Arizona: le coût d’un désert politique

Faute d’accord, il pourrait ne pas y avoir de réforme du tout. Un sérieux camouflet pour l’Arizona. © Getty Images
Baptiste Lambert

La Belgique vient d’obtenir un nouveau délai pour remettre son plan budgétaire et ses réformes structurelles à la Commission européenne. Ce sera le 30 avril prochain. Sans quoi l’effort de guerre sera à répartir en 4 ans plutôt que 7. Le temps presse pour l’Arizona. Chaque seconde sans gouvernement fédéral coûte une fortune aux finances publiques.

Fin janvier. C’est la date butoir au-delà de laquelle le formateur, Bart De Wever, jettera l’éponge pour former un gouvernement fédéral. D’ici là, la N-VA, le MR, Les Engagés, le cd&v et Vooruit devront trouver un accord sur la répartition de l’effort à fournir.

Il est toujours question d’un effort de 23 milliards d’euros, tel qu’il avait été établi par le Bureau fédéral du Plan (BFP) en juin dernier, à la demande de Bart De Wever. Pour revenir dans les clous budgétaires européens, l’État fédéral devra réduire son déficit d’environ 0,6% du PIB par an, selon le BFP. Mais c’est une lecture optimiste. Car depuis juin dernier, les perspectives de croissance se sont dégradées en Europe et en Belgique. Et cela influence inévitablement le déficit et l’endettement.

La répartition de l’effort

Au fil des négociations, il a néanmoins été convenu entre les cinq partenaires de répartir l’effort de guerre en trois parties : un tiers d’économies pures, un tiers de réformes structurelles et un tiers de nouvelles recettes.

Aux dernières nouvelles, un tiers de ces nouvelles recettes doit provenir des “épaules les plus larges”. C’est en tout cas ce que réclame Vooruit, le parti le plus à gauche de la coalition. On parle de 2,5 milliards d’euros, soit 11% de l’effort global.

Le problème, c’est que de l’autre côté de l’attelage, au MR, on vise 3 milliards de réductions d’impôts. Georges-Louis Bouchez vise toujours un tax cut, même si on se dirige plus que probablement vers un tax shift : réduire la pression fiscale sur le travail en augmentant l’impôt par ailleurs.

L’ambition ne semble plus aussi importante pour la mère de toutes les réformes. La réforme fiscale ne pèserait plus que 5 milliards d’euros, contre 10 milliards d’euros initialement. C’est en tout cas la proposition à prendre à laisser de Bart De Wever. Faute d’accord, il pourrait ne pas y avoir de réforme du tout. Un sérieux camouflet pour l’Arizona.

Des symboles qui coûtent cher

Les symboles, c’est important en politique. On peut comprendre pourquoi la formation libérale tente de baisser la pression fiscale dans l’un des pays les plus taxés au monde. On peut aussi comprendre pourquoi Georges-Louis Bouchez vise surtout la réduction des dépenses, dans un pays où les dépenses publiques représentent 54,6% du PIB (Eurostat, 2023). À titre de comparaison, c’est 11% de plus qu’aux Pays-Bas. 11% du PIB, c’est plus de 60 milliards d’euros.

Mais on peut également comprendre Vooruit, mais aussi Les Engagés et le cd&v, qui poussent pour une juste répartition de l’effort budgétaire. Le plus important de ce siècle. Si l’État et les services publics doivent se serrer la ceinture comme jamais, il n’est pas impensable que les très aisés y participent.

La défense de ces symboles explique pourquoi cela fait sept mois qu’on tourne en rond. Mais la patience du Palais n’est plus suivie par les organisations patronales, qui se font désormais entendre. La Fédération des Entreprises de Belgique et le Voka, l’organisation patronale flamande, tirent la sonnette d’alarme : la récession industrielle sévit, l’industrie lourde supprime des emplois et les PME qui sont liées à cette industrie commencent à sérieusement tousser.

Nous sommes sur la corde raide“, déclare Pieter Timmermans, CEO de la FEB. “Le mal est profond et généralisé“, ajoute Rudi Provoost, le président du Voka. Tous deux appellent à des réformes structurelles et à la fin de l’immobilisme.

