La renaissance de la FN

Cette ­nouvelle mitrailleuse hyper-légère est présentée comme le prochain "game changer" du groupe.
Olivier Mouton

L’entreprise wallonne a signé un contrat structurel de 20 ans avec l’Etat belge, pour 1,7 milliard d’euros. Ses dirigeants se félicitent du changement de paradigme, sans se réjouir de la guerre. Immersion dans une industrie en plein bouleversement.

Au cœur des lignes de production de la FN, à ­Herstal, des mitrailleuses à destination de l’Ukraine sont en cours de fabrication. Les armes sortent des chaînes, dans une ambiance feutrée et ­studieuse. Pour l’entreprise, dont l’actionnaire est la Région wallonne, la ­nouvelle ère initiée par la situation géopolitique change la donne.

“La dégradation de la situation dans l’est de l’Europe a un impact sur l’industrie de la défense, c’est évident, reconnaît Henry de Harenne, directeur de la communication de la FN Herstal. Aujourd’hui, on adapte notre production. Est-ce une bonne chose ? Pas forcément. Est-ce que l’on souhaite une guerre ? Non, la guerre n’est jamais une bonne chose et nous espérons qu’elle s’arrêtera le plus vite possible.”

Un virage structurel

Le changement de paradigme a donc des implications pour la FN. Mais c’est surtout sur ses conséquences structurelles que les dirigeants de l’entreprise veulent insister. “La Belgique et les Pays-Bas ont annoncé des commandes pour soutenir l’Ukraine pour des montants substantiels, souligne Henry de Harenne. Certes, cela fait tourner l’usine, mais l’effet est conjoncturel. Qui plus est, nous devons fabriquer avec notre capacité de production existante.”

Le second corollaire, plus important, est structurel. “Les Etats européens membres de l’Otan se sont tous engagés à respecter leur obligation d’investir 2% du PIB dans la défense, poursuit le directeur de la communication. Ils se rendent en effet compte qu’il est essentiel de repenser leur autonomie stratégique et notre sécurité d’approvisionnement.”

Pour la FN, cela se concrétise par un partenariat de 20 ans avec la Belgique, pour un montant annoncé de 1,7 milliard d’euros. L’accord prévoit notamment l’achat de toutes les munitions de l’armée belge chez FN Herstal. Une centaine d’emplois seront créés sur les deux sites de l’entreprise, à Herstal et à Zutendaal, en Flandre.

“Un tel partenariat est fondamental pour une entreprise de la défense comme FN Herstal : nous n’investissons dans de nouvelles lignes de production que si nous disposons d’une visibilité suffisamment claire à moyen terme. Ces investissements seront financés par l’entreprise et il nous appartiendra donc de garantir la viabilité financière du modèle.”

Un fameux revirement

C’est un fameux revirement. Il y a huit ans, on se demandait si la FN continuerait à produire des munitions. La plupart des commandes belges venaient de marchés extérieurs à l’Otan. “Mais nous avons une expertise forte : sur les quatre calibres d’armes légères Otan, on en a créé trois, rappelle Henry de Harenne. La décision, à l’époque, a été prise de continuer la production et on a recommencé à investir dans celle-ci avant le début de la guerre en Ukraine.”

Ce retour en grâce de l’industrie de la défense survient après des années difficiles, au cours desquelles chaque licence d’exportation octroyée par le gouvernement wallon était épluchée et ­critiquée. Au fil des polémiques, l’entreprise a dû diversifier ses activités. En abandonnant notamment les livraisons à des pays controversés, dont l’Arabie saoudite depuis 2020.

“Nous ne commentons jamais les marchés sur lesquels nous intervenons, c’est une prérogative qui relève de la souveraineté des Etats, souligne Henry de Harenne. Quant à savoir vers quelles destinations la Wallonie autorise les différentes entreprises à exporter, il convient de regarder les rapports qui sont faits au Parlement. Nous effectuons bien évidemment nos propres exercices d’analyse à propos des Etats avec lesquels nous pouvons entretenir un courant d’affaires. Mais in fine, cela reste une décision politique et stratégique prise par les Etats.”

“Nous demandons une harmonisation des règlements européens. Il faut de la cohérence.” – Henry de Harenne (FN)

Historiquement, la FN a fourni 130 pays, mais ses principaux clients sont actuellement les pays de l’Otan et alliés. “En revanche, il est interpellant de constater que certains Etats européens autorisent leurs entreprises à exporter vers des nations où d’autres entreprises européennes ne peuvent pas aller, prolonge Henry de Harenne. C’est pour cela que nous demandons une harmonisation des règlements européens. Il faut de la cohérence. FN Herstal est une fervente partisane d’une Europe de la défense.”

Le décret wallon réglementant l’exportation des armes intègre, en effet, les huit critères arrêtés dans une position commune du Conseil de l’Union européenne. Mais cela n’a aucune valeur prescriptive et les Etats européens appliquent les critères dans leurs législations nationales de manières différentes.

Pendant longtemps, la FN, comme la vente d’armes en général, n’a pas forcément eu bonne presse. Mais quelque chose a changé avec le retour de la guerre en Europe. La volonté de transparence affichée par le nouveau CEO, Julien Compère, a fait le reste. “Il y a un travail de notre part à montrer que c’est un fleuron industriel”, acquiesce Henry de Harenne. Politiquement aussi, l’ouverture est réelle : globalement, on reconnaît l’importance de la FN. “Le changement de paradigme modifie la donne, c’est clair, acquiesce le directeur de la communication. Les relations entre le gouvernement belge, l’état-major et ­l’ensemble de l’industrie de la défense sont aujourd’hui ­excellentes. On se reparle et c’est extrêmement positif car il ne peut y avoir d’Europe de la défense sans industrie de la défense.”

Importante innovation

Pour l’armurier, l’avenir se veut prometteur. Pour autant que les investissements continuent, afin de suivre le mouvement. “Nous sommes une entreprise belge et nous ne serons jamais concurrentiels sur les prix face à des ­producteurs venus de marchés qui ne sont pas soumis au même contexte global que nous. Nous pouvons nous distinguer sur la fiabilité de nos armes et l’innovation. Plus de 10% de notre chiffre d’affaires y est consacré chaque année. La FN est connue pour être une pionnière de l’armement contemporain. C’est ce qui nous différencie sur les marchés.”

Dans le showroom de Herstal, une nouvelle mitrailleuse hyper-légère, baptisée Evolys, est présentée : c’est le prochain game changer du groupe. L’intelligence artificielle est l’autre révolution du moment ; elle est d’ores et déjà intégrée dans certains systèmes commercialisés et se trouve au cœur d’une collaboration avec l’université de Liège. “Mais pour pouvoir investir dans l’innovation, on a besoin de revenus, conclut Henry de Harenne. Si entre 1989 et 2022, au moment des désinvestissements massifs dans l’appareil de défense de la plupart des pays de l’Otan, nous n’avions pas pu exporter en dehors de l’Europe, serions-nous aujourd’hui en mesure de jouer le rôle qui est le nôtre ? La question de notre stratégie globale ­d’exportation se reposera et il sera nécessaire de l’appréhender en fonction de tous ses tenants et aboutissants si nous voulons demeurer une entreprise ­européenne, leader mondial de son secteur d’activité dans le futur.”

Retrouvez l’ensemble des articles de notre dossier sur le retour en grâce de la défense wallonne

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