Michiel Langezaal: “Le secteur de la recharge a déjà investi 20 milliards d’euros”

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Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le président de ChargUp Europe, qui est aussi le CEO de Fastned, plaide pour des tarifs aussi transparents que possible et évoque des solutions pour limiter les congestions sur les réseaux électriques. Pour son secteur, il est capital de ne pas changer l’échéance de 2035.

Le développement de la voiture électrique est très dépendant d’un tout nouveau secteur, celui de la recharge, via des bornes publiques ou privées. Michiel Langezaal, cofondateur et CEO du réseau de recharge rapide Fastned, est le nouveau président de l’association ChargUp Europe, qui réunit à la fois des opérateurs de bornes, des fabricants et des entreprises de service. Il participe notamment au Strategic dialogue on the future of the European automotive industry initié par la Commission européenne.

TRENDS-TENDANCES. Quelle est l’importance de ce jeune secteur, en revenus, en investissements ? Les données sont difficiles à trouver. Peu d’opérateurs sont cotés en Bourse…

MICHIEL LANGEZAAL. Pour vous donner une idée, Fastned est le numéro trois du secteur en Europe, nous avons investi environ un demi-milliard d’euros. Selon nos estimations, le secteur a investi jusqu’à présent 20 milliards d’euros, ce qui est significatif. L’objectif 2035 de l’Union européenne prévoit qu’à cette échéance, seules des voitures neuves zéro émission seront vendues, surtout des électriques. La totalité du parc sera converti à l’électrification dans les 20 ou 30 prochaines années. Aujourd’hui le marché est essentiellement constitué de voitures à combustion, il représente un marché d’environ 500 milliards d’euros pour le carburant fossile. Demain, ce marché sera celui de la recharge, à la maison, au bureau, sur les parkings, sur les routes.

Vous ne craignez pas que la Commission européenne reporte cet objectif 2035, sous la pression de certains constructeurs et de certains gouvernements ?

La Commission présidée par Ursula von der Leyen a indiqué que cet objectif ne sera pas modifié. Si nous ne parvenons pas à faire la transition dans ce délai, nos voitures seront chinoises. Si nous n’électrifions pas rapidement, personne n’ira acheter une voiture à carburant européenne 5.000 euros plus chère qu’une électrique chinoise comparable. Le plus important effet de l’échéance de 2035 est de permettre à l’industrie de s’adapter dès maintenant. Cela déterminera si nous aurons ou non une industrie automobile compétitive, un secteur de recherche compétitif, si l’on fabriquera des chargeurs en Europe ou si on les importera de Chine. Il est important d’avoir un secteur auto européen en bonne santé.

Le maintien de l’objectif 2035 est important pour le secteur de la recharge ?

Oui, très important, surtout que notre secteur n’est pas encore rentable. Personne n’y fait encore de profit. Nous devons investir de manière continue pour anticiper sur la croissance du parc des véhicules électriques. L’échéance de 2035 nous donne l’assurance de revenus futurs.

Pourtant il y a eu une concession de la Commission en février, qui a revu pour les constructeurs l’objectif de réduction de 15% des émissions de CO2 des voitures livrées.

Cette annonce a pu laisser penser que l’objectif de 2035 était retardé : ce n’est pas le cas. La mesure que vous évoquez porte sur un lissage de l’objectif de réduction de CO2 de 2025 sur trois ans, rien d’autre. L’objectif de 2035 a été confirmé. Oliver Blume, CEO du groupe VW, a déclaré que c’était une bonne chose. La prévisibilité est essentielle pour tout le monde, le secteur de la recharge comme les constructeurs. En 2035, les nouvelles voitures seront toutes électriques.

“La prévisibilité est essentielle pour tout le monde, le secteur de la recharge comme les constructeurs. En 2035, les nouvelles voitures seront toutes électriques.”

On pourrait donc imaginer que les voitures électriques deviendront moins chères que celles à carburant ?

Oui, mais c’est un défi pour l’industrie automobile européenne, qui doit arriver à une échelle suffisante pour produire à moindre coût. Si la Chine peut produire des batteries, des chaînes de traction à prix très compétitifs, et que l’Europe ne peut le faire, vous aurez un problème.

Vous participez, en tant que président de ChargUp Europe, au “Strategic dialogue on the future of the European automotive industry”, organisé par la Commission européenne. Y a-t-il déjà des pistes ?

