Le retour en grâce de la défense wallonne

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Olivier Mouton

Avec ses fers de lance industriels, la Wallonie profite d’une situation géopolitique tourmentée. Les commandes affluent et les politiques renouent avec une vision à long terme pour notre défense. Mais les rivalités commerciales restent fortes et l’Europe de la défense n’est pas pour demain.

Un tournant majeur est en cours pour l’industrie de la défense. Un contrat stratégique sur 20 ans a été signé fin 2023 entre la FN et l’Etat belge. Une réflexion sur une nécessaire “autonomie stratégique” européenne est menée, face à la menace russe et en raison du possible désinvestissement des Etats-Unis si Donald Trump devait revenir au pouvoir.

Une transparence plus grande voit le jour dans l’industrie de l’armement. Avec la guerre en Ukraine pour toile de fond, le tabou d’un réinvestissement dans notre défense a été levé. Les politiques évoquent ouvertement la nécessité d’investir 2% du PIB, voire davantage. Une indispensable révolution.

Une opportunité de business

Pour la Wallonie, ce retour en grâce est une opportunité de business. C’est dans la région, en effet, que se logent la plupart des entreprises actives dans ce secteur: FN, Sonaca, Mecar, John Cockerill, etc. Mais en réalité, tout le pays peut en tirer profit. L’industrie de l’armement, en Belgique, ce sont 87 entreprises et 4.979 emplois directs, pour une valeur ajoutée brute de 645 millions d’euros, selon la base de données du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip).

“Cette industrie s’est bien maintenue sur clés de souveraineté pour une défense territoriale, souligne le directeur du Grip, Yannick Quéau. C’est tout ce qui concerne les munitions et les canons d’artillerie, les armes légères et les petits calibres… Cela se situe surtout en Wallonie. Mais il y a aussi une panoplie importante d’entreprises technologiques dans le civil et le militaire, actives tout autant en Flandre et à Bruxelles.”

La guerre en Ukraine offre “des éléments d’opportunités”. “C’est un conflit très consommateur en munitions, comme peuvent en produire la FN ou Mecar, poursuit Yannick Quéau. Il est donc logique que les entreprises belges en profitent. Mais cela n’induit pas une révolution de cette industrie.” Ce n’était pas une question de survie pour l’activité. Et si la FN se réjouit d’avoir conclu un contrat à long terme, c’est avant tout un signal fort sur le plan de la visibilité. “La FN jouait à domicile et elle a reçu des faveurs par rapport à la concurrence européenne, ironise le directeur du Grip. Mais cela ne change pas intrinsèquement sa position concurrentielle, qui était bonne.”

L’industrie de l’armement en Belgique, ce sont 87 entreprises et 4.979 emplois directs, pour une valeur ajoutée brute de 645 millions d’euros.

L’époque tranche, commercialement et politiquement, avec celle où l’on polémiquait souvent, en Wallonie, sur les licences d’exportation octroyées à des pays “sensibles”, comme l’Arabie saoudite. “Vendre des armes à l’Ukraine dans le cadre de la légitime défense en raison de l’agression par un pays voisin, ce n’est pas un problème, affirme Yannick Quéau. Mais s’il s’agit de mener des opérations sur le territoire d’un autre pays ou que l’on utilise ces armes à l’encontre de populations civiles, cela doit poser question, à juste titre. C’est, toujours, une décision politique.”

Pour octroyer une licence, la Wallonie s’aligne désormais sur les positions communes européennes, qui ne sont… qu’indicatives. Au sein de l’industrie, on en appelle à une réglementation unifiée au niveau européen.

Une Europe de la défense ?

Dans un contexte géopolitiquement instable, l’Europe de la défense va-t-elle faire un pas de géant ? Assistera- t-on à des consolidations industrielles ? “J’ai 47 ans et l’Europe de la défense, je l’ai vue naître une bonne dizaine de fois, souligne le directeur du Grip. Mais je n’ai pas l’impression que ce qui se passe soit si déterminant. Ce que l’on se contente de faire depuis les années 1990, c’est une politique de l’offre. A travers des incitatifs, on essaie de favoriser des regroupements. Il y a eu des succès, comme Airbus Defence and Space ou MBDA (fabricant de missiles). Mais on voit avec l’attribution du contrat à la FN que chacun des acteurs européens fait toujours ce qu’il veut.”

La rivalité entre producteurs européens est d’ailleurs à l’origine des retards accusés par la livraison d’armes à l’Ukraine. Pourtant, notre industrie a une capacité de production suffisante, insiste Yannick Quéau. La vraie question pour demain, selon lui, sera de voir si l’on parvient à hausser notre niveau de jeu, ensemble, pour rivaliser avec les Etats-Unis ou la Chine. On y travaille, mais on en est loin.

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