Où sont les trains de nuit promis?

Ce nouveau train de nuit Bruxelles-Berlin utilise des voitures des années 1960, dont l’intérieur a été rénové. © photos: RVA
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les trains de nuit sont tendance, mais ils arrivent lentement. Après le Bruxelles-Vienne d’ÖBB lancé en 2020, European Sleeper vient de lancer Bruxelles-Berlin fin mai. La rareté du matériel et la rigidité du secteur ferroviaire freinent les initiatives. Mais ça vient…

Il faut avoir du courage et de la persévérance pour lancer un train de nuit. Les dirigeants d’European Sleeper n’en manquent pas. Cette jeune société basée aux Pays-Bas a inauguré ce 25 mai sa première ligne, Berlin- Amsterdam-Bruxelles. Mais le deuxième voyage, prévu durant le week-end de Pentecôte, devait déjà être interrompu par des travaux sur les voies, autour de la frontière belgo-néerlandaise. Le train ne pouvant pas aller plus loin que Rotterdam, les passagers vers et depuis Bruxelles devaient se rabattre sur un autocar. “Ce n’est pas idéal pour le lancement, mais nous avons été prévenus très tard”, regrette Chris Engelsman, cofondateur et porte-parole d’European Sleeper, qui ne contestait pas l’importance des travaux perturbateurs, dans un entretien réalisé deux jours avant l’ouverture de la ligne.

Les réseaux ferrés d’Europe occidentale ont perdu l’habitude des trains de nuit. La SNCB en a arrêté le service en 2003, du fait de la concurrence des compagnies aériennes et du développement des trains à grande vitesse. Mais une nouvelle demande semble s’épanouir auprès d’une clientèle qui désire voyager autrement, et en émettant moins de CO2. ÖBB, la SNCB autrichienne, a montré l’exemple dès 2020, en (re)développant un réseau de trains de nuit, notamment entre Bruxelles et Vienne, trois fois par semaine: le Nightjet.

Trouver le bon modèle

Les difficultés sont pourtant doubles. D’un côté, lancer un nouveau service de train international est plus compliqué qu’une ligne aérienne: il faut s’accorder avec plusieurs réseaux ferrés, dégoter du matériel devenu quasiment indisponible. D’un autre, il faut trouver le bon modèle économique. Le format de la start-up, comme European Sleeper, permettra peut-être de disposer d’une structure de coûts plus légère que celle inhérente à des transporteurs type SNCB.

“Nous aurions voulu relier la France rapidement, mais l’accès au réseau y est plus compliqué.”

Surtout que ces trains ne sont plus subsidiables: depuis 2010, le rail international est ouvert à la concurrence. En revanche, certains convois de nuit cantonnés aux lignes intérieures peuvent encore bénéficier de soutiens publics. Ceux-ci ont par exemple facilité les (ré)ouvertures récentes de lignes par la SNCF.

Chris Engelsman, porte-parole d'European Sleeper
Chris Engelsman, porte-parole d’European Sleeper. © photos: RVA

Ces freins expliquent aussi pourquoi aucun train n’a encore été lancé vers l’Europe du sud (Espagne, Italie), destination de vacances pourtant évidente. “Nous aurions bien voulu relier la France rapidement, mais l’accès au réseau y est plus compliqué”, explique Chris Engelsman. L’Hexagone a beau être soumis aux même obligations d’open access que les autres pays d’Europe (accès libre du réseau par tous les opérateurs ferroviaires certifiés), la réalité semble plus contraignante.

“Aller vers l’est est plus facile dans un premier temps”, confirme le porte-parole. Voilà pourquoi European Sleeper a démarré avec ce Bruxelles- Amsterdam-Berlin, trois fois par semaine. Mais le sud reste un objectif: “Nous souhaitons ouvrir une ligne sur Barcelone au printemps 2025, ou début 2026”, indique Chris Engelsman. La start-up a d’ailleurs reçu un soutien, logistique, de la Commission européenne pour l’y préparer. Mais European Sleeper estime qu’il existe également un marché possible sur Milan, Varsovie, voire la Scandinavie.

