“Il faut accepter que la transition écologique impliquera une augmentation de l’activité minière”
L’enjeu qui se joue actuellement autour du cobalt et des matières premières critiques est colossal, et est un virage crucial pour l’avenir de notre planète.
L’approvisionnement en matières premières critiques et la souveraineté européenne est-elle une équation insolvable ? Il semblerait qu’au Parlement européen, on pense que non. Pourtant, le communiqué publié ce vendredi par la commission industrie laisse perplexe, alors que celui-ci intervient au lendemain de la lettre adressée à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, par des industriels européens.
Ces derniers sont inquiets de la concurrence américaine et chinoise dans la production de batteries et du manque de moyen côté européen. Ils résument la situation ainsi : “Il est essentiel d’adopter rapidement et à grande échelle des technologies vertes […]. Or, il est impossible de le faire sans d’importants volumes de minéraux essentiels, notamment le nickel, le cuivre, le lithium, le graphite et les terres rares.”
“L’Europe doit s’assurer une place dans tous les maillons de la chaîne de valeur verte, de l’extraction et du traitement des matières premières au recyclage, en passant par la fabrication de technologies propres. Le traitement intermédiaire des minéraux critiques est une lacune particulièrement préoccupante en Europe, qui justifie une attention urgente.”
Le Parlement répond donc à cela en assurant que “l’Acte sur les matières premières critiques vise à permettre à l’Europe d’accélérer vers une souveraineté européenne” tout en soulignant “l’importance de garantir des partenariats stratégiques entre l’UE et les pays tiers pour les matières premières critiques […] avec des avantages pour toutes les parties.” Les eurodéputés vont même jusqu’à assurer “une extraction et une transformation respectant les meilleurs standards écologiques dans les pays partenaires.”
Ne pas refaire les mêmes erreurs
Un document de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) datant d’avril 2023 donne des précisions sur la situation mondiale. Le lithium, les terres rares, le chrome, l’arsenic, le cobalt, le titane, le sélénium et le magnésium ont enregistré les plus fortes hausses de production au cours des dix dernières années – de 33% pour le magnésium à 208% pour le lithium. Parallèlement, la production mondiale de certaines matières premières critiques, comme le plomb, le graphite naturel, le zinc, les minerais et concentrés de métaux précieux et l’étain, a baissé au cours de la même période.
La production de ces matières se concentre dans quelques pays : la Chine (magnésium, terres rares, graphite), la Russie (cobalt, platine, métaux précieux), l’Australie (lithium, cobalt, terres rares), l’Afrique du Sud (métaux précieux, platine) et le Zimbabwe (platine). La République démocratique du Congo est également le principal producteur de cobalt. Si avec certains de ces pays, la coopération est tout simplement inconcevable, forcé de constater que peu d’entre eux ont une situation politique et économique permettant des “partenariats stratégiques” sereins ni de pouvoir assurer “une extraction et une transformation respectant les meilleurs standards écologiques.”
Pour tenter de répondre à cette contradiction, nous avons discuter avec Geoffroy Hautier, chercheur en ingénierie spécialisé dans les matériaux pour la production et le stockage d’énergie à l’Université américaine de Dartmouth. Pour lui, tout dépend de ce qu’on entend par “souveraineté”. L’Union européenne n’a en réalité par le choix : beaucoup des matières premières sont extraites hors de son territoire. L’enjeu ici n’est pas de faire comme pour le gaz, et dépendre très fortement d’un seul pays (la leçon a été retenue…), mais de s’approvisionner via plusieurs pays de manière plus équilibrée. Mais le véritable problème ne réside en fait pas là.
“Tout ne va pas être gratuit dans cette histoire”
Le recyclage, qui est la deuxième option avancée par l’Union européenne, et en réalité difficile à appliquer actuellement pour certaines matières, dont le cobalt. Ce dernier est essentiellement présent dans les batteries de voitures électriques. Pour recycler, il faut quelque chose à recycler, et il n’y a pas aujourd’hui suffisamment de batteries pour cela. Et comme le précise Geoffroy Hautier “le recyclage a un prix. Si cela coûte plus cher de recycler que d’extraire dans les mines, les industries préfèreront l’extraction, à moins d’imposer des règles sur le recyclage.”
Et pourquoi pas des batteries sans cobalt ? Geoffroy Hautier, qui travaille notamment sur l’utilisation de nouveau matériaux, précise qu’il existe déjà des batteries sans cobalt, avec du fer. Seulement voilà, les performances ne sont pas les mêmes, mais l’idée pourrait quand même être d’investir aussi dans la recherche. Cependant, le chercheur souligne “il faut être réaliste, cela ne se fait pas en trois jours. Et notre réponse au changement climatique, elle, ne peut pas attendre.”
Alors que faire ? Pour Geoffroy Hautier, c’est en réalité une question de société à laquelle nous devons répondre. Si on souhaite par exemple atteindre 70% de voitures électriques sur le continent, il faudra une production énorme de cobalt, et donc beaucoup d’activité minière. Et cela, il va falloir l’accepter, même si cela hérisse les poils des écologistes. “Tout ne va pas être gratuit dans cette histoire. Qu’importe la technologie choisit, il faudra toujours extraire quelque chose de la terre. Il faut accepter que la transition écologique impliquera une augmentation de l’activité minière. Le grand public doit prendre conscience de l’enjeu qui se joue autour, notamment, du cobalt.”
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