Entretien avec Maxime Prévot et Georges-Louis Bouchez: le courage ou l’impasse
Les présidents du MR et des Engagés dénoncent “l’irresponsabilité” de Conner Rousseau, président de Vooruit, qui s’est retiré des négociations de formation d’un gouvernement fédéral. Tous deux tiennent un langage vérité: la future majorité devra “penser davantage aux prochaines générations qu’aux prochaines élections”. Quitte à être impopulaire, un temps. L’Open Vld pourra-t-il être convaincu?
Le rendez-vous est fixé à la Brasserie François, un lieu bien connu de Namur et un QG des Engagés depuis des décennies. La complicité entre Maxime Prévot, président des Engagés, et Georges-Louis Bouchez, président du MR, est palpable, tant pour tenter de débloquer les négociations fédérales que pour vendre le “nouvel espoir en Wallonie”.
Cette rencontre à deux, en exclusivité pour Trends-Tendances, est la première sortie médiatique conjointe depuis la présentation des accords wallon et francophone. Elle survient au moment où l’avenir de la Belgique est suspendu à de nouvelles consultations menées par Bart De Wever (N-VA), consécutives au retrait de Conner Rousseau, président de Vooruit. Ils s’estiment “trompés”.
TRENDS-TENDANCES. Un gouvernement fédéral pour la Saint-Nicolas, cela semble compromis après le départ de Vooruit, non ?
GEORGES-LOUIS BOUCHEZ. Le moment était venu de prendre nos responsabilités, mais visiblement, Vooruit n’était pas prêt à le faire. Moi, je ne considère pas que nous ayons un devoir absolu de plaire en permanence. Parfois, il faut pouvoir dire, même à des gens que l’on aime beaucoup, qu’il y a des pratiques qui ne sont pas les plus efficaces ou que l’on ne peut plus se permettre. Quitter la table des négociations avant d’avoir réellement négocié les points majeurs est une attitude irresponsable. D’autant que nous avons le pire budget de l’Union européenne !
Cet été, le MR avait pourtant dit “non” au projet de réforme fiscale…
GL.B. Surtout à une mesure, c’est vrai. Mais tout le monde peut en témoigner, je n’ai jamais quitté la table. J’ai exprimé le fait que je n’étais pas d’accord avec ce modèle-là. Du coup, on est retourné chez le Roi : je l’avais dit à l’époque, il y avait moyen d’éviter ce détour, mais ce n’est pas grave… Il ne faut certainement pas quitter la table.
C’est ce que Conner Rousseau, président de Vooruit, a fait !
GL.B. Vous suivez comme moi l’actualité. La seule solution consistait à s’enfermer dans un mode conclave, en ne sortant pas de là avant d’avoir une solution. Recevoir des notes au siège de votre parti que vous analysez avec tous vos collaborateurs et affirmer que l’on n’accepte pas tel ou tel point, cela ne peut pas fonctionner.
La question, c’est de savoir pourquoi Vooruit s’est retiré…
MAXIME PRÉVOT. Il ne faut pas mentir aux gens. Les mesures que le futur gouvernement devra prendre ne seront pas toutes populaires, mais elles sont nécessaires. On ne trouve pas de recette miracle sous le sabot d’un cheval pour réduire de 16 milliards les dépenses publiques. Inévitablement, cela se fera en prenant des mesures courageuses.
Vooruit n’était pas prêt à prendre des décisions courageuses ?
M.P. Vooruit a systématiquement exigé de régler le cadre budgétaire avant d’entamer les négociations sur les notes thématiques. Mais dans le même temps, il exigeait que le cadre budgétaire soit conforme à ses attentes avant d’en discuter plus avant. Il est irresponsable et regrettable, au vu des enjeux et des urgences, d’avoir campé sur ces exigences préalables. Quand on veut gagner un match et porter ses valeurs, on commence par monter sur le terrain ; pas par exiger deux goals d’avance…
Quand on veut gagner un match, on commence par monter sur le terrain.
Maxime Prévot
Président des Engagés
Mais quel fut le point de rupture ?