Les thèmes principaux sont sur la table, nous espérons des plans d’action. Parmi les sujets importants pour le monde de la recharge, il y a l’accès aux réseaux de distribution d’électricité (grid), où les délais de branchement peuvent être très, très longs. Nous souhaitons un schéma de priorités au niveau européen. Les stations de recharge sont dans la file d’attente avec, par exemple, des supermarchés locaux. Qu’est-ce qui doit être branché en priorité ? C’est important pour nos plans de déploiement. Un autre souci est la croissance du parc d’automobiles électriques. La Commission européenne a dit qu’elle ferait sa part pour pousser la demande. Les flottes d’entreprises sont une bonne voie pour y parvenir.

Michiel Langezaal. © PG

L’électrification par les voitures de société, c’est la voie suivie par la Belgique…

Oui, c’est un bon exemple bien connu. Un peu partout, le levier de croissance de la voiture électrique est la politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises, ndlr), qui fait partie des réglementations générales en Europe. On parle de simplifier ces réglementations. Je pense que miser sur le verdissement des flottes serait une bonne idée, surtout au moment où, dans certains pays, les primes à l’achat pour les particuliers sont remises en question.

Il faut aussi convaincre les automobilistes. Le processus de recharge est parfois compliqué. Les tarifs ne sont pas toujours clairs. Comment améliorer cette expérience ?

Il est important que le secteur travaille sur la standardisation. L’Europe peut jouer un rôle d’harmonisation. En Allemagne, par exemple, il y a un standard Eichrecht auquel les pompes à essence doivent se conformer pour s’assurer de leur calibrage sur les quantités livrées. L’Institut allemand de normalisation souhaite un standard comparable pour les bornes de recharge. La conséquence est que les bornes doivent alors être adaptées pour l’Allemagne. Si d’autres pays prennent le même genre de décision, cela va multiplier les standards et les coûts d’adaptation. C’est le client qui paiera. Une harmonisation européenne serait alors bienvenue.

Quels sont les goulots d’étranglement dans l’écosystème des bornes en Europe ?

Nous en avons résolu un certain nombre. Il reste des sujets comme la transparence des tarifs, les navigateurs embarqués qui vous guident en priorité vers des bornes dont le constructeur du véhicule est actionnaire alors qu’elles ne sont pas forcément les meilleures pour le consommateur. ChargUp Europe défend une approche centrée sur le consommateur, qui donne des options aux automobilistes. Il y a du pain sur la planche pour les autorités de la concurrence afin que l’écosystème soit vraiment compétitif.

Souhaitez-vous une neutralité des systèmes de navigation des automobiles ?

Les systèmes de navigation devraient être basés sur les besoins des conducteurs, avec des critères de qualité et de fiabilité, du nombre de chargeurs disponibles, de leur puissance, de la présence de services comme du café, des toilettes et des informations sur les prix. Le secteur doit travailler là-dessus.

L’automobiliste doit pouvoir choisir le prestataire qui lui vend la recharge, dit Michiel Langezaal. Nous défendons un écosystème plus compétitif, plus centré sur le consommateur.” © Getty Images

La réglementation européenne AFIR, mise en place en avril 2024, impose des mesures pour faciliter la recharge, notamment avec des paiements par carte bancaire et l’affichage des prix. Faut-il aller plus loin ?

Des recherches sur les tarifs de recharge ont été menées par les autorités de la concurrence d’Allemagne, des Pays-Bas, de France. Toutes arrivent à la même conclusion, que le marché est concurrentiel, même dans un petit pays. Elles ne demandent pas de réguler les prix, le marché fonctionne alors qu’il n’y a que 3 à 4% du parc qui est électrique.

Le régime belge des carburants, qui impose un tarif plafond, variant avec le cours du pétrole, ne pourrait-il pas s’appliquer aux recharges électriques, pour rassurer les clients ?

Les tarifs actuels pratiqués sont des prix à terme (forward pricing), aucun réseau n’est encore rentable. Les bornes Fastned sont profitables en Belgique et aux Pays-Bas, c’est l’exception, mais l’ensemble de la société ne l’est pas en raison des investissements dans la croissance. Il n’y a donc pas de marges excessives qui justifieraient une régulation. C’est l’inverse, l’industrie travaille à la rentabilité et à développer les réseaux. L’hypothèse d’un tarif plafond comme pour le carburant en Belgique pose une foule de questions : à quel niveau de service s’appliquerait-il ? Comment l’appliquer pour des puissances de recharge à 300 kW, 150 kW, 50 kW, 11 kW…? Je ne vois pas de logique à cette approche, compte tenu des études mentionnées plus haut.

