Aussi bien dans l’industrie manufacturière, la construction ou les services marchands, on observe une hausse du taux de marge depuis 2014”, précise Laurent Walravens.

© National

L’écart productivité-salaires

L’autre élément qui explique ces marges brutes confortables est le fait que la productivité a davantage progressé que les salaires. L’écart est moins grand si l’on considère uniquement le salaire au sens strict que le coût salarial au sens large, qui reprend les subsides à l’emploi et les réductions de cotisations sociales. Mais si l’on prend cette définition plus large, le coût salarial est pratiquement stagnant depuis 2008-2010.

Nos entreprises affichent désormais de meilleures marges que celles des entreprises allemandes et françaises et font jeu égal avec les néerlandaises.

“Pendant une longue période les coûts salariaux horaires étaient plus élevés en Belgique que chez nos voisins. La situation a changé depuis 2013-2014 et l’écart a pratiquement disparu en 2021 en raison des efforts entrepris pour améliorer la position concurrentielle du pays (baisse des cotisations sociales, tax shift, etc.)”, constate Tomas De Keyser. L’important choc salarial qui résulte de l’indexation automatique des salaires au début de cette année pourrait toutefois rebattre les cartes, ajoute-t-il.

Ce meilleur mix sectoriel et cette meilleure productivité expliquent que nos entreprises affichent désormais de meilleures marges que celles des entreprises allemandes et françaises et fassent jeu égal avec les néerlandaises. Cependant, il faudra ici aussi vérifier tout cela lorsque l’impact des dernières indexations sera traduit dans les statistiques.

Quand les machines coûtent cher

Il faut être d’autant plus prudent que jusqu’ici, nous parlions de taux de marge brut. Lorsque l’on considère le taux net, obtenu après amortissement du capital, c’est-à-dire des machines et des équipements, la courbe est sensiblement différente.

“Le taux de marge net est nettement inférieur à la part brute et a longtemps oscillé autour de 25% de la valeur ajoutée, observe la BNB. Bien qu’une modeste tendance à la hausse puisse être observée au cours de la période d’observation, la part des bénéfices nets reste actuellement beaucoup plus proche de son niveau de 1995.” Au premier trimestre de cette année, nous étions en effet en dessous de 26%.

Pourquoi cette stagnation alors que le taux brut progresse? “Dans une économie moderne, en raison des développements technologiques, la proportion de machine à longue durée de vie (15-20 ans) diminue, et celle de machine à durée de vie plus courte augmente”, répond Tomas De Keyser. La nécessité de renouveler plus rapidement qu’avant le capital vient donc manger une partie non négligeable des marges.

Pas de greedflation

Reste la grande question: est-ce que la hausse des marges des entreprises a dopé l’inflation? Non, répondent les économistes de la BNB. En fait, “les marges bénéficiaires sont fortement corrélées négativement avec les coûts salariaux”, notent-ils. Lorsque les marges augmentent, les salaires augmentent moins et le taux d’inflation (ou plutôt le déflateur du PIB, qui est l’inflation vue avec les yeux des entreprises) reste stable. C’est compréhensible: les entreprises qui n’ont pas un “pricing power infini” ne peuvent compenser la hausse des salaires en vendant leurs produits plus chers. Elles vont donc puiser dans leurs marges.

On a d’ailleurs observé ce phénomène lorsque l’inflation a fortement augmenté à partir de la mi-2021. “Les pressions sur les coûts intérieurs sont alors principalement provenus de la hausse des coûts salariaux résultant des mécanismes d’indexation automatique. La contribution des bénéfices des entreprises à l’inflation, en revanche, a diminué au cours des derniers trimestres et est même devenue négative”, souligne la BNB. Et la BNB ajoute que c’est un particularisme belge: “Cette évolution est contraire à celle observée dans d’autres pays où les bénéfices unitaires ont d’abord poussé l’inflation alors que les coûts salariaux augmentaient plus lentement”.

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