De plus en plus de voix se lèvent pour fixer l’inflation à 3%, au lieu des 2% qui servent de but aux banques centrales

CHRISTINE LAGARDE signant son premier billet en euros au siège de la BCE, le 27 novembre dernier. © GETTY IMAGES

Le Saint-Graal des banques centrales, comme la Fed et la BCE, est une inflation à 2%. Mais cet objectif, fixé dans les années 1990 dans d’autres conditions économiques, est-il encore adéquat aujourd’hui ? De plus en plus de voix éminentes dans le monde de l’économie s’élèvent pour revoir ce chiffre à la hausse.

Cela fait maintenant deux ans que nous parlons “d’inflation”. À la fin de l’été 2021, en raison de la relance économique post-covid et d’un approvisionnement en énergie (notamment en gaz russe) bas, entre autres, l’indice des prix à la consommation a augmenté de plus de 2%, par rapport au niveau du même mois de l’année précédente. La suite, on la connaît : le taux a continué d’augmenter, surtout à cause de la guerre en Ukraine (mais pas que), jusqu’à 12,72% en octobre 2022. En juillet 2023, il affichait 4,14%.

La barrière des 2% sert de but aux banques centrales. Elles élèvent les taux d’intérêt pour freiner la machine économique afin que l’inflation retombe à 2%. Mais ce chiffre est en réalité une décision arbitraire.

Balance entre coûts et avantages

“Un taux d’inflation cible plus élevé a un coût, en particulier le temps et l’attention que les gens consacrent à essayer de déterminer combien vaudra leur argent actuel dans un an ou 10. Mais un objectif plus élevé a aussi l’avantage d’aider à protéger l’économie contre les récessions graves. Lorsque l’économie ralentit, une inflation plus élevée signifie que les hausses de prix et les gels de salaires peuvent devenir une alternative moins désagréable que les licenciements massifs pour les entreprises qui cherchent à réduire leurs coûts”, écrit Jason Furman, professeur d’économie à Harvard et ancien conseiller économique en chef de la Maison-Blanche (2013-17), dans une opinion publiée dans le Wall Street Journal.

“Une inflation plus élevée aide également la Fed à stimuler l’investissement, car tout coût d’emprunt nominal donné devient moins onéreux lorsque les entreprises peuvent compter sur des augmentations de prix futures pour y faire face. En 1996, la Fed a décidé qu’un taux d’inflation de 2 % constituait le meilleur équilibre entre ces coûts et ces avantages”, continue-t-il. L’institution monétaire a depuis, régulièrement, reconduit cet objectif – tout comme sa consœur, la BCE.

Temps de changer de cible ?

Sauf qu’entre-temps, les conditions économiques ont changé et ce point d’équilibre s’est déplacé, analyse Furman. À l’époque, le taux d’intérêt était élevé, constamment. Mais ces dernières années, il a toujours été très bas – à Washington, mais encore plus à Francfort. Ainsi, la Fed devrait aujourd’hui changer son fusil d’épaule et envisager un nouvel objectif pour l’inflation, continue l’économiste.

“Bien qu’une récession et des taux d’intérêt nuls puissent sembler une perspective lointaine à l’heure actuelle, un objectif d’inflation devrait être basé sur des considérations à plus long terme. Et les considérations qui ont amené les décideurs politiques à conclure que 2% était le bon chiffre dans les années 1990 les amèneraient à envisager un chiffre plus élevé, comme 3%, aujourd’hui, afin de donner à la Fed une plus grande marge de manœuvre pour réduire les taux d’intérêt et stimuler ainsi l’économie”, réfléchit-il.

Il sait cependant que la transition devrait être faite de manière “crédible”. Sinon, l’inflation pourrait s’enflammer et mettre à mal ceux qui empruntent, le gouvernement (et son déficit) et l’investissement. “À court terme, la Fed devrait viser à stabiliser l’inflation en dessous de 3%. Si elle parvient à atteindre cet objectif, elle devrait passer à un taux cible plus élevée pour l’inflation lorsqu’elle actualisera sa stratégie globale aux alentours de 2025”, prévoit Furman.

Appel d’air

L’idée de Furman a en tout cas fait des émules. D’autres voix éminentes se sont levées pour soutenir son propos. “Je suis d’accord avec l’appel de Jason Furman en faveur d’un objectif d’inflation de 3% – la logique des 2% a été dépassée par deux décennies d’expérience (et beaucoup d’entre nous le disent depuis un certain temps)”, écrit le Prix Nobel en économie Paul Krugman sur X.

Selon lui, il ne faudrait cependant pas attendre 2025 : “Mais son affirmation selon laquelle il reste beaucoup à faire et que le plus dur est peut-être à venir (dans la lutte contre l’inflation aujourd’hui, NDLR) me laisse perplexe. La plupart des mesures de l’inflation sous-jacente se situent actuellement autour de… 3%. Si vous pensez que 3% est le bon objectif, ne devrions-nous pas crier victoire ? Ou, pour le dire autrement, si 2% était une erreur, combien de personnes devraient perdre leur emploi pour une erreur ?”

Pour le président du Queen’s College de Cambridge, Mohamed El-Erian, il serait aussi temps de revoir la cible. “Même si de nombreuses Banques Centrales aimeraient éviter complètement la question, de plus en plus d’économistes pensent qu’il est temps d’examiner l’adéquation dans le temps de l’objectif d’inflation de 2%… en tenant compte à la fois de l’expérience passée en matière de politique et des perspectives économiques structurelles”, écrit-il sur X.

Reste à voir quelle sera la réponse de Jerome Powell, Christine Lagarde et compagnie. Mais il est sûr que le changement ne se ferait pas en un claquement de doigts.

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