La fédération ChargUp Europe a mis en tête de ses objectifs celui d’avoir une recharge “customer centric”.

Nous le souhaitons. Par exemple, une fonctionnalité plug and charge est intéressante. Vous arrivez à une borne, vous branchez la voiture et la recharge démarre, vous êtes facturé automatiquement. Mais si seul un acteur peut mettre en marche ce service, en général le fabricant de la voiture (qui vendra l’électricité en direct ou via un partenaire, ndlr), cela ne va pas. L’automobiliste doit pouvoir choisir le prestataire qui lui vend la recharge. Nous défendons un écosystème plus compétitif, plus centré sur le consommateur.

Parmi les soucis des opérateurs de chargeurs, il y a le branchement au réseau électrique (grid). Les coûts sont très variables, et il y a la crainte de congestion : ce sont de gros défis pour votre secteur ?

En Belgique, il y a quelques opérateurs de grid, trois aux Pays-Bas, c’est plutôt solide et transparent. En Allemagne, il y a 800 opérateurs de réseau. Chaque pays a sa manière de distribuer l’électricité. Les tarifications et la structure de ces tarifs varient chaque fois. Il y a des raisons à cela, on peut le comprendre. Le souci est que tout est très lent. Le challenge de ces réseaux est qu’il faut y brancher des pompes à chaleur, des parcs d’éoliennes, des autos électriques. Une plus grande variabilité de la production d’énergie et de la demande impose une adaptation des réseaux, et leur renforcement. Dans certains pays, la régulation est, ou a été, tellement stricte qu’elle ne permet pas d’investir à un rythme suffisant. Nous souhaitons, en tant qu’industrie, être connectés le plus vite possible aux réseaux, mais nous sommes conscients des problèmes de ces infrastructures. Nous souhaitons contribuer à les régler. Si l’on se contente de demander des branchements rapides, on risque des soucis de sous-capacité, comme on le voit aux Pays-Bas. Nous avons besoin de coopérer et de digitaliser la distribution d’électricité, pour que l’offre et la demande soient bien coordonnées.

“Nous avons besoin de coopérer et de digitaliser la distribution d’électricité, pour que l’offre et la demande soient bien coordonnées.”

Comment éviter la congestion de ces réseaux ?

Il y a deux pics de consommation, le matin et en fin de journée. Hors de ces heures, vous pouvez dire qu’il y a 70% de capacité disponible, la nuit et pendant la journée. On peut modérer les pics dans les réseaux en utilisant des batteries, notamment celles des voitures, en V2G (la voiture peut livrer de l’électricité au réseau, ndlr). Certains acteurs membres de ChargUp Europe travaillent sur cette approche.

C’est un sujet qui revient souvent, l’utilisation des batteries des voitures électriques pour aider les réseaux à affronter les pics, mais est-ce que ça marche vraiment ?

Techniquement, oui. Cela dépend des réseaux, des voitures. Tous ne le font pas. Cela étant dit, le V2G est l’approche la plus avancée du management de l’énergie. Une première approche est plus simple : vous arrivez chez vous, et au lieu de brancher votre voiture dès votre arrivée, après le travail, vous postposez la recharge de quelques heures. Pour le V2G, la voiture peut fournir de l’électricité au réseau à l’heure de pointe et charger ensuite. Nous savons que nous avons besoin de plus de capacité dans les réseaux car il faut arrêter de brûler du carburant. Électrifier est une solution, avec les pompes à chaleur, les voitures électriques, mais on doit évoluer vers une offre et une demande plus flexible et plus intelligente. Si vous ne digitalisez pas les réseaux pour y arriver, vous risquez d’augmenter les risques de congestion.

Outre la digitalisation, vous pouvez aussi multiplier les batteries sur le réseau de distribution, chez l’utilisateur…

Avec la croissance d’une production non pilotée comme l’éolien ou le solaire, il faudra multiplier les batteries. Elles deviennent moins chères. Certaines technologies de batteries promettent un coût de 8 euros par kWh en 2030, au niveau des cellules. Si l’on arrive à 10.000 cycles de recharge/décharge, vous pouvez calculer que le coût de ces batteries sera très abordable.

Profil
• 44 ans
• 2006 : ingénieur civil, Delft University of Technology
• 2007-2010 : consultant chez AT Kearney
• 2010-2011 : new business developer chez Epyon, (Pays-Bas)
• 2011-2012 : new business developer chez ABB (Pays-Bas)
• 2012 : cofondateur et CEO du réseau de charge rapide Fastned
• 2025 : président de ChargUp Europe

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