Greedflation: comment la cupidité des entreprises pèse sur votre portefeuille

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greedflation © Getty

La greedflation (ou la « cupideflation » en français) est une inflation liée au maintien des marges des entreprises. Elle serait aussi d’actualité en Belgique. Explication d’un phénomène qui inquiète.

La greedflation est un mot valise qui réunit cupidité (greed) et l’inflation. En souhaitant maintenir leurs marges vaille que vaille, les entreprises ont maintenu la pression sur les prix alors même que les prix de production sont à nouveau à la baisse. Leur pricing power, soir leur capacité à augmenter les prix dans leur coin, serait même l’une des causes de l’inflation qui persiste malgré un relâchement des pressions inflationnistes (prix de l’énergie, approvisionnement…)

Des entreprises trop gourmandes ?

Les entreprises surferaient ainsi sur l’acceptation des consommateurs d’une hausse généralisée des prix pour augmenter encore un peu plus, et de façon artificielle, leur prix. A en croire des analystes de plus en plus nombreux, ce ne serait donc pas la hausse des salaires, mais bien une certaine cupidité des entreprises qui nourrirait l’inflation. Quoi qu’il en soit en cherchant avant tout à accroître leurs marges, les entreprises inquiètent jusqu’aux banquiers centraux, notamment ceux de la BCE. Oscar Arce, directeur général des questions économiques à la Banque centrale européenne, craint ainsi une spirale des prix “qui pourrait appauvrir tout le monde”.

L’inquiétude touche même l’une des plus anciennes et des plus importantes banques d’investissement du monde. Ainsi pour Albert Edwards, stratège mondial à la Société Générale, une banque vieille de 159 ans, nous assistons peut-être même « à la fin du capitalisme“. 

Selon lui, les “marges bénéficiaires exceptionnelles” des entreprises aux États-Unis et à l’étranger finiront par “provoquer des troubles sociaux”. Toujours selon Edwards, «à une époque où la cohésion sociale s’effrite déjà, je pense que le fait de voir des entreprises générer des marges bénéficiaires supérieures à la normale en période de crise ne peut qu’attiser le malaise». Pour lui, la greedflation actuelle va trop loin. En 40 ans, il n’a jamais rien vu de tel. Ainsi, l’an dernier, les entreprises figurant dans le classement Fortune 500 ont généré à elles seules un bénéfice record de 1 800 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 16 100 milliards de dollars.

Pour le Financial Times aussi les entreprises – toutes catégories confondues – ont fait des bénéfices excessifs par rapport aux normes historiques. Ainsi 52 % des 1000 premières entreprises mondiales gagneraient encore plus que leur marge moyenne sur 10 ans. Certaines banques et entreprises du secteur de l’énergie affichant même des marges « soit hypercycliques, soit inexcusables ». Des chiffres d’autant plus surprenants que les marges auraient dû “fortement diminuer” en raison du ralentissement de l’économie. En effet les pénuries de main-d’œuvre et la hausse des prix des produits de base réduisent généralement les marges lorsqu’une économie se dirige vers la récession.

Un contrôle des prix ?

Pour contrer la greedflation, Edwards vient avec une solution controversée : le contrôle des prix. Soit un prix maximum fixé par le gouvernement. Une hérésie pour beaucoup, mais pour Edwards on n’a guère le choix, car “quelque chose semble s’être brisé avec le capitalisme”. Il se base pour dire cela sur un article rédigé par Isabella Weber et Evan Wasner, économistes à l’université du Massachusetts à Amherst, intitulé “Sellers’ Inflation, Profits and Conflict. Pour eux, un contrôle temporaire des prix pourrait être le seul moyen de prévenir les “spirales inflationnistes” qui pourraient résulter de ces prix abusifs. D’autant plus que la conséquence potentielle d’une greedflation est que les consommateurs cherchent à compenser ces hausses de prix en demandant une hausse des salaires. De quoi alimenter le risque d’une spirale prix-salaires inflationniste.

Aussi en Belgique ?

Malgré le mécanisme d’indexation, une spécificité belge, la greedflation serait également présente en Belgique selon Thomas Greuse économiste de la CSC cité par l’Echo. Pour cela, il a analysé le “déflateur de la valeur ajoutée”.  Un déflateur, contrairement à un indice qui est directement issu d’une collecte de prix individuels, est le rapport entre une valeur et un volume. Ce déflateur en particulier distingue la différence entre le prix de vente d’un produit et celui des produits intermédiaires. En gros, si le prix d’un des composants augmente cela a un impact sur le prix total mais ne devrait pas avoir d’impact sur la valeur ajoutée. Ou pour prendre un exemple concret, lorsque le prix du blé augmente, le prix du pain augmente aussi mais cela ne devrait pas avoir d’impact sur sa valeur ajoutée.

Or, le chercheur de la CSC a remarqué que, en 2022, le déflateur de la valeur ajoutée a augmenté de 3,09%. Il doit cette hausse à hauteur de 1.82 points à l’excédent brut d’exploitation des entreprises contre 1.45 point pour les salaires. Ce qui lui fait dire que “les entreprises ont donc plus que compensé les hausses de leurs coûts intermédiaires et la hausse des salaires”. «C’est là un exemple concret de greedflation », conclut l’économiste de la CSC dans l’Echo.

Un constat qui inquiète d’autant plus que l’inflation sous-jacente continue d’atteindre des records. L’inflation sous-jacente, soit une inflation qui ne tient pas compte de l’évolution des prix des produits énergétiques et des produits alimentaires non transformés, s’établissait ainsi en Belgique à 8,70% en mai, contre 8,28% en avril et 8,57% en mars. Malgré un léger recul, elle est donc repartie à la hausse. Cette inflation sous-jacente continue également à grimper dans le reste de la zone euro. Pour le FMI, elle « reste inconfortablement supérieure aux objectifs des banques centrales, même d’ici à la fin de l’année prochaine ». Et cette projection ne vaut que s’il n’y a pas de nouvelle crise financière, ni d’escalade dans le conflit en Ukraine ou de nouvelles flambées des prix de l’énergie…

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