Nous n’en avons pas encore fini avec la hausse des taux

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Beaucoup  d’incertitudes, cela veut dire des taux d’intérêt plus élevés, soulignent deux responsables du département Europe du FMI.  

Deux responsables du Fonds monétaire international – Helge Berger (deputy director du département Europe du FMI) et Romain Duval (assistant director du même département) – étaient de passage dans les locaux du CEPII, le principal centre français d’étude et de recherche en économie internationale.

Dans le tableau de l’économie européenne qu’ils ont brossé, ils se sont attardés sur une des grandes interrogations du moment : quand les taux d’intérêt vont-ils cesser de monter ? Et la réponse est : pas tout de suite.

Inflation persistante

L’économie européenne a connu une baisse substantielle de croissance, rappelle Helge Berger. Le FMI prévoit, après une année 2022 qui avait vu un rebond de 3,5% de la croissance en zone euro, un ralentissement de la dynamique avec seulement 0,8% cette année et 1,4% l’an prochain.

Dans ce contexte, l’inflation continue de baisser par rapport à ses sommets de l’an dernier, mais l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation), « reste inconfortablement supérieure aux objectifs des banques centrales, même d’ici à la fin de l’année prochaine », souligne le FMI. Les récentes baisses des prix de l’énergie auront certes un effet indirect et devraient se traduire par une diminution de l’inflation sous-jacente, mais pas suffisamment pour la faire baisser rapidement.

Et encore, les projections du FMI postulent que la situation actuelle ne s’aggravera pas : pas de nouvelle crise financière, pas d’escalade dans le conflit en Ukraine, pas de nouvelles flambées des prix de l’énergie…

Incertitudes

Or, c’est loin d’être acquis. Les prix de l’énergie pourraient à nouveau grimper en flèche. La croissance des salaires pourrait s’accélérer et réveiller l’inflation. Helge Berger souligne notamment que si la hausse des salaires a suivi pratiquement la hausse des prix dans les économies émergentes, elle a été moins élevée dans les économies avancées. Il n’y a donc pas de spirale prix-salaires. Mais on ne peut pas exclure une volonté de rattrapage de la part des travailleurs de ces pays qui veulent réduire les pertes de pouvoir d’achat.

C’est d’autant plus plausible que, rappelle Helge Berger, le marché du travail reste tendu. Une tension qui s’explique en partie par les heures perdues en raison des arrêts maladie suite au covid. Selon les chiffres du FMI, le nombre d’heures de travail prestées dans l’Union européenne accusait une baisse de 0,5% au premier trimestre 2022 par rapport à 2019. Et la baisse était même un peu plus importante en Belgique.

Ces éléments ont laissé des cicatrices, note le FMI, qui estime que  la hausse persistante des prix de l’énergie par rapport à la situation avant crise sanitaire et guerre russo-ukrainienne va réduire la production potentielle en Europe de 1% en 2027 par rapport à une situation qui aurait été « normale » (sans guerre, sans covid, sans flambée des prix).

Et puis, ce qui vient ajouter encore à l’incertitude, c’est le fait que « les économistes tendent à sous-estimer les dommages permanents causés par les crises », ajoute Romain Duval.

On a observé par le passé que lors des périodes de reprise, les estimations de la marge de manœuvre économique dans les pays européens étaient souvent révisées à la baisse d’un point de pourcentage complet, un an après la crise, et d’un nouveau point encore plus tard.

Ne pas baisser la garde

Face à ces incertitudes, on pourrait penser que la BCE va baisser la garde (jeu de mots facile) pour aider l’économie à reprendre son souffle.

Pour les deux responsables du FMI, il faut au contraire s’attendre, à l’inverse, au maintien d’une politique monétaire restrictive. « Le risque d’une inflation qui serait plus élevée que prévu prédomine », souligne Romain Duval. Il s’explique à la fois par la persistance d’une inflation de base qui reste élevée, par la prédominance d’éléments comme la guerre en Ukraine et les tensions sur le marché du travail, qui pousseraient l’inflation à la hausse et par le fait qu’à leur niveau actuel, les taux européens sont encore peu élevés par rapport à certains modèles de la BCE.

Dans ce contexte, la BCE va plutôt choisir de poursuivre sa politique monétaire restrictive, poursuit Romain Duval. Car il est difficile de rattraper son erreur quand on baisse les taux trop vite. L’inflation reprend alors beaucoup de vigueur et il faut serrer la vis bien plus fort pour la dompter. En revanche, il est plus facile, si les taux apparaissent finalement trop élevés, de les baisser.

Voilà qui vient conforter ce qu’a dit Peter Kazimir, le gouverneur de la banque centrale slovaque, ce dimanche : « Je suis convaincu qu’il y a d’autres réunions à venir où nous déciderons de relever les taux, et je pense que nous les relèverons encore ». Ceux qui tablaient sur une pause de la BCE après une dernière hausse des taux le 15 juin pourraient être déçus.

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