M.P. Quand vous avez autant de milliards à trouver, c’est difficile de ne pas faire mal à une série d’acteurs dont vous vous êtes toujours sentis proches. Je dis cela clairement : les partis autour de la table devront accepter l’idée de ne pas être populaires pendant un petit temps. En espérant que le temps fasse son oeuvre et que les citoyens comprennent que le courage ayant irrigué la négociation aura permis de sauver notre pays et notre régime de sécurité sociale. Tout le monde a plutôt envie d’être saint Nicolas que le père Fouettard, mais si personne ne met les mains dans le cambouis, on s’interrogera demain sur notre capacité à payer les pensions ou à financer notre sécurité sociale. Nous devons penser davantage aux prochaines générations qu’aux prochaines élections.
GL.B. Il faut tuer l’idée selon laquelle cette coalition était plus difficile pour Vooruit que pour les autres. Une analyse plus fine montre que dans l’Arizona, il n’y avait pas un bloc contre un autre. Sur l’institutionnel, Maxime et moi sommes proches. Sur les soins de santé, il était plus proche de Conner. Sur l’immigration, je suis plus proche de la N-VA et même du cd&v. Par contre, sur la fiscalité, je serai contre ce même cd&v. Même sur le socio-économique, nous pouvons avoir des sensibilités différentes avec la N-VA : l’approche “petits indépendants” est davantage marquée au MR parce que le tissu économique régional n’est pas le même au sud qu’au nord du pays.
M.P. C’était pluriel !
GL.B. Oui, et à force de répéter du matin au soir dans les médias qu’il y avait un bloc de droite contre un parti de gauche, on a biaisé la négociation et conforté l’idée auprès de la base de Vooruit qu’il y avait quatre présidents d’accord face à eux.
Peut-on désormais remplacer Vooruit par l’Open Vld ?
GL.B. Il avait été estimé initialement que cela donnait une majorité trop courte. Nous nous étions répétés entre nous au moins 152 fois qu’il n’y avait pas d’autre solution mathématique viable correspondant à la volonté populaire et qui, en plus, avait l’avantage d’être une symétrie par rapport aux gouvernements régionaux. Je me sens trompé par Conner Rousseau. Il nous dit tout et son contraire. Avant le 13 octobre, il nous a dit qu’il fallait attendre en regard de l’enjeu communal. Puis au lendemain du scrutin, il s’est encore plus radicalisé dans ses positions. Refuser le dialogue, c’est bloquer le pays. C’est irresponsable. Si on est incapable de prendre des décisions difficiles, il ne faut pas faire de la politique, mais présenter la météo. Bart De Wever mène désormais des consultations. Il sera peut-être plus facile de convaincre l’Open Vld de négocier et de prendre ses responsabilités que de forcer Conner Rousseau à s’asseoir à une table.
M.P. La séquence est une regrettable occasion manquée à plus d’un titre. L’Arizona offrait un attelage politique plus restreint que la Vivaldi, regroupant les gagnants du scrutin législatif de juin dernier, offrant à la fois une majorité dans chacun des groupes linguistiques et des majorités miroirs par rapport aux gouvernements régionaux. C’était une force de cohérence et de collaboration supplémentaire, probablement indispensable pour faire réussir les différentes réformes structurelles dont notre pays a le cruel besoin, notamment sur le marché du travail.
Seul un conclave à huis clos permettrait d’aboutir ?
M.P. Nous en sommes convaincus, nous l’avions évoqué et nous étions prêts à démarrer. Ce n’est pas dans l’intérêt de la Belgique de laisser s’égrener les mois, parce que l’on aggrave la question budgétaire, ce qui impose paradoxalement des mesures complémentaires. Tant que nous n’avons pas un gouvernement d’action, nous ne sommes pas au rendez-vous de nos responsabilités. Par ailleurs, je suis affligé de voir le total abandon de poste du Premier ministre actuel. Je suis désolé, mais dans une question comme Audi Brussels, c’est le Premier ministre et son ministre de l’Emploi qui doivent être au four et au moulin, pas les présidents qui tentent de négocier un accord. Sur les enjeux énergétiques et le budget des soins de santé aussi, le Premier ministre s’en lave les mains, ce n’est pas acceptable.
Bart De Wever est-il toujours l’homme de la situation ? Le communautaire pourrait-il être un abcès ?
M.P. Personne ne sera surpris que la N-VA formule des demandes communautaires. Comme personne ne sera surpris que nos deux formations peuvent juger que certaines améliorations du fonctionnement de l’État sont souhaitables. Mais pour autant, nous ne voulons pas du démantèlement de l’État.