La Belgique a, elle aussi, trouvé un moyen d’encourager le lancement de ce Bruxelles-Berlin. Le ministre fédéral de la Mobilité, Georges Gilkinet, a obtenu du gouvernement la prise en charge du coût du péage pour l’accès aux voies et de celui de l’énergie de traction, en conformité avec les règles européennes. European Sleeper espère que cette mesure sera adoptée par d’autres pays.

Cette start-up se présente comme une initiative belgo-néerlandaise, ayant fusionné il y a deux ans avec le projet belge Moonlight Express, qui voulait démarrer un premier service Bruxelles-Amsterdam-Berlin-Prague en avril 2022. L’entreprise, dirigée par Elmer van Buuren, un ancien de NS, la SNCB néerlandaise, et Chris Engelsman, a été financée par crowdfunding à hauteur de 2,5 millions d’euros.

Le train Bruxelles-Berlin sera crucial pour lancer l’entreprise. “Les réservations sont surtout effectuées par des voyageurs qui embarquent à Bruxelles, constate Chris Engelsman. Beaucoup d’entre eux viennent du Royaume-Uni. Ils prendront sans doute l’Eurostar et feront la correspondance à Bruxelles-Midi pour Berlin. Il est beaucoup plus compliqué d’aller en train à Berlin au départ de Londres.” European Sleeper est d’ailleurs en discussion avec Eurostar pour “trouver un moyen d’intégrer le ticketing”.

Trouver des voitures couchettes

Lundi 22 mai, nous étions gare du Midi à Bruxelles pour un trajet d’essai avant le voyage inaugural, 25 mai, au départ de Berlin, puis le vendredi 26 mai, au départ de Bruxelles, à 19h22. Ce train test ne comptait que quelques passagers, dont les dirigeants d’European Sleeper, dans des wagons qui ne cachent pas leur âge, malgré un intérieur refait. “Ils remontent aux années 1960, assume Chris Engelsman. Il est très difficile de trouver des wagons couchettes ou lits, ces services ont été abandonnés depuis trop longtemps en Europe occidentale.”

“Nous avons choisi de lancer le service avec des voitures louées, poursuit le cofondateur. D’ici environ deux à trois ans, nous achèterons des voitures sur le marché, et les rénoverons. Deux ou trois ans plus tard, nous en commanderons des nouvelles. Nous aurions aimé proposer tout de suite un train de nuit moderne, avec du matériel neuf, mais cela aurait pris trop de temps. Le projet risquait de rester sur papier. Nous devions démarrer, montrer aux investisseurs potentiels, au public, qu’il est possible de lancer un train de nuit. Ceci étant, nous avons aussi déjà entamé le processus pour acheter des wagons et les rénover. Nous discutons avec des investisseurs pour le financement.”

Dans sa configuration standard, le train qui dessert Bruxelles, Amsterdam et Berlin comportera sept voitures: une voiture lit, cinq voitures couchettes, une voiture places assises. Les tarifs de départ se situent à 49 euros pour une place assise, 79 euros pour une couchette et 109 euros pour un lit. Le petit-déjeuner est compris pour ces deux derniers services.

Une structure particulière

European Sleeper n’est pas formellement l’opérateur du train Bruxelles-Berlin. “Nous n’avons pas de licence d’exploitation ferroviaire, dit Chris Engelsman, cofondateur d’European Sleeper. Nous faisons appel à un sous-traitant spécialisé, Train Charter Services, basé aux Pays-Bas. C’est lui qui opère les trains, avec ses conducteurs de locomotives, son chef de convoi.”

Train Charter Services a un certificat unique de sécurité, le sésame pour opérer des trains, pour la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. Le service à bord est assuré par la société Wagon Plastron: literie, petits-déjeuners, accueil des voyageurs, etc. European Sleeper se charge de concevoir le service, louer ou acheter les rames, vendre les tickets. Et, bien sûr, assume le risque commercial.

Retrouvez l’ensemble des articles de notre dossier Vacances d’été 2023

Partner Content