Bernard Clerfayt : « Notre pays est incapable de mener une politique d’expulsion »

© BelgaImage
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le bourgmestre empêché de Schaerbeek est en colère.  « Cela fait 20 ans que nous avons des problèmes. Cela fait 20 ans que ça n’avance pas. Et il devient insupportable d’entendre que tout est bien au niveau fédéral et que les problèmes sont ailleurs ».

Ministre de l’emploi et des pouvoirs locaux de la Région de Bruxelles Capitale, mais aussi bourgmestre (empêché) de Schaerbeek, Bernard Clerfayt (DéFI) revient pour nous sur l’étonnante absence de communication entre l’Office des Etrangers et les communes. Un couac qui a été mise en lumière par les tragiques événements de lundi soir à Bruxelles et qui fait que Abdessalem Lassoued, qui a vu sa demande d’asile refusée en 2020, a néanmoins pu rester sur le territoire belge et a pu commettre un attentat meurtrier lundi.

« Je constate qu’il n’y a pas de politique d’éloignement structurés en Belgique, dit Bernard Clerfayt. L’Office des Etrangers traite administrativement les personnes qui demandent un statut ou un séjour. Les demandeurs sont inscrits sur un registre d’attente qui n’est pas un registre de la population, mais une simple liste d’adresses postales. Cela peut donc être l’adresse d’un avocat, d’une association qui prend les demandeurs d’asile en charge…. Il n’y a pas de vérification de la réalité du domicile. On ne sait pas où vous êtes. Vous pouvez être inscrit à une adresse dans une commune différente de celle où vous résidez réellement ».

Au petit bonheur

Et cette absence de préoccupation de savoir où se trouvent les demandeurs d’asile a évidemment des conséquences. « A la fin de la procédure, poursuit Bernard Clerfayt,  si le demandeur d’asile a un accès au territoire, il va directement à la commune demander son inscription. En revanche, si c’est un refus, comme dans le cas de Monsieur Lassoued, cette personne est rayée de la liste et le dossier est administrativement traité. On lui envoie un ordre de quitter le territoire (OQT). Mais comme on ne se préoccupe pas de savoir où est cette personne, l’Office des Etrangers est incapable de savoir si les personnes qui ont reçu un OQT sont encore sur le territoire ou pas. »

Sans ces informations, notre politique d’éloignement se fait donc au petit bonheur la chance, poursuit le bourgmestre. « Au hasard d’un contrôle de police, on tombe sur un étranger qui n’a pas obéi dans les trois mois à l’OQT qu’il a reçu.  On contacte l’Office des Etrangers qui dit parfois : cela tombe bien, un avion pour son pays d’origine part dans un mois, envoyez-le-nous, il séjournera entretemps dans un centre fermé. Mais  s’il n’y a pas de place, ou si le pays d’origine n’accepte pas ou si c’est un pays qui n’offre pas les garanties élémentaires pour la personne, on la libère. Quand la police de Schaerbeek effectue des contrôles à la gare du Nord et tombe sur des personnes qui ont reçu plusieurs OQT, elles sont libérés dans 95% des cas », ajoute Bernard Clerfayt.

L’exemple suédois

« Notre pays est incapable de mener une politique d’éloignement, poursuit-il, au contraire de ce qu’a fait la Suède par exemple ». La Suède avait en effet reçu une demande d’asile d’Abdessalem Lassoued, mais l’avait refusée parce qu’il avait été pris dans un trafic de stupéfiants. Il a donc été expulsé. « Mais pourquoi la Belgique n’a pas été au courant ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’échanges d’informations. Pourquoi la Belgique n’a pas suivi ce monsieur et ne s’est jamais préoccupée de là où il était ? », interroge Bernard Clerfayt.

Pour Bernard Clerfayt, on pourrait améliorer la situation en réfléchissant à la fois à des sanctions pour les personnes qui n’obéissent pas à un OQT, mais aussi au statut de ceux  qui ne peuvent retourner immédiatement dans leur pays d’origine.

Pour ceux qui ignorent les ordres de quitter le territoire qu’ils reçoivent, « on pourrait envisager une sanction, peut-être un enfermement pendant quelques mois pour les amener à réfléchir à leur volonté ou non de retour.  Et pour ceux qui sont originaires de pays pour lesquels il est impossible de trouver un accord afin de les ramener chez eux parce que c’est une dictature, mais qui ne sont pas reconnu comme réfugiés, il faut leur donner un statut temporaire. Ils auraient alors au moins une autorisation temporaire de rester, ils pourraient avoir une existence, ils pourraient travailler et l’on saurait où ils résident ».

« C’est insupportable »

Sinon, c’est la population qui en souffre, ajoute encore Bernard Clerfayt. « Dans certains quartiers à la gare du Nord, certains commerçants de la rue de Brabant n’en peuvent plus de ces personnes en errance. Il y a  une pression insupportable pour les quartiers populaires qui ont à subir cette situation, dit-il. »

Et le bourgmestre, qui a demandé la démission de la secrétaire d’Etat à l’Asile Nicole De Moor (CD&V), de rompre une dernière lance avec le fédéral. « Quand Madame de Moor a dit que ce qui s’était passé était la faute de Schaerbeek, j’ai demandé sa démission parce que c’est faux et qu’elle ne savait pas ce que faisait son administration. C’est son administration qui a rayé M. Lassoued de la liste.  Madame de Moor l’a reconnu par la suite. Le Premier ministre a reconnu aussi en fin de journée que l’on pouvait améliorer le suivi des ordres de quitter le territoire. Je suis donc très content que deux ministres fédéraux donnent raison à un petit bourgmestre parce que c’est nous au quotidien qui gérons cela. Cela fait 20 ans que nous avons des problèmes. Cela fait 20 ans que ça n’avance pas. Et il devient insupportable d’entendre que tout est bien au niveau fédéral et que les problèmes sont ailleurs ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content