Quatre ou sept ans : 5 à 6 milliards d’euros

Cet immobilisme coûte très cher aux finances publiques. Un coût bien supérieur à une quelconque mesure symbolique qui pourrait froisser l’un des membres de l’Arizona et ses électeurs.

Regardez plutôt. Après plusieurs années sur pause, les nouvelles règles budgétaires de l’Union européenne s’appliquent depuis le 1er janvier 2025. Les critères de 60% de dette et de 3% de déficit sont maintenus, mais c’est surtout de baisse des dépenses primaires (hors charges d’intérêts) dont il est question.

D’après les derniers calculs du Comité de monitoring, la Commission européenne attend de la Belgique une réduction des dépenses primaires de 16 milliards d’euros. Mais ceci, dans la perspective d’un effort réparti sur sept ans.

Or, le temps presse. La Belgique fait face à une procédure de déficit excessif. Depuis le mois de septembre, elle doit remettre impérativement une trajectoire budgétaire et des réformes structurelles pour bénéficier de ce délai de sept ans. Mais voilà qu’en décembre dernier, notre pays a demandé une prolongation, une de plus, pour se conformer. Si la Belgique n’y arrive pas, faute de gouvernement, le temps imparti pour réaliser l’effort sera de seulement quatre ans.

La différence ? Six milliards d’euros, selon le professeur émérite et spécialiste des finances publiques, Wim Moesen (KU Leuven). Ce chiffre vient de la différence de la croissance des dépenses primaires. Elle serait tolérée en moyenne à 2,5% en sept ans contre 2% en quatre ans. En octobre dernier, le Comité de monitoring a estimé les dépenses primaires à 190 milliards d’euros, en croissance de 4,79% pour 2024.

Du côté du SPF Stratégie et Appui, on évoque plutôt une différence de 5 milliards d’euros. Dans le cas d’une trajectoire de quatre ans, la Belgique devrait en effet diminuer ses dépenses primaires de 17 milliards d’euros d’ici 2028. En cas de trajectoire de sept ans, l’effort budgétaire serait limité à 12 milliards d’euros d’ici 2028.

Cela explique pourquoi Bart De Wever a fixé un ultimatum à la fin janvier. La dernière deadline pour l’Europe se situe en au 30 avril, vient-on d’apprendre. Or, il faut plusieurs mois pour préparer et faire passer un budget.

1.117 euros par seconde

On a parlé ici de baisse des dépenses primaires. Mais ne perdons pas de vue que pour revenir à un déficit de 3%, l’effort de guerre ne se situe pas à 16 milliards, ni à 23 milliards d’euros, mais plutôt autour de 28 milliards d’euros d’ici 2029. En tout cas, si l’on en croit les estimations du Comité de monitoring de juin dernier.

Pour l’heure, le Comité de monitoring table toujours sur un déficit de 6,3% d’ici la prochaine législature, soit 46,6 milliards d’euros. À politique inchangée, l’endettement grimperait à 119% du PIB contre 106% du PIB actuellement. De 643 milliards d’euros à 840 milliards d’euros. À la grosse louche, un gonflement de 200 milliards d’euros

“Chaque seconde, la dette augmente de 508 euros”, a récemment déclaré Bart De Wever lors de l’émission Het Conclaaf, diffusée sur VTM. Selon les chiffres ci-dessus, le constat est encore plus inquiétant. On devrait plutôt parler de 1.117 euros par seconde.

Revoir les règles ?

Dans une chronique remarquée, le politologue flamand Dave Sinardet (VUB et UCLouvain) a rappelé une douloureuse vérité : “Sur les 20 dernières années, on a eu un gouvernement en affaires courantes pendant un quart du temps.”

Le spécialiste appelle la Chambre à réfléchir à des limites aux négociations fédérales. Comment ? En fixant une date limite. De six mois, par exemple. Sinon, quoi ? On évoque parfois la convocation de nouvelles élections.

Mais on pourrait aussi agir en sanctionnant financièrement les partis. Par exemple, en rabotant leur dotation d’un certain pourcentage par mois de négociation supplémentaire.

“Les pressions extérieures, telles que les règles budgétaires européennes, ne suffisent généralement pas. Il doit donc y avoir une pression interne“, soutient le politologue.

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