On évoquait une défédéralisation de la politique scientifique ou spatiale…
M.P. Nous sommes contre.
GL.B. Dans une note de départ, on met un peu ce que l’on veut.
M.P. Et chaque jour, nous nous évertuons à ne pas réagir aux articles de presse. Je l’ai redit expressément : il n’y a aucun accord sur ces documents. Mais Bart De Wever, objectivement, fait le job de manière respectueuse.
GL.B. Moi, je me fous de gagner le match à la 20e minute, ce que je veux, c’est le gagner à la 90e avec un bon accord pour la Belgique. Et un accord aussi complet que possible. Celui de la Vivaldi, on l’avait bâclé et ce fut la bagarre pendant quatre ans.
La situation de la Région bruxelloise est-elle inextricable ?
M.P. Si les finances de Liège inquiètent à l’échelle de la Wallonie, la Région bruxelloise inquiète à l’échelle du pays. De tous les pouvoirs publics, c’est celui qui est dans la situation la plus critique sur le plan budgétaire, sans que l’on ait toujours l’impression qu’ils en soient conscience. Objectivement, c’est un élément de préoccupation. Même si la difficulté politique majeure ne se situe pas du côté francophone. Après le scrutin communal, on peut espérer s’orienter du côté solutions.
Les potentielles alliances PS-PTB dans certaines communes peuvent-elles mettre de l’huile sur le feu ?
GL.B. J’ai été très clair : il y aura des conséquences. Imaginez une coalition à Molenbeek avec le PS, le PTB et la Team Fouad Ahidar, avec les difficultés de cohésion sociale que l’on a déjà : est-on vraiment sérieux ? Compte tenu de son histoire et des personnalités qui l’ont incarné, le PS ne peut quand même pas se vautrer là-dedans pour des raisons électorales ou de vengeance partisane.
À Schaerbeek, j’ai fait une déclaration pour dire que Monsieur Koyuncu ne nous avait pas donné toutes les garanties entre l’Église et l’État, lui qui a invité un imam réciter une sourate au parlement bruxellois. Dans quel pays sommes-nous ? Après cela, une campagne du PS a été menée auprès de la communauté turque, en coupant des phrases et en affirmant que l’on s’opposait à lui parce qu’il était Turc. Ce n’est évidemment pas le cas…
Toute la politique bruxelloise fonctionne comme ça : on ne s’adresse plus à vous parce que vous êtes Bruxellois, mais selon le caractère le plus particulier qui est le vôtre, votre religion, votre couleur de peau, votre origine… C’est la fin absolue du vivre ensemble ! J’attends un sursaut du PS sur ses alliances politiques, sur le communautarisme et sur la question budgétaire.
“En Région bruxelloise, les blocages sont dogmatiques.”
Georges-Louis Bouchez
Président du MR
Quelles seraient les conséquences?
GL.B. Sur des coalitions en œuvre… Il en irait de même si la N-VA avait fait un accord avec le Vlaams Belang, ce qui n’est pas arrivé, c’est intéressant.
M.P. Le PS commet une erreur stratégique parce qu’en donnant du crédit au PTB, il va confirmer le caractère utile du vote pour le PTB, à son détriment. C’est un non-sens en termes de stratégie politique, comme cela l’est démocratiquement. Les statuts des Engagés sont clairs, aucune alliance possible avec l’extrême gauche. Je suis atterré de voir que pour le PS et Ecolo, la quête d’un maïorat ou le maintien de quelques postes d’échevins compte plus que ces enjeux fondamentaux.
Bruxelles et le fédéral : les deux nœuds du vivre ensemble belge sont grippés, n’est-ce pas un danger ?
GL.B. Il ne faut pas mélanger les deux. Au fédéral, c’est surtout l’ampleur budgétaire qui est un obstacle et nos partis ont procédé à l’apaisement en discutant avec la N-VA. Nous restons vigilants, mais oui, Bart De Wever est quelqu’un de légitime. Le budget sera un obstacle aussi à Bruxelles. Mais dans la capitale, le plus inquiétant, c’est que ce n’est pas l’origine du blocage, ce sont des questions dogmatiques.
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