Chris Peeters (CEO du Groupe Elia): “Les énergies renouvelables sont imbattables”

Chris Peeters, CEO d'Elia Group © Belgaimages
Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Maintenir les centrales nucléaires en activité n’est pas une solution à long terme, déclare Chris Peeters, PDG d’Elia Group, en faisant le bilan d’une année énergétique riche en rebondissements. “La solution est toujours la même : donner un énorme coup de pouce pour développer les énergies renouvelables. Allez-y à fond. Remplissez vos toits de panneaux solaires. Développer les parcs éoliens en mer dès que possible. Vous ne le regretterez jamais.”

En mars dernier, Chris Peeters a été élu Trends Manager néerlandophone de l’année lors de la 37e édition de ce trophée. Le CEO d’Elia Group revient sur cette année 2022, qui a été marquée outre par une crise énergétique sans précédent, mais aussi par un débat animé : comment concilier climat et économie.

Décembre

En décembre, le gouvernement fédéral a conclu un accord de principe sur la construction d’un parc éolien au large de la côte belge. Quelle est l’importance de cette île pour notre approvisionnement énergétique?

CHRIS PEETERS. “Cette île est cruciale. Cela permettra d’acheminer efficacement vers la côte l’énergie éolienne produite par la zone Princess Elisabeth, qui doit encore être construite. Il s’agira de la première plaque tournante d’un réseau électrique international en mer du Nord et elle sera directement reliée à une plaque tournante similaire au Danemark. Avec ce parc éolien en mer du Nord, la Belgique fait un grand pas en avant dans la transition énergétique. Nous sommes un pays densément peuplé, très prospère et doté d’un secteur industriel très important, mais notre potentiel en matière d’énergies renouvelables est limité, alors qu’il s’agit d’une nécessité si l’on veut réaliser cette transition sans perte financière.

“Pour maîtriser les factures d’énergie et préserver notre industrie, nous devons rapidement développer un accès aux énergies renouvelables. Cela signifie que nous devons bien nous connecter avec les régions qui ont un surplus d’énergie verte. La question géopolitique est de savoir avec qui vous établissez ces liens. Nous avons déjà un accord avec le Danemark (liaison Triton) et nous discutons avec le Royaume-Uni pour une deuxième interconnexion (liaison Nautilus)”.

Est-ce un problème que nous devenions dépendants de pays étrangers pour notre approvisionnement en énergie verte ?

PEETERS. “Aujourd’hui, nous sommes déjà très dépendants des pays étrangers, car nous n’avons pratiquement pas de sources d’énergie propres. La facture des combustibles fossiles est volatile et équivaut à un appauvrissement. Vous pouvez la remplacer par une production énergétique nationale ou européenne plus importante, basée sur des prix stables pour l’électricité, structurellement inférieurs à ceux d’aujourd’hui et pouvant être plafonnés à long terme. C’est un énorme bond en avant pour l’Europe sur le plan stratégique. La capacité des pays voisins sera suffisante pour importer de l’énergie verte en Belgique. Notre pays a pu autrefois acquérir rapidement une position stratégique forte sur le marché du gaz naturel en construisant le hub de Zeebrugge. Nous réexaminons maintenant cette possibilité d’approvisionnement en hydrogène, qui sera en grande partie importé d’en-dehors de l’Europe. Nous pouvons nous assurer une place stratégique dans la chaîne de l’hydrogène dès maintenant, si nous reconstituons rapidement nos forces en tant que plateforme.”

Février

Elia a créé WindGrid, une filiale qui supervise les activités internationales en dehors de ses marchés d’origine, la Belgique et l’Allemagne. Quel est le potentiel de Windgrid ?

PEETERS. “Nous visons principalement de nouvelles affaires aux États-Unis et en Europe. Nous étudions un certain nombre de projets et avons conclu des accords de coopération avec des compagnies d’électricité américaines. Cependant, les projets concernant les infrastructures ont en général un long délai de réalisation. Les premières ne seront mises en service qu’à la fin de la décennie. Mais WindGrid opère sur un marché qui connaît une croissance exponentielle. Les États-Unis ne disposent pas encore d’énergie éolienne en mer, mais ils vont bientôt rattraper l’Europe. L’Europe veut multiplier, au moins par quatre, la capacité éolienne en mer existante d’ici à 2030, puis par cinq d’ici à 2050. Nous pouvons tirer parti de notre expertise dans ces secteurs. Nos partenaires américains observent avec attention nos réalisations en Europe. WindGrid sera un pilier majeur du groupe”.

Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, nos approvisionnements en gaz naturel se sont rapidement révélés vulnérables, la Russie ayant brandi l’énergie comme une arme géopolitique. Quel impact cette guerre a-t-elle eu sur la stratégie d’Elia ?

PEETERS. “Notre stratégie est fondée sur l’accompagnement de la transition énergétique et est donc plus pertinente que jamais. Nous voulons accélérer encore la mise en oeuvre de cette stratégie. Notre programme d’investissement peut être intensifié si nous résolvons les goulets d’étranglement. L’un d’eux est le problème des permis. En Belgique, une procédure de permis dure en moyenne huit ans et demi, ce qui est extrêmement long, compte tenu de l’urgence de la transition énergétique. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré qu’une autorisation devrait être possible d’ici un an, mais cela me semble très optimiste. Il est certain qu’il faut prendre du temps pour obtenir un accord de la part de toutes les parties prenantes.”

Mars

Le gouvernement fédéral a conclu un accord pour maintenir les centrales nucléaires de Doel 4 et Tihange 3 ouvertes plus longtemps et a entamé des négociations avec Engie. Comment voyez-vous cela ?

PEETERS. “Je comprends la décision de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires en pleine crise énergétique. Mais ce n’est pas une solution à long terme. Les gens ont toujours l’idée que l’énergie nucléaire est bon marché. C’est vrai pour l’énergie nucléaire des centrales existantes, qui sont amorties. Mais ce n’est pas le cas pour les nouvelles centrales nucléaires. Le coût du mégawattheure de l’énergie nucléaire est bien supérieur au prix des énergies renouvelables. Il n’y aura pas de nouvelle analyse de rentabilité pour l’énergie nucléaire, sauf si le gouvernement fait le choix politique de subventionner ce type d’énergie. En termes de coût de construction pour de la capacité supplémentaire, les énergies renouvelables sont imbattables. La véritable solution pour notre approvisionnement énergétique est donc l’expansion rapide de ces énergies renouvelables.”

Une étude récente d’Elia suggère que d’ici 2050, nous aurons encore besoin de 15 gigawatts de capacité contrôlable pour faire face aux fluctuations saisonnières des énergies renouvelables.

PEETERS. “Vous parlez alors d’une période très limitée de ce qu’on appelle le “dunkelflaute” en hiver, lorsqu’il y a trop peu de vent et de soleil. Vous avez généralement besoin de cette sauvegarde pour moins de 200 heures par an. La capacité de secours idéale est donc celle dont les coûts d’investissement sont faibles, comme une centrale électrique au gaz naturel. Les coûts d’exploitation, et même les émissions de carbone, sont alors moins importants, étant donné le nombre limité d’heures de fonctionnement. Aujourd’hui, nous pouvons accueillir la “dunkelflaute” avec les centrales électriques existantes. Dans 20 ans, nous devrons choisir entre les centrales existantes avec stockage du carbone, les centrales à hydrogène ou à une autre molécule verte, ou les petites centrales nucléaires de type MRS. Le problème urgent est de faire face aux fluctuations de la production sur une base quotidienne et hebdomadaire. Mais la solution est toujours la même : donner un énorme coup de pouce au développement des énergies renouvelables. Allez-y à fond. Mettez des panneaux solaires sur vos toits. Développer les parcs éoliens en mer dès que possible. Vous ne le regretterez jamais.”

En mars, vous avez été élu 37ème Trends Manager de l’année. Quel a été l’impact de ce titre sur votre entreprise ?

PEETERS. “Nos employés l’ont beaucoup apprécié. C’est une reconnaissance pour les grands progrès que nous avons réalisés en tant qu’équipe. Grâce à sa compréhension de la sécurité de l’approvisionnement, l’équipe d’Elia est de classe mondiale. Notre équipe travaillant sur des projets offshore a bien évolué pour atteindre également un niveau de classe mondiale. On écoute notre voix dans le débat sur la transition énergétique. Nous veillons à ce que la sécurité de l’approvisionnement ne soit pas compromise. En cela, nous sommes neutres et nous mettons en oeuvre la politique. Le monde extérieur ne le comprend pas toujours. Nos collaborateurs sont parfois soumis à de très fortes pressions.

“On me demande plus souvent d’intervenir en tant que conférencier. Mon rôle est d’expliquer la complexité de la transition énergétique. J’aime entamer des discussions avec mon public. De cette façon, vous découvrez également ce qui se passe sur le marché et quelles sont les préoccupations des gens. Ce titre a permis d’augmenter ces participations au débat sur l’énergie. Beaucoup de gens ont découvert que je ne suis pas simplement cet homme qui s’occupe de transformateurs et de lignes à haute tension.”

Chris Peeters, CEO d'Elia Group
Chris Peeters, CEO d’Elia Group© Belgaimages

Recevez-vous des offres supplémentaires d’autres entreprises en raison d’un tel titre ?

PEETERS. “En tant que PDG d’une société cotée en bourse, vous vous retrouvez de toute façon sous les feux de la rampe. Ces offres vont et viennent, mais pas plus qu’avant. Mais je suis pour une transition énergétique rapide. En ce sens, je suis au bon endroit chez Elia.”

Avril

Elia a obtenu sans problème le permis pour renforcer la ligne à haute tension Mercator-Bruegel. En revanche, le permis de construire de nouvelles lignes pour les projets Ventilus et Boucle du Hainaut s’est embourbé dans des sables mouvants politiques. Quelle est l’importance du renforcement du réseau à haute tension ?

PEETERS. “L’importance stratégique de Ventilus et de la Boucle Du Hainaut ne peut être surestimée. Ces projets sont essentiels pour permettre le développement des énergies renouvelables et l’électrification de l’économie. Sans Ventilus, vous vous tirez une balle dans le pied à long terme. L’industrie de la Flandre occidentale et les centres de données du Hainaut cherchent à accéder eux aussi à une énergie renouvelable et meilleur marché. Et cela n’est possible que si vous disposez d’un réseau haute tension solide. Ventilus et la Boucle du Hainaut ne sont sans doute pas les dernières étapes pour renforcer notre réseau. La demande d’électricité doublera d’ici à 2050. Vous devez construire un réseau capable de gérer cette augmentation fois deux. Et de cette façon, vous évitez des situations comme celle qui règne actuellement aux Pays-Bas, où les entreprises ne peuvent plus se développer à cause d’un manque de capacité de transmission. Les Pays-Bas voulaient éviter à tout prix la surcapacité. Ils ont extrêmement bien réussi, mais ils ont maintenant une capacité trop faible. Il faut anticiper la demande croissante d’électricité de la part de l’industrie.”

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Juillet

Elia a publié des chiffres semestriels solides. Une augmentation de capital de 600 millions d’euros a également été réalisée au début du mois de ce mois. Entre-temps, les taux d’intérêt ont augmenté dans le sillage d’une hausse de l’inflation. En Belgique et en Allemagne, le bénéfice d’Elia est largement déterminé par les régulateurs. Le rendement des fonds propres alloués semble subir une légère pression.

PEETERS. “C’est vrai. Nous sommes confrontés à une grande discussion à cet égard. Si nous voulons accélérer la transition énergétique, nous devons être en mesure d’attirer suffisamment des capitaux. Cela ne sera possible que si vous offrez à ce capital un rendement approprié, compte tenu du profil de risque de l’activité. Ces dernières années, vous avez assisté à une inflation quasi inexistante et, à long terme, une tendance à la baisse des taux d’intérêt sans risque. Cela a été traduit, par les régulateurs, sous forme d’une baisse de la rémunération de notre capital. C’était logique. Mais aujourd’hui le contexte a complètement changé. Nous sommes dans un environnement inflationniste avec des taux d’intérêt en hausse. Cela devrait également se traduire par les rendements que nos investisseurs peuvent obtenir.

“Si nous ne pouvons plus lever des capitaux parce que les investisseurs trouvent d’autres secteurs avec de meilleurs rendements pour un investissement, présentant le même profil de risque, le manque d’infrastructures pourrait alors devenir un goulot d’étranglement dans la transition climatique. Ce serait une grosse erreur. Nous ne sommes pas une entreprise à la recherche de rendements supplémentaires. Nous sommes satisfaits d’un rendement équitable et plafonné, parce que nous obtenons la stabilité des régulateurs, mais le nouveau contexte de hausse des taux d’intérêt doit être pris en compte. En Allemagne, on envisage d’augmenter plus justement le return. Nous devrions entamer la même discussion en Belgique.”

Septembre

Re.alto, une filiale d’Elia, active dans les services numériques pour le secteur de l’énergie, a signé un accord de coopération avec Volkswagen. Peut-on s’attendre à d’autres accords de ce type ?

PEETERS. “Certainement. Nous ne considérons pas les énergies renouvelables comme une source d’énergie peu fiable et volatile, comme on l’entend encore souvent. La production d’énergie renouvelable est en fait assez prévisible, mais il faut rendre le système aussi flexible que possible, y compris du côté de la demande. Aujourd’hui, les batteries des voitures électriques sont utilisées presque à l’envers. Les gens branchent leur voiture quand ils rentrent chez eux. Si tout le monde fait cela dans quelques années, la consommation d’énergie connaîtra un pic énorme, en plus des pics existants. Or, il n’est pas nécessaire d’attendre un million de voitures électriques et un million de pompes à chaleur pour stimuler la demande. Même les constructeurs automobiles, comme Volkswagen, doivent adapter leur perspective. De “brancher et recharger”, il faut passer à “suffisamment chargé au début du voyage et au moindre coût”. Avec une plus grande souplesse du côté de la demande, nous n’avons pas besoin d’ajouter une flexibilité supplémentaire au système, sous la forme de grandes batteries ou de centrales à gaz. Cela nous permettra d’économiser beaucoup d’argent.”

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Chris Peeters, CEO d’Elia Group© Belgaimages

Octobre

En octobre, les résultats de la deuxième enchère du mécanisme de rémunération de la capacité (CRM) ont été publiés. Le CRM est-il un outil utile pour assurer l’approvisionnement à long terme ?

PEETERS. “Oui. Le CRM est le bon concept. Nous planifions de cette façon la capacité de manière compétitive. C’est un outil essentiel dont nous aurons besoin dans les années à venir. Même la Commission européenne le considère de plus en plus comme un élément crucial du mécanisme de marché. A long terme, il contribue à l’abandon progressif des centrales électriques fossiles et jette les bases d’un cadre d’investissement stable, réduisant ainsi le risque de pénurie d’électricité.”

Novembre et décembre

Que pouvons-nous attendre d’Elia cette année ?

PEETERS. “Nous publions le 18 novembre une importante étude sur une décarbonisation efficace de l’industrie et son impact sur le réseau à haute tension. L’électrification de l’économie et l’expansion accélérée des énergies renouvelables combinent les besoins du climat et de l’économie de manière efficace. Les entreprises ont compris que ceux qui sont les plus engagés dans la transition énergétique sont les moins vulnérables à cette crise énergétique justement. Par exemple, plusieurs entreprises ont conclu des contrats à long terme avec des parcs éoliens pour l’achat d’électricité. Lorsqu’elles ont signé ces contrats il y a deux ans, ces entreprises ont payé une prime pour cette énergie verte, mais aujourd’hui, ce sont les contrats d’achat les moins chers du marché. Les entreprises remplacent ainsi un risque de hausse des prix sur les énergies fossiles par une stabilité des prix qui peut protéger la compétitivité à long terme et ancrer notre industrie. Les personnes équipées de panneaux solaires et de pompes à chaleur sont également moins touchées par la crise énergétique actuelle